La procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, est déterminée à poursuivre la procédure qu’elle a engagée contre Riad Salamé, le gouverneur de la Banque du Liban, et pour elle tous les moyens semblent bons pour atteindre cet objectif, fixé par le camp du chef de l’État Michel Aoun, dont la juge est proche. Ce dernier ne cache plus qu’il veut se débarrasser du gouverneur de la BDL, comme il l’a affirmé d’une manière qui ne prête à aucune équivoque dans une interview à la presse, il y a quelques jours. " La période de grâce accordée au gouverneur de la Banque centrale a pris fin ", avait-il déclaré au quotidien libanais al-Joumhouriya, confirmant ainsi le caractère politique d’une cabale dont l’objectif principal est d’évincer Riad Salamé pour le remplacer par une personnalité proche du camp présidentiel.
Les lois libanaises donnent à toute personne la possibilité de contester une procédure judiciaire ou une décision officielle la visant directement ou lui portant préjudice indirectement si elle considère qu’elles sont en contradiction avec les principes de justice.
C’est dans ce contexte que le gouverneur avait présenté en janvier dernier devant la cour d’appel du Mont-Liban un recours contre Ghada Aoun, qu’il accuse de parti pris, en exposant dans le document tous les détails de la campagne menée par cette dernière contre lui. Un droit que la loi lui accorde mais que la magistrate a choisi d’ignorer pour éviter que la cour d’appel n’accepte le recours et qu’elle ne soit donc empêchée de poursuivre son action.
Un juge peut-il cependant ignorer ces questions de procédure ? La réponse est normalement non, comme le montre l’affaire des recours présentés par les anciens ministres poursuivis dans le cadre de l’enquête sur l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth contre le juge d’instruction Tarek Bitar. A chaque recours présenté contre lui, ce dernier suspendait l’enquête en attendant la décision de la cour de cassation.
Mais un juge qui cherche par tous les moyens à arriver à ses fins peut avoir recours à des subterfuges pour contourner les procédures qu’impose la loi. Et c’est ce que Ghada Aoun a fait à deux reprises, en refusant d’être notifiée des recours présentés contre elle, la première fois par les avocats du PDG de la société Mecattaf pour le transfert de fonds, Michel Mecattaf, pour non-respect des règles de procédure, et la deuxième fois par l’avocat de Riad Salamé. " Face à ce refus, la cour d’appel du Mont-Liban ne peut trancher en la matière vu que, d’un point de vue juridique, la procédure est bloquée ", comme le précise une source judiciaire interrogée par Ici Beyrouth.
Le premier président de la cour d’appel du Mont-Liban, Raja Khoury, avait essayé, après les tentatives avortées des huissiers de soumettre à Mme Aoun le texte du recours de Riad Salamé contre elle, de la notifier dans son bureau à Baabda. En vain.
Mais même dans ca cas, la loi propose des solutions. Elle prévoit que si quelqu’un refuse d’être notifié, un recours à des moyens exceptionnels de notification est possible. Ces moyens sont au nombre de deux :
– l’envoi d’une lettre par le biais de LibanPost, avec accusé de réception.
– la publication de la notification dans deux journaux quotidiens politiques libanais.
Toutefois, le recours à ces moyens d’exception de notification n’est possible que si le domicile de la partie contre qui le recours est présenté n’est pas connu, ce qui n’est pas le cas dans l’affaire de la juge Aoun. La solution résiderait alors dans l’adoption de l’une des deux possibilités suivantes : la notification par affichage devant le bureau du destinataire ou par le biais du moukhtar qui se situe dans le lieu du dernier domicile de la partie à notifier, ce qui ne s’est apparemment pas produit.
Pour le moment, tant que Ghada Aoun maintient son refus, la cour d’appel se trouve dans l’impossibilité de statuer au sujet du recours de Riad Salamé, ce qui permet à la juge de poursuivre ses activités professionnelles, suivant une notion de justice très sélective.