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La question de la destruction des plateformes militaires du Hamas et du Hezbollah ne fait plus de doute, il s’agit d’un schéma opérationnel en progression, mais qui soulève des questions essentielles sur les multiples coûts et les finalités politiques qui devraient, selon toute présomption, encadrer la mise en œuvre de cette entreprise monumentale. L’éventualité d’un compromis sur ces deux enjeux se dissipe alors que le Hamas ne cesse de redire son rejet de toute solution qui compromettrait ses délires quant au contrôle de Gaza. Le Hezbollah continue ses manœuvres dilatoires et de blocage quant à la restauration de la souveraineté de l’État libanais et l’application des résolutions internationales, alors qu’Israël réaffirme sa détermination à vouloir changer la donne stratégique qui lui a valu des revers sécuritaires graves. Il est inutile d’ergoter sur des souhaits qui ne correspondent à plus rien et il serait, plutôt avisé, de comprendre les enjeux liés aux évolutions de la dynamique conflictuelle. La médiation américaine et son plan de désescalade progressive butent toujours sur l’ambivalence de la position iranienne, et le cynisme meurtrier de Yahya al-Sinouar qui croit pouvoir déjouer l’état de siège israélien et renverser la dynamique fatale de la guerre en cours.

La bataille de Rafah aura lieu en dépit et malgré les difficultés opérationnelles et humanitaires que posent l’exode massif du nord de Gaza, la complexité des enjeux militaires en lice et leur résonance sur les plans régional et international. La guerre de Gaza et ses théâtres adventices n’auraient aucun sens à moins de détruire les plateformes opérationnelles du Hamas et du Hezbollah et de réduire leur stature politique. Les impératifs humanitaires du côté de Gaza et leurs incidences sur le champ d’action de l’armée israélienne n’ont pas leur équivalent sur le théâtre libanais où la latitude opérationnelle de l’armée israélienne est beaucoup plus vaste et moins contraignante. Nous sommes devant deux cas de figure aux équations complexes, aux priorités ondoyantes et aux échéances temporelles décalées.

Quoi qu’il en soit, Israël doit être conscient des aléas politiques majeurs associés à la campagne militaire de Rafah, où tout déraillement peut compromettre les chances de normalisation amorcées avec les accords d’Abraham et porter atteinte à sa crédibilité sur le plan international. Israël doit se défaire des contraintes de la droite religieuse et ultranationaliste et de sa vision du monde, des politiques de repli induites par le sentiment d’insécurité causé par le 7 octobre 2023 et par les calculs de B. Netanyahou et la question de son avenir politique, afin de lier cette entreprise militaire impérative aux perspectives d’une paix globale négociée avec les Palestiniens. Les enfermements de nature psychotique en milieu israélien et le repli exclusif sur des crispations identitaires et sécuritaires vont coûter à Israël les chances d’une politique de normalisation et d’intégration à un ordre régional inclusif et libéré des hypothèques de la politique iranienne, de la logique des guerres pérennes et du chaos institutionnalisé.

Il est impossible d’envisager un déblocage d’ensemble à moins de changer la donne stratégique, de remanier l’échiquier, et de redéfinir les paramètres du canevas stratégique. Il s’agit en somme de changer de jeu et d’acteurs et de redéfinir les coordonnées de la question israélo-palestinienne et de ses encadrements stratégiques. Cela suppose des stratégies d’endiguement à géométrie variable vis-à-vis de l’Iran, la réhabilitation des dynamiques régionales structurées autour de l’axe américano-saoudien, la recomposition de la scène politique palestinienne autour d’un plan de paix et des arbitrages sécuritaires et diplomatiques internationaux.

La neutralisation du Hamas et consorts est préjudicielle à la politique du "containment" de l’Iran et constitue désormais la porte de sortie obligatoire afin de casser les verrouillages imposés à l’ordre régional. Malheureusement, les Palestiniens auraient pu faire l’économie d’une guerre prolongée, si le Hamas avait reconnu sa défaite, démontré sa volonté de renouer avec l’Autorité nationale palestinienne en vue de dégager une ligne politique consensuelle et réengager la communauté internationale. Or, il n’en est rien, le Hamas et la politique de l’"uniformité des champs de bataille" ne sont que les auxiliaires de la politique de puissance iranienne et la destruction de Gaza et des régions frontalières du Liban-Sud n’en est que le résultat. L’instrumentalisation de la vision nihiliste qui prévaut chez les islamistes pro-mollah iraniens, loin d’être accidentelle, est un choix délibéré équivalent à celui d’Al-Qaïda et de l’État islamique.

Il n’y a pas d’issue aux impasses sécuritaires et politiques en cours à moins de changer la trame politico-stratégique, d’introduire de nouveaux acteurs et de mettre fin aux impasses idéologiques, aux politiques entrecroisées de blocage et à l’inertie diplomatique qui ont détruit les acquis de quatre décennies de médiations diplomatiques fructueuses (de Camp David à Oslo) et redéfini les enjeux d’un conflit aux mutations brusques et continues. L’entreprise hasardeuse du Hamas s’inscrivait dans une perspective de bouleversements géostratégiques drastiques qui a tourné au désastre, mais surtout d’instrumentalisation déloyale et criminelle de la part du régime iranien qui s’est servi de l’état de blocage pour saboter le projet de paix arbitré par le tandem américano-saoudien et réarticuler les dynamiques régionales autour de ses priorités stratégiques.

La nature du 7 octobre 2023 a infléchi le cours du conflit israélo-palestinien, reclassé l’ordre de priorités et donné lieu à la contre-offensive du côté israélien. Les dissensions de la société israélienne, quoique dures et polarisantes, ont été recalées au bénéfice d’une stratégie commune de salut national qui a mis en berne les grandes questions qui se rapportent au projet national israélien et ses dilemmes continus. C’est à partir de cette nouvelle donne émergente que les forces politiques en Israël, en milieux palestiniens et au niveau international doivent se positionner et reprendre à nouveaux frais la question de la paix basée sur la reconnaissance mutuelle, le droit à l’autodétermination et à la sécurité inconditionnelle dûment stipulés dans les résolutions internationales et les accords de paix conclus antérieurement. Il est impératif de préempter le retour direct et insidieux des extrémismes de tous bords, afin de redonner une chance aux faiseurs de paix et de dissuader les saboteurs de tous bords.

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