Après l’adoption du projet de loi immigration dans la douleur, la majorité présidentielle était prise jeudi entre le feu de la droite et l’extrême droite, soucieuses que le texte soit exécuté à la lettre, et celui de la gauche, qui conjure Emmanuel Macron de ne pas l’appliquer.

"C’est très choquant. La loi a été votée, nous avons discuté pendant des heures entières avec la Première ministre (…) et on viendrait renoncer à la parole?" s’est insurgé jeudi le patron des Républicains Éric Ciotti au micro de France Inter.

La veille, Élisabeth Borne a annoncé que le texte adopté mardi soir par le Parlement "serait amené à évoluer", notamment, a-t-elle reconnu, parce que plusieurs mesures sont inconstitutionnelles.

Quelques heures plus tard, le président Emmanuel Macron a saisi le Conseil constitutionnel qui pourrait retoquer des dizaines de mesures chères à la droite et l’extrême droite, comme le conditionnement des prestations sociales ou le durcissement du regroupement familial.

"Si la parole du gouvernement et si, encore beaucoup plus fort, le vote du Parlement n’a aucune valeur, que vont penser les Français?" s’est agacé Éric Ciotti.

Le chef du parti LR Eric Ciotti (C) s’adresse à la presse après qu’un compromis a été trouvé sur le projet de loi visant à contrôler l’immigration à l’Assemblée nationale française à Paris le 19 décembre 2023. (Photo Ludovic MARIN, AFP)

Mais ce que la droite et l’extrême droite lui reprochent davantage encore, c’est le fait que l’exécutif s’en soit remis au verdict des juges constitutionnels, pour vider le texte d’une partie de son contenu.

Au printemps déjà, l’exécutif avait utilisé cette arme d’une saisie immédiate du Conseil constitutionnel sur sa très controversée loi retraite. Mais à l’époque, il s’agissait d’appuyer son avantage alors que le texte était passé au 49.3 dans un pays fortement opposé à la retraite à 64 ans.

Le projet de loi immigration est politiquement d’une tout autre nature. Visant à faciliter les expulsions de migrants illégaux et à rendre moins attractif pour les étrangers le système de protection sociale français, il est plutôt populaire dans l’opinion. Mais ses mesures ont finalement été adoptées avec les voix de l’extrême droite et à l’issue d’une âpre négociation avec les seuls LR, sans que les mesures soient passées au crible juridique du Conseil d’État.

Trente-deux départements de gauche ont, eux, annoncé leur intention de ne pas appliquer la loi, pour le volet qui les concerne: le versement de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), désormais conditionné à un délai de présence sur le sol français.

Mais, a anticipé le communiste Fabien Roussel, au-delà des départements, "vous aurez des maires, vous aurez des médecins, qui continueront de soigner, des présidents d’université qui continueront d’inscrire dans des facs". La numéro 1 de la CGT Sophie Binet a appelé à la "désobéissance civile et à la multiplication d’actions de résistance".

Des appels déjà entendus: mercredi soir, des centaines de personnes ont manifesté à Rennes, Lille, Dijon, Besançon ou Grenoble. De nouvelles manifestations sont annoncées pour jeudi soir.

La société civile de gauche a également posé sa pierre à l’édifice de la résistance. Plus d’un millier de signataires – artistes (Annie Ernaux, Jean-Pierre Darroussin, Laure Calamy…), syndicalistes et élus – ont appelé jeudi Emmanuel Macron à "se ressaisir" et à ne pas "promulguer ce texte de tous les dangers". Une "trahison" pour eux de la promesse d’Emmanuel Macron, en 2017 et en 2022, de faire barrage à l’extrême droite.

Maria Chami, avec AFP