Depuis qu’il est devenu le principal régulateur de la vie politique et constitutionnelle au Liban, l’accord de Taëf reste l’objet de vifs débats, 30 ans après sa signature. Ce document d’entente nationale, destiné à mettre fin à la guerre civile libanaise qui a débuté en 1975, a été signé le 22 octobre 1989, et a érigé les assises d’une réconciliation nationale. Cependant, il n’a jamais été pleinement mis en place pour évaluer l’opportunité de son maintien, ou de son amendement, voire carrément son abrogation au profit d’un nouveau contrat politique et social.

Il est vrai que le contexte politique international, régional et local qui avait favorisé la naissance de cet accord, en 1989, a fondamentalement changé, ainsi que la situation de ses parrains et leurs priorités. De plus, plusieurs nouveaux acteurs politiques ont émergé depuis, jouissant d’un poids prépondérant sur le plan régional et local. Mais il est tout aussi vrai que cet accord, malgré ses failles, a constitué – et continue de le faire -, un cadre politique qui tient compte de la spécificité libanaise dans toute sa complexité.

Il faut dire que le problème essentiel concernant cet accord réside dans le fait qu’il n’a été que partiellement appliqué, et mal appliqué, de surcroît. Et pour cause : certaines parties politiques ont bafoué cet accord en l’interprétant de manière à servir leurs propres intérêts politiques, faisant fi des termes du texte, et même de l’intérêt du Liban.

Par ailleurs, les attaques politiques dirigées contre ce document n’ont pas porté un coup aux constantes nationales importantes qu’il a établies, à son identité et son appartenance arabe, et à la répartition égalitaire du pouvoir entre musulmans et chrétiens, indépendamment de la croissance démographique. Aujourd’hui, ces constantes sont complètement remises en cause, voire même en danger, au risque de menacer l’entité libanaise dans son ensemble, son avenir, son rôle et sa mission.

L’un des problèmes majeurs de cet accord est probablement lié au fait qu’il a échoué à mettre un terme au sectarisme politique, en raison du refus d’établir une commission nationale visant à abolir ce dernier comme stipulé dans l’accord de Taëf. En effet, le recours à un discours sectaire, haineux et destructeur s’est poursuivi, repoussant de plus en plus toute possibilité de mettre ce sectarisme résolument de côté.

L’accord stipulait la création d’un Sénat, dans lequel seraient représentées toutes  les communautés religieuses, et doté de pouvoirs liés aux affaires de ces communautés, ce qui aurait ainsi permis de préserver leur représentation en politique et de dissiper les inquiétudes existentielles de chacune d’entre elles. En somme, le Sénat aurait " libéré "  la vie parlementaire et politique du sectarisme.

Ce système ressemble en quelque sorte au système bicaméral des États-Unis, avec une légère différence. Les États sont représentés proportionnellement au sein de la Chambre des représentants en fonction de leur taille et du nombre de leurs habitants, tandis qu’ils sont représentés de manière égale au Sénat, indépendamment de leur taille et de leur nombre d’habitants. Par conséquent, ce système bicaméral assure l’équilibre nécessaire, et préserve les droits des petits États par rapport aux plus grands.

Au Liban, la question nationale majeure qui consiste à abolir le sectarisme politique a toujours été un sujet de discorde et de surenchère pour la plupart des forces politiques qui ne manifestent aucune réelle volonté d’entreprendre des réformes politiques. L’article 95 de la Constitution, qui garantit la répartition équitable et " temporaire " des postes et des fonctions, est devenu une coutume permanente dont la transgression est désormais placée au rang de haute trahison. Pire et plus dangereux encore : cette pratique ne se limite plus aux institutions étatiques, mais s’est généralisée pour toucher toutes les institutions de la société, qui se trouvent à leur tour gangrenées par cette plaie qu’est la représentation sectaire.

La mise en place de la Commission nationale pour l’abolition du sectarisme politique constitue une porte d’entrée nécessaire pour relancer le débat autour de cette question, faute de quoi, le Liban continuera à être en proie à ce sempiternel fléau  politique, et son système restera impossible à réformer. Cette commission aurait pour but de mettre progressivement un terme aux manœuvres des acteurs politiques qui jouent sur la fibre communautaire de manière populiste pour arriver à leurs fins et mieux consolider leur influence, au lieu de guider les citoyens vers un État civil, qui préserverait leurs droits en tant qu’individus égaux, sans pour autant menacer leurs appartenances religieuses. Ainsi, leur liberté de croyance, telle que stipulée dans la Constitution libanaise, sera protégée.

Cette question, malgré son importance, ne doit pas occulter les autres réformes prévues par l’accord de Taëf et qui n’ont toujours pas été mises en place, au premier rang desquelles figure la décentralisation administrative (sans la décentralisation financière pour laquelle d’aucuns plaident et qui sent la partition). La décentralisation administrative contribuerait à la revitalisation des régions et des zones rurales, au renforcement de la démocratie locale, et à la consolidation d’une culture qui valoriserait la notion d’élections à toutes les échelles de la nation.

La politique qui dresse des barricades et sème la discorde entre les citoyens est éculée, et ne trouvera aucun écho auprès de la nouvelle génération. Le système politique qui serait viable est celui basé sur une justice sociale et une équité en politique, loin de tout sectarisme et régionalisme.

Partant, la naissance du nouveau Liban n’est pas pour demain !