Pour cela, rien de plus simple que de fournir à Israël le prétexte qu’il attend pour nous broyer!
Abdel-Nasser avait signé son arrêt de mort quand il avait demandé aux Nations unies de retirer les Casques bleus stationnés à Charm el-Cheikh. En fait, il avait dû exiger l’évacuation d’Égypte de toutes les troupes internationales, ces «troupes qui lui avaient permis pendant onze ans d’éviter un affrontement armé avec Israël»1. Sans y accorder d’importance, il venait d’enclencher le processus qui allait mener à la guerre des Six-Jours. Une guerre dans la réalité de laquelle le rapport des forces ne lui était pas favorable, et cela, sans compter l’effet de surprise qui bouleversa la donne le matin fatidique du lundi 5 juin 1967. Les événements allaient se précipitant à partir du mois de mai de la même année. Le Raïs égyptien avait fait part de son exigence, non dans les coulisses du siège de l’ONU à New York, mais sur les ondes, c’est-à-dire en prenant le monde à témoin. Il ne pouvait plus se dédire ou se rétracter. Ç’aurait été une reculade indigne alors que la Syrie était sous la menace d’une frappe israélienne, les Soviets ayant expressément confirmé la concentration de troupes de l’État hébreu aux frontières du Golan.
Mais, au lieu de tergiverser et de gagner du temps pour désamorcer la crise, U Thant, Secrétaire général de l’ONU, s’exécuta sur l’heure. Ni d’une ni de deux, Nasser, pris de court par cet empressement, se trouva face à Israël avec qui il n’avait aucune intention de se mesurer. Or le gouvernement de Levi Eshkol avait précisé que le positionnement de troupes égyptiennes à Charm el-Cheikh à la place des Casques bleus constituait un casus belli, car cela signifiait le blocus maritime du golfe d’Aqaba et donc du port d’Eilat.
Et, comme si de rien n’était, Nasser déclara dans la foulée, lors d’une séance publique retransmise à la télé, combien l’URSS était, dans les épreuves, l’allié et l’ami indéfectible des Arabes – nous étions en pleine guerre froide. Cerise sur le gâteau, il ajouta sous les vivats, qu’il avait les moyens de détruire Israël. Pris au mot, le Raïs allait payer cher le prix de cette fanfaronnade. L’Occident, peuples et gouvernants, allait se ranger aux côtés du petit David menacé dans son existence par l’immense Goliath arabe.
La surenchère avait imprudemment fourni le prétexte d’une frappe «préemptive» à Moshe Dayan, ministre de la Défense, et à Yitzhak Rabin, chef d’état-major!
L’épicentre de la violence se déplace
Cela dit, les opérations militaires, déclenchées à Gaza à partir d’octobre 2023, s’achèvent pour l’essentiel. Que les otages aient été libérés ou non, que le Hamas puisse encore opérer quelques camisades et en tirer une légitime fierté ou non! Quoiqu’on en dise, et en dépit de l’héroïsme indéniable des combattants et de la ténacité de la population civile, l’échine de l’organisation palestinienne a été brisée. Elle mettra des années à se reconstituer au niveau militaire. L’épicentre du conflit qui se perpétue au Moyen-Orient va devoir déraper vers l’est ou le nord, vers la Cisjordanie ou le Liban.
En d’autres termes, le Hamas quasi éradiqué, l’État hébreu doit passer à autre chose et s’en prendre résolument à un autre adversaire, Benjamin Netanyahou ne se maintenant au pouvoir qu’à la faveur de la mobilisation générale et de la poursuite ininterrompue des combats2. «Quelle sera sa prochaine cible», se demandait-on il y a encore dix jours, alors que le dimanche 15 septembre, l’aviation israélienne larguait au-dessus de la région du Wazzani des tracts appelant la population à quitter ses foyers! Il y eut démenti: on attribua l’initiative en question à un commandant de brigade qui n’avait pas reçu l’approbation de sa hiérarchie. Mais, depuis la cascade de frappes sélectives de la «semaine noire et sanglante», celle du 17 au 20 septembre, le conflit, au départ calibré, allait monter de plusieurs crans. De fait, quand le lundi 23 de ce même mois, l’armée israélienne signifia aux habitants du Liban-Sud l’ordre «d’évacuer immédiatement leurs maisons et de s’éloigner des endroits où le Hezbollah cache ses armes», car les «frappes sont imminentes», la mise en demeure fut prise au sérieux. L’exode des populations allait aussitôt reprendre en direction du nord et bien sûr s’accentuer.
Israël va faire du Liban-Sud, et maintenant de la Békaa, un autre Gaza, tant on lui a fourni les prétextes d’attaquer, d’envahir et, plus grave encore, de déchirer notre tissu social si exceptionnel, mais si précaire. Quelle aberration que d’être intervenu le 8 octobre pour soutenir le Hamas, diront certains. Et pourquoi n’avoir maintenu qu’une pression «à feu doux» si l’on voulait vraiment se porter au secours du Hamas et desserrer l’étau qui enferrait Gaza? Que de mises en scène sanglantes pour simuler la solidarité et «l’unité des fronts» et se jouer de son propre public!
Le grand bazar de Téhéran
Les conséquences de l’intervention du Hezb le 8 octobre sont d’autant plus graves que ce dernier vit un état de déni3: il ne peut «encaisser» l’idée qu’à l’évidence l’Iran se désintéresse désormais du sort de ses «proxies» arabes et qu’il les lâche. Ces milices qui ont pris en otage leurs propres populations, à savoir les Houthis au Yémen, le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban, ne représentent aux yeux de Khamenei que des cartes dont on peut valablement se défausser. Les mollahs d’Iran ont mieux à faire: assurer la survie de leur régime théocratique.
Car, au grand bazar de Téhéran, on négocie, on achète, on vend et l’on revend. Ce qui expliquerait pourquoi le président iranien vient de déclarer à l’ONU:«Nous sommes prêts à dialoguer avec Washington pour résoudre les différends», et pourquoi son ministre des Affaires étrangères vient d’affirmer, de son côté, que son pays était prêt à reprendre les négociations sur le nucléaire.
Qu’en conclure?
Vieux routier de la politique iranienne, Amir Taheri avait vu venir ce revirement depuis la mascarade du 14 avril, quand l’Iran lança sur Israël quelque 400 engins volants censés infliger le moins de dégâts possible à leur cible. Cet ancien rédacteur en chef du quotidien Kayhan n’avait pas hésité à nous signaler, il y a plus d’un mois, que Hassan Nasrallah allait s’enfoncer en «eaux profondes sans que l’ayatollah Khamenei veuille lui lancer une bouée de sauvetage». Et l’on voit d’ores et déjà dans quelle mesure la machine de guerre du Hezb est dépecée et ses dirigeants abattus. Cette tactique du «shying-off» (dérobade) adoptée par le régime iranien, qui consiste à se retirer du jeu ou à détourner le regard, va amener le «downgrading» (déclassement) du Hezbollah, si ce n’est sa liquidation en tant que menace militaire4. Cette même tactique du Guide suprême, le supposé mentor de l’axe de la récalcitrance, a ouvert la voie à l’État hébreu dans son entreprise de destruction systématique du Hamas et du Jihad islamique à Gaza.
Le Hezbollah est désormais abandonné à lui-même. Il aura à prendre seul les décisions qui s’imposent, et ce sera donc à Hassan Nasrallah en personne d’assumer les responsabilités qui en découleront. Ces responsabilités seront si lourdes qu’elles ne peuvent que les saborder, lui et les siens, jetés par sa faute sur les routes de l’exil.
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1- Éric Rouleau, Jean-Francis Held, Jean et Simone Lacouture, Israël et les Arabes. Le troisième combat, Éditions du Seuil, 1967, p. 77.
2- Mordechai Gilat, «Is Netanyahu aiming for war with Hezbollah to avoid trial», Haaretz, 22 septembre 2024.
3- Amos Harel, «Alone at the top: Will Nasrallah go to war with Israel as Hezbollah’s top brass crumbles?», Haaretz, 22 septembre 2024.
4- Amir Taheri, «Iran: A grin and bear it game», Asharq Al-Awsat, 9 août 2024.
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