L’économiste et analyste politique Sami Nader analyse, dans une interview express à Ici Beyrouth, les retombées de l’offensive russe sur le terrain syrien où Moscou a le plus d’influence dans la région du Moyen-Orient, et sur le Liban voisin.

L’invasion russe en Ukraine risquera-t-elle de modifier les équilibres en Syrie où Moscou s’est imposé en garant du régime depuis 2015, rival de Téhéran et "partenaire contraint" d’Ankara?

Les développements en Ukraine risquent d’accroître la tension en Syrie. La marge de manœuvre iranienne risque en effet de grandir. Il est légitime de prévoir plus de flexibilité de la part de Washington sur le nucléaire. Les États-Unis devront choisir lequel de la Russie ou de l’Iran ils devront contenir, sans compter le défi que leur pose actuellement la Chine. Autrement dit, ils ne verraient pas d’un mauvais œil diffuser la tension pour pouvoir se concentrer sur leurs priorités. S’ils arrivent à écarter l’Iran comme source potentielle de tensions, ils ne diraient pas non. Mais ce ne sera pas à n’importe quel prix (pas de retour à l’accord de 2015 pour les États-Unis) et les Iraniens savent quant à eux jouer sur les différentes vulnérabilités américaines.

Donc pas de réponse américaine violente contre Moscou, qui romprait avec son retrait du terrain régional depuis au moins 2015 (date de l’intervention militaire russe en Syrie) ?

Il faut retenir que les États-Unis ne peuvent pas aller vers l’offensive, cela leur coûtera très cher. Il ne faut pas oublier que la Russie est un pays nucléaire, et que l’Ukraine n’est pas membre de l’OTAN. Washington maintiendra sa politique de sanctions contre la Russie.

Quid de la position turque?

Elle n’aurait pas intérêt à entreprendre quelque action pour l’instant. Elle ne semble pas près de répondre à la demande que lui a adressé l’Ukraine jeudi d’ouvrir les détroits du Bosphore et des Dardanelles en direction de la Russie. Plus les Russes s’embourbent dans le terrain ukrainien, et un tel risque est grand, mieux c’est pour la Turquie. Celle-ci ne serait pas mécontente non plus d’ailleurs d’un conflit entre les États-Unis et la Russie.

Quels effets sur le Liban? 

Les répercussions politiques directes sur le Liban seraient minimes, puisque les Russes n’y sont pas impliqués comme en Syrie. Les retombées économiques risquent en revanche d’être désastreuses. Nous importons 50% de notre blé de l’Ukraine et en l’absence d’une stratégie de sécurité alimentaire, nous n’avons pas de plans alternatifs, comme celui d’importer le blé des États-Unis ou autres. Un second impact est lié à la flambée du prix du pétrole, qui ne sera pas sans aggraver encore plus la crise libanaise.