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Coup de théâtre! Le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, a créé la surprise en annonçant que les élections générales au Royaume-Uni se tiendront le 4 juillet prochain, anticipant de plusieurs mois la date limite prévue de janvier 2025. Cette décision inattendue a provoqué une onde de choc dans les hautes sphères gouvernementales et parlementaires, où l’on s’accordait pourtant à dire que M. Sunak demanderait au Roi Charles III la dissolution du Parlement entre octobre et novembre prochain. Que se passe-t-il réellement derrière ce geste audacieux? S’agit-il d’un coup de poker risqué ou d’un coup de génie stratégique? La question se pose d’autant plus que l’opposition travailliste jouit actuellement d’une avance de plus de 20 points dans les sondages.

Rappelons dans ce contexte que le Parti conservateur, arrivé au pouvoir en 2010 sous la direction de David Cameron, a connu tant une gloire sans égale qu’une chute vertigineuse dans l’opinion publique. La gloire sans égale de la victoire de David Cameron en 2010, après 13 ans de gouvernement travailliste sous les directions successives de Tony Blair et de Gordon Brown, fut suivie par celle de l’ancien Premier ministre Boris Johnson, qui remporta la campagne du Brexit en 2016 et gagna, en 2019, la plus grande majorité conservatrice au Parlement depuis l’ère thatchérienne.

Cependant, les chutes vertigineuses se sont enchaînées avec le chaos politique et les instabilités marquées par la nomination de Theresa May, en 2016, laquelle n’a pu obtenir qu’une majorité relative à Westminster en 2017. Conséquences directes et indirectes du Brexit, des scandales à répétition de Boris Johnson, dont le plus retentissant fut le Partygate, et de la gouvernance désastreuse de Liz Truss, qui n’est restée au pouvoir que 44 jours. Le récent contexte mondial n’a fait qu’aggraver la situation: les problèmes économiques dus à la pandémie du COVID-19 et à la guerre en Ukraine ont amplifié les difficultés. Ainsi, l’électorat, comme c’est souvent le cas dans la majorité des démocraties, se focalise davantage sur les échecs et tend à blâmer le gouvernement en place pour tous les maux dont souffre le Royaume-Uni, qu’il en soit responsable ou non. M. Sunak se trouve donc au mauvais endroit au mauvais moment, bien que son bilan, depuis son arrivée au pouvoir, ne soit pas aussi désastreux qu’on le prétend. Bien au contraire!

Aujourd’hui, la décision d’anticiper les élections générales au Royaume-Uni a surpris beaucoup de ministres et de parlementaires dans les hautes sphères politiques du pays. En octobre 2022, une fois arrivé au pouvoir, Rishi Sunak avait formulé cinq promesses essentielles pour sa gouvernance: réduire l’inflation, accroître l’économie, diminuer la dette publique, réduire les listes d’attente de la NHS (service de santé publique) et mettre un terme à l’immigration clandestine. Malgré de nombreuses projections indiquant que certains de ces dossiers pourraient connaître une amélioration d’ici à l’automne prochain — notamment les listes d’attente, l’inflation et l’immigration —, Sunak a préféré prendre le risque d’anticiper les élections. Quels sont donc les facteurs qui ont poussé le Premier ministre à prendre cette décision surprise?

L’hypothèse la plus évidente serait que Rishi Sunak souhaite axer sa campagne électorale sur l’économie. Depuis son arrivée au pouvoir, l’inflation annuelle a chuté de 11,1% en octobre 2022 à 2,3% en mai 2024, devançant ainsi l’objectif des 2% initialement prévu pour fin 2025. Les taux d’intérêt sont en passe de baisser dans les mois à venir. De plus, une réduction de taxe responsable, mais notable, a été mise en place récemment, représentant une diminution moyenne de 900 livres sterling. La dette par rapport au PIB, bien que toujours significative, est en voie de réduction progressive: de 102% en 2022 (à l’arrivée de Sunak) à 97% en 2024, avec des projections de baisses encore plus marquées. Sunak entend ainsi jouer la carte de l’économie, d’autant plus que, selon des sondages réalisés par l’institut YouGov, il s’agit du premier sujet de préoccupation des électeurs britanniques.

Rishi Sunak mise également sur l’effet de surprise pour déstabiliser ses adversaires. En premier lieu l’opposition travailliste, donnée en tête de tous les sondages. Le Parti travailliste, dirigé par Sir Keir Starmer, ne s’attendait pas à des élections anticipées et devra donc accélérer la rédaction de son programme électoral, sur lequel les différends internes sont notables. Les points de désaccord les plus significatifs concernent la politique étrangère, notamment l’approche vis-à-vis d’Israël dans sa guerre dans la bande de Gaza, le financement considérable, mais quasi impossible, des promesses écologiques, ainsi que les promesses fiscales. Sunak espère que le manque de temps et l’effet de surprise créeront des dissensions au sein du parti travailliste, provoquant une guerre fratricide similaire à celle que les conservateurs connaissent depuis plusieurs années. Il espère aussi jouer sur le manque de charisme du leader du Parti travailliste, qui pourrait se montrer vulnérable dans les débats télévisés.

Ensuite, Sunak veut aussi parier sur un effet de surprise à l’encontre de Reform UK, un parti d’extrême droite, dérivé de l’aile de droite du Parti conservateur et dirigé par Nigel Farage, qui était crédité de 12% dans les sondages de YouGov. Reform UK n’aura pas le temps de s’organiser et de mener une campagne efficace. Nigel Farage a d’ailleurs annoncé que son parti ne participera pas aux élections générales britanniques, ce qui joue en faveur de Sunak, susceptible de récupérer une grosse partie de ces votes.

Finalement, Rishi Sunak joue sur la sûreté et préfère anticiper les élections de peur que les choses ne se détériorent dans certains dossiers. Son succès économique constitue un argument de taille face aux travaillistes, pour qui l’économie a historiquement représenté une faiblesse lors des campagnes électorales. Sunak craint que ce sujet ne soit plus la première préoccupation des électeurs, ce qui le ferait chuter encore plus dans les sondages. Il ne veut pas prendre le risque d’un échec de la loi d’immigration concernant le Rwanda et du décollage du premier avion à destination de Kigali (voir article du 06-05-2024). De plus, des projections réalisées début mai par la chaîne télévisée britannique Sky News estiment que les travaillistes n’obtiendraient qu’une majorité relative lors des prochaines élections générales. Sunak s’accroche à ce type de projection et tentera, autant que faire se peut, de renverser la situation afin de bénéficier lui-même d’une majorité, même si elle n’est que relative.

Bien que maints observateurs estiment que l’anticipation des élections générales constitue un coup de poker très risqué pour Rishi Sunak, ce dernier espère, tout infime que soit sa chance, renverser la donne pour en faire un coup de génie stratégique. Face aux nombreux problèmes hérités et à son impopularité toujours notable, Sunak tente d’améliorer, autant que possible, ses chances de remporter, même partiellement, les prochaines élections. Malgré les dissensions internes au sein de son parti, ce technocrate est parvenu à restaurer une certaine stabilité au Royaume-Uni et a amorcé un changement économique favorable. Il lui reste à démontrer, dans le mois et demi à venir, que les travaillistes ne constituent pas une option viable et crédible, étant dénués de réelles convictions. La réalité est que l’opposition capitalise sur les échecs des Tories sans proposer de plan alternatif clair et précis. L’unité autour de Sunak, bien que difficile à garantir, semble essentielle pour mettre en lumière les faiblesses actuelles des travaillistes. Mais est-ce trop peu, trop tard? Seul l’avenir nous le dira.