Les propos télévisés du vice-Premier ministre libanais, Saadé Chami, dimanche, sur la faillite du Liban qui explique, selon lui, la nécessité d’une répartition des pertes entre l’État, la Banque du Liban et le secteur bancaire avec les déposants, ont suscité un véritable émoi dans le pays. Les remous provoqués par son discours furent tels que le chef du gouvernement, Najib Mikati, et la Banque centrale se sont vus contraints d’intervenir pour faire une mise au point, tandis que Saadé Chami faisait machine arrière en expliquant que ses propos avaient été "pris hors contexte et tronqués".

Dans sa mise au point, Najib Mikati a indiqué avoir compris que M. Chami "parlait de liquidité et non pas de la solvabilité" du Liban.

Quelle est la différence entre les deux? Un État n’est-il pas en faillite s’il est insolvable et s’il a une crise de liquidité? Techniquement et juridiquement parlant, "un État ne tombe pas en faillite", explique Me Karim Daher, fiscaliste, en expliquant que la faillite est un phénomène qui touche les sociétés commerciales et les individus. "L’emploi maladroit, non malintentionné, de ce terme par le vice-Premier ministre a affolé les Libanais, alors que la situation économique et financière devient de plus en plus délicate. Le Liban, pour être plus exact, se trouve dans une crise aiguë de liquidité et d’insolvabilité, mais il n’est pas en faillite", ajoute Me Daher, interrogé par Ici Beyrouth.

Pour comprendre ce que cela signifie, nous nous sommes basés sur une étude publiée en 2020 à ce sujet par Me Daher et Me Nasri Diab, également juriste. Il en ressort qu’un État peut refuser de payer ce qu’il doit à ses créanciers. Les conséquences d’une telle abstention sont différentes sur le plan international et à l’interne. "Tel est le cas du Liban qui, depuis deux ans, se soustrait à ses engagements financiers, sans qu’aucune action ne soit prise à son égard. Les créanciers attendent les résultats des négociations entre le FMI et l’État libanais qui devraient aboutir en principe à la mise en place d’un plan de sortie de crise et de remboursement des dettes", affirme Me Daher.

Un État, quel qu’il soit, est une personne morale souveraine, régie au niveau financier par des procédures différentes de celles qui sont appliquées aux sociétés commerciales dont "les actifs sont vendus et liquidés, ou aux particuliers dont les droits et biens sont hypothéqués jusqu’au remboursement de la dette", en cas de faillite. Un pays "jouit d’une souveraineté absolue et, donc, d’immunités de juridiction et/ou d’exécution", comme le précise l’étude susmentionnée. En d’autres termes, on ne peut pas obliger un pays à rembourser sa dette par la force, d’autant qu’il dispose, comme dans le cas du Liban, de nombreux actifs qui lui permettent de se remettre sur pied.

Sur base de ces explications, le Liban ne peut pas être considéré comme étant en faillite mais en butte à des difficultés financières découlant d’un manque de liquidités qui le rend pour le moment insolvable. Lorsqu’on dit que le Liban souffre donc d’une crise de liquidité, cela signifie qu’il s’agit d’une "incapacité circonstancielle (et/ou celle du secteur bancaire) à honorer ses engagements financiers et les échéances de sa dette, malgré l’existence des composantes de la solvabilité financière", comme le définit clairement l’étude de Mes Daher et Diab.

S’il applique un plan de redressement, indispensable mais qui se fait toujours attendre, ce problème d’insolvabilité devrait être à son tour réglé. Un tel plan pourrait prévoir par exemple la mise en place d’un fonds souverain pour la gestion des avoirs de l’État.

En attendant, le défaut de paiement du Liban, décidé en mars 2020 sous le gouvernement de Hassane Diab, ternit l’image du pays et sa réputation, ce que le Liban, comme toute autre nation d’ailleurs, ne peut pas se permettre.

L’argent des déposants

Il n’a pas de quoi rembourser sa dette et les banques, qui sont les principaux créanciers de l’État insolvable, n’ont pas suffisamment de fonds pour payer leurs déposants.

Se référant aux précisions du gouverneur de la BDL, Riad Salamé, Me Daher indique que la Banque centrale disposerait de 11 à 11,5 milliards de dollars et que les réserves en or seraient estimées à 17 milliards de dollars (sachant que la loi de 1986 empêche quiconque de toucher à l’or). "Ajoutons à cela les quelques 4 milliards de dollars disponibles dans les banques libanaises, d’après leurs comptes, cela fait 32 milliards de dollars qui ne suffisent certainement pas à répondre aux besoins des déposants en liquidité. La somme des dépôts de ces derniers s’élève à 103 milliards de dollars. En faisant la différence entre ce montant et ce dont l’État dispose, en principe, nous constatons qu’il manque 71 milliards de dollars. Ainsi, plus de 68% des dépôts ne seraient pas rendus à leurs ayants droit si aucune mesure n’est prise pour remédier à ce problème et combler déficit", explique le fiscaliste. Or, d’après lui, la solution réside, entre autres, dans un partage des responsabilités, à commencer par les fonctionnaires publics de troisième catégorie (nécessité de la levée du secret bancaire), les banquiers, l’État et la BDL.