Celui qui croyait avoir tout vu en France depuis dimanche dernier n’a pas fini d’être surpris! Depuis l’annonce de la tenue d’élections législatives anticipées à deux tours, les 30 juin et 7 juillet prochains, les rebondissements politiques et les surprises électorales ne cessent de se multiplier. La plus notable d’entre elles est la supposée alliance entre le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen et Les Républicains (LR), représentant la droite gaulliste-chiraquienne modérée. En effet, mardi dernier, le président de LR, Éric Ciotti, s’exprimait au Journal de 13h de TF1, soulignant la nécessité d’une alliance LR-RN, annonçant ainsi une union des droites pour les prochaines législatives. Une décision qui a provoqué une vive contestation chez les ténors du parti et qui a mené à son exclusion lors d’un bureau politique mercredi. Quelles sont les raisons de cette décision unilatérale? Ce ralliement est-il si contesté parmi les adhérents LR? Ce psychodrame sans fin chez LR annonce-t-il l’implosion de la droite gaulliste? Finalement, n’est-ce pas là le but ultime du Rassemblement national ?

Il est difficile de savoir exactement ce qui se tramait dans la tête d’Éric Ciotti lorsqu’il a annoncé unilatéralement une alliance entre Les Républicains (LR) et le Rassemblement national (RN). Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. La première serait liée à l’affaiblissement historique de LR, notamment démontré lors de l’élection présidentielle de 2022. Cet affaiblissement est également perceptible dans le regard des électeurs de droite sur des questions identitaires, d’immigration et de sécurité, qui s’est progressivement rapproché des positions du RN. Les points de convergence entre les deux formations s’intensifient, en particulier en raison de la stratégie de dédiabolisation et de modération des positions politiques du RN depuis la défaite présidentielle de 2017. Sans compter que M. Ciotti n’a jamais pris la peine de masquer ses convictions que l’on ne peut qualifier de modérées.

Le calcul stratégique d’Éric Ciotti semble être que, face à l’union des gauches, il est impossible de s’allier à la macronie, ne laissant ainsi que le RN comme option viable. Cette décision constitue une rupture presque anthropologique pour LR. Historiquement, des tentatives de rapprochement ont existé, telles que l’élection des présidents de régions en 1998. Cependant, à la lumière des positions fermes de figures emblématiques comme Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy, cette alliance représente une rupture profonde. Elle complexifie considérablement la préparation de LR pour la campagne des législatives.

La décision d’Éric Ciotti, qui a déjà suscité une vague de départs au sein du parti, n’est pourtant pas désapprouvée par les adhérents de LR. Selon la plus récente enquête Odoxa-Backbone Consulting pour Le Figaro, la moitié des sympathisants de droite approuvent l’idée d’une alliance avec le Rassemblement national de Marine Le Pen. Cette proportion atteint 79% parmi les partisans du RN, dont les trois quarts soutiennent fermement ce pacte.

En provoquant l’implosion de LR par le biais d’un accord électoral risqué avec Marine Le Pen, Éric Ciotti n’a pas seulement livré le scalp de son parti à son ennemi historique, mais il a également réalisé l’objectif personnel de la dirigeante d’extrême droite. Depuis qu’elle a pris les rênes du RN en 2011, Marine Le Pen n’a cessé de souhaiter la dislocation de la droite gaulliste traditionnelle. Quoi de mieux que de dédier sa carrière politique à mettre fin au "piège mitterrandiste" et à rompre le "cordon sanitaire" de la droite? Pour mieux comprendre, un contexte historique est essentiel. Le piège mitterrandiste fait référence à une stratégie attribuée à l’ancien président François Mitterrand (gauche) qui aurait délibérément favorisé la montée du Front national (FN) de Jean-Marie Le Pen (actuel RN) dans le paysage politique français. Cette stratégie visait à diviser la droite traditionnelle pour faciliter les victoires électorales de la gauche. Si le FN parvenait à se hisser au second tour de l’élection présidentielle, il pouvait compter sur une diabolisation pour permettre des alliances entre la gauche et le centre afin de remporter plus facilement les élections. Cela permettait ainsi à la gauche mitterrandiste de gagner des élections en étant minoritaire, tout en ostracisant et diabolisant l’adversaire.

En réaction, la droite gaulliste-chiraquienne fut contrainte d’instaurer un cordon sanitaire, terme qui fait référence à une stratégie politique visant à isoler l’extrême droite, notamment le Front national, des autres partis politiques. Stratégie consistant à refuser toute alliance, coalition ou coopération avec l’extrême droite, même en cas de second tour d’élections où le candidat de l’extrême droite pourrait l’emporter face à un candidat de gauche ou centriste. L’objectif du cordon sanitaire est de maintenir l’extrême droite en dehors des responsabilités gouvernementales et de préserver un consensus républicain autour des valeurs démocratiques et républicaines de la France.

Mais comment Marine Le Pen est-elle parvenue à inverser la donne? A-t-elle intérêt à favoriser l’implosion de LR?

Marine Le Pen a habilement inversé la donne en initiant une stratégie de dédiabolisation et de modération politique à partir de 2012, stratégie qui s’est intensifiée après sa défaite présidentielle de 2017 face à Emmanuel Macron. Jadis perçues comme extrémistes, ses positions se sont progressivement alignées sur celles de la droite républicaine traditionnelle, particulièrement sur les questions cruciales telles que l’immigration, la sécurité et la délinquance. Elle a abandonné des propositions radicales telles que la sortie de la zone euro et de l’Union européenne, privilégiant une approche économique axée sur le pouvoir d’achat, plus sociale, dans le but de récupérer des votes à gauche et chez les jeunes. Son objectif ultime était de se dédiaboliser et, par conséquent, de redevenir politiquement acceptable et fréquentable pour une large frange de l’électorat français.

Aujourd’hui, le Rassemblement national tire profit et parvient à ses fins en s’alignant idéologiquement, avec une grande proximité, sur les questions cruciales de la droite traditionnelle républicaine. Cette convergence a contribué à l’implosion de LR, amplifiée par l’affaiblissement de la droite gaulliste et les aspirations de certains de ses membres, comme Éric Ciotti, à se rallier au RN pour renforcer leurs chances aux élections législatives. Cette dynamique a divisé et polarisé l’électorat LR, une partie significative envisageant de basculer vers le RN, estimée à environ 50% selon les sondages. Les autres se répartissent entre ceux qui resteront fidèles à LR sans se rallier à aucun camp spécifique et une fraction plus réduite qui pourrait se tourner vers le camp macroniste.

C’est là une stratégie mûrement réfléchie et une victoire politique de Marine Le Pen qui incarne aujourd’hui l’union des droites, implose le LR et récupère une large partie de l’électorat de la droite traditionnelle…