Le 3 décembre, les vénézuéliens doivent se prononcer sur l’annexion de l’Essequibo, une région administrée par le Guyana et revendiquée par Caracas. Un scrutin dont l’issue fait craindre un éventuel conflit militaire entre les deux pays d’Amérique du Sud.

Après l’Ukraine et le Proche-Orient, vers une nouvelle explosion de violence régionale en Amérique Latine? Le 3 décembre, les Vénézuéliens se rendront aux urnes pour un référendum organisé par le président Nicolas Maduro. L’enjeu du scrutin induit une question potentiellement explosive: Caracas doit-elle annexer la région de l’Essequibo?

Derrière ce nom se cache une région frontalière du pays, aujourd’hui administré par le Guyana. Concrètement, les électeurs doivent se prononcer sur l’annexion de cette dernière.

Qu’est-ce que l’Essequibo?

S’étendant sur une surface de 159.542km² et peuplé de 135.000 habitants, l’Essequibo constitue un territoire dont la superficie englobe pas moins des deux tiers du territoire guyanien. Il est délimité à l’est par le fleuve éponyme, au sud par la frontière avec le Brésil et à l’ouest par celle avec le Venezuela.

La principale richesse de la région se cache dans son sous-sol. Bauxite, cuivre, fer, aluminium, or et diamants sont autant de minerais que l’on trouve dans la région proche du littoral.

Toutefois, l’objet de toutes les convoitises se trouve ailleurs. En 2015, la compagnie pétrolière américaine ExxonMobil annonce la découverte de gisements de pétrole offshores dans la zone économique exclusive du Guyana. Située à environ 200km de ses côtes, la moitié sont incluses dans l’Essequibo.

Pourquoi le Venezuela revendique cette région?

L’histoire de l’Essequibo est étroitement liée à la colonisation européenne en Amérique du Sud. À la fin du dix-huitième siècle, les Britanniques imposent progressivement leur domination dans la région. L’Essequibo passe définitivement sous leur contrôle en 1814. Ce qui n’est pas du tout du goût du Venezuela nouvellement indépendant: pour celui-ci, la véritable frontière est délimitée par le fleuve Essequibo, à l’est.

Pour régler ce différend conflit territorial, une commission d’arbitrage internationale se tient à Paris en 1899 et rend un jugement largement favorable à Londres, en définissant ce qui est aujourd’hui devenu la frontière occidentale du Guyana.

L’indépendance de pays en 1963 amène son voisin vénézuélien à déclarer nul l’arbitrage de Paris. En parallèle, celui-ci dépose une plainte auprès de l’ONU. Cette procédure aboutit aux Accords de Genève, signés en 1966. À travers ceux-ci, les deux parties s’engagent à trouver une solution négociée plutôt que de recourir à des moyens militaires. Néanmoins, aucune solution diplomatique n’a abouti depuis cette date.

Pourquoi assiste-t-on à un regain des tensions?

Depuis cette date, le différend territorial a persisté, empoisonnant les relations entre le Guyana et le Venezuela. Mais, la découverte des réserves de pétrole en 2015 aiguise l’appétit vénézuélien. D’autant que le pays s’enfonce dans la crise économique.

Hyperinflation, sous-alimentation, détérioration de la situation sanitaire et émigration massive deviennent le quotidien des Vénézuéliens, tandis que la pauvreté explose. L’imposition de sanctions économiques au régime par les Etats-Unis à partir de 2017 n’arrange rien, sinon de confirmer une fuite en avant autoritaire. Ces difficultés se font sentir sur la côte de popularité du président Maduro, qui plafonnait à 29% en octobre 2023, selon l’institut Consultores 21, basé à Caracas.

En parallèle, le contentieux de l’Essequibo a progressivement dépassé l’aspect uniquement territorial pour devenir  une question de fierté nationale, à grands renforts de propagande gouvernementale. La campagne pour le référendum le prouve, à travers une communication tonitruante.

Le président vénézuélien Nicolas Maduro s’exprime lors de la campagne de clôture du référendum sur la défense du territoire de l’Essequibo à Caracas, le 1er décembre 2023. (Pedro RANCES MATTEY, AFP)

Un nationalisme exacerbé en face duquel les autorités guyaniennes surenchérissent. À titre d’exemple, le président Irfaan Ali assistait en compagnie de ses troupes au hissage du drapeau national près de la frontière avec Caracas, le 24 novembre dernier.

Dans ce cadre, la question de l’Essequibo pour Nicolas Maduro relève davantage de l’opportunisme politique pour faire oublier les déboires économiques du pays. D’autant plus quand celle-ci est mise en perspective avec les prochaines élections présidentielles au Venezuela, prévues pour 2024. En détournant l’attention des problèmes actuels avec l’Essequibo, l’actuel dirigeant vénézuélien espère regagner du terrain dans les sondages en exaltant la fibre nationaliste.

Quel risque cela fait-il peser sur la région?

Le but du référendum au Venezuela est essentiellement consultatif, sans aucune portée contraignante. Il porte essentiellement sur la validation ou non des précédentes décisions juridiques, tout en proposant la création d’une province sur la base de l’annexion de l’Essequibo.

Si la probabilité d’une intervention armée reste faible à l’heure actuelle, elle reste toutefois une option. C’est en tout cas un scénario auquel se prépare Le Guyana. Ce dernier a notamment déclaré que le référendum constituait une menace " existentielle " pour le pays, car il pourrait ouvrir la voie à une mainmise " unilatérale et illégale " du Venezuela sur la région.

D’autant plus que Caracas a accru la mobilisation de ses forces armées près de la frontière, tout en menant des exercices dans la région. En réaction, le Guyana a relevé le niveau d’alerte de ses forces de sécurité. En parallèle, Georgetown a indiqué intensifier sa coopération avec Washington sur le volet militaire, allant jusqu’à émettre la possibilité d’installer des bases américaines sur son territoire. Enfin, le voisin brésilien s’est déclaré " préoccupé " par le " climat de tension entre deux pays voisins et amis " et a annoncé " une présence militaire accrue " à sa frontière nord.

Vue aérienne montrant la rivière Essequibo coulant dans une section de la forêt amazonienne dans la région de Potaro-Siparuni en Guyane, prise le 24 septembre 2022. (Patrick FORT, AFP)

Si le conflit venait à dégénérer en guerre ouverte, cela pourrait donc avoir des conséquences au niveau régional, voir mondial. En effet, Caracas est l’un des plus proches alliés de Pékin et Moscou. Une relation notamment illustrée par la présence d’éléments du groupe paramilitaire russe Wagner sur le territoire vénézuélien depuis quelques années, principalement pour une mission d’entraînement.

Dans ce cadre, la tentation d’une intervention militaire pourrait coûter cher à nicolas Maduro, puisque cela impliquerait nous seulement une réaction brésilienne, mais aussi américaine. Si les forces armées vénézuéliennes sont beaucoup plus puissantes que leur équivalentes guyaniennes, elles ne pourraient en aucun cas faire le poids face aux deux puissances dominantes dans la région. L’hypothèse d’une telle option serait donc synonyme d’un coup de poker pour l’héritier d’Hugo Chavez: celui-ci y jouerait très certainement sa survie.