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Le spectacle pathétique d’un monde sans repères nous interpelle et nous renvoie à un état de désemparement abyssal. Des dictatures totalitaires aux abois qui n’ont d’autres alternatives à leurs déboires emboîtés que le déclenchement et l’entretien de conflits à géométrie variable, l’extension des friches sécuritaires transcontinentales et la création d’un climat d’angoisse et d’incertitudes. La guerre d’Ukraine, la guerre de Gaza et ses prolongements, la terreur d’État du régime iranien, les élections frauduleuses du Venezuela, la remontée du terrorisme islamiste sous la houlette iranienne, la prolifération de la criminalité organisée pilotée par les dictatures, les islamismes militants et la pseudo-diplomatie d’un impérialisme chinois cynique et délibérément fraudeur, ainsi que leurs répercussions sur les dynamiques politiques dans les démocraties occidentales, font désormais partie d’une configuration politique d’ensemble et de ses effets modulateurs.

La guerre d’Ukraine s’est installée dans la durée et perdure sous un prétexte géostratégique fallacieux, celui d’un état de siège imposé par l’alliance transatlantique, alors qu’il s’agit véritablement d’une politique de conquête qui a tourné court au profit d’une guerre insensée qui a détruit l’Ukraine et remis sérieusement en cause la survie d’une Russie néototalitaire qui a entièrement échoué sa transition postcommuniste, qui se réinvente un imaginaire géopolitique fait de délires sans commune mesure avec les aléas stratégiques réels que sont la Chine, les républiques islamiques d’Asie Centrale, les équipées impériales d’Afrique qui desservent les intérêts de la pègre russe et ses relais transcontinentaux. La folie criminelle du dictateur russe reflète des verrouillages de nature psychotique et les déphasages multiples d’un impérialisme vétuste entièrement coupé des réalités d’un monde en mutation. Le délire obsidional de Poutine s’est emparé d’un ethos multiséculaire de servilité et de soumission inconditionnelle à des régimes absolutistes et totalitaires, de peurs intériorisées et de géopolitiques en pleine décomposition pour se lancer dans une entreprise impériale absurde qui fragilise la Russie en proie à des crises systémiques.

La guerre de Gaza et ses ramifications ne sont que le théâtre adventice d’une politique iranienne de déstabilisation qui avance sur les décombres d’un ordre régional en lambeaux, de sociétés profondément désarticulées et de la modernité battue en brèche par l’islamisme militant, la résurgence du tribalisme, l’emprise de la criminalité organisée et la réduction des États à de faux-semblants institutionnels instrumentés par les politiques de puissance. La question palestinienne et la gesticulation sanglante du Hamas ne sont plus que les métonymies d’une politique de puissance iranienne sans scrupules. La question lancinante qui se pose, à l’heure actuelle, est celle de l’impact de la diplomatie américaine et son aptitude à opérer des retournements spectaculaires, en vue d’imposer des régimes de trêve et des intérims politiques qui peuvent relancer les négociations globales entre Israéliens et Palestiniens, tout en écartant une hypothétique guerre régionale.

Les chances d’une mutation sur les plans sécuritaire et diplomatique sont mineures tant que les commanditaires du côté palestinien sont les Iraniens, tant que les Palestiniens sont incapables de bâtir une plateforme indépendante de négociation et tant qu’ils s’installent dans le déni du fait israélien. Phénomène étrange après l’écoulement d’un centenaire à ce conflit. Les Israéliens, de leur côté, ont l’attention entièrement rivée sur la menace iranienne, le changement de la donne géostratégique et des rapports de force sur le plan régional. Le dossier palestinien n’est abordé que par ce biais. Le Liban, de son côté, a perdu sa titulature étatique et sert, dorénavant, de tremplin à l’expansionnisme iranien. Il paye et payera au prix fort sa déchéance politique et nationale et en subira les conséquences. La destruction intentionnelle de la raison d’État au bénéfice de la politique de domination chiite pilotée par l’Iran a fini, au bout de cinq ans de crises conjuguées, par en abattre les défenses immunitaires.

La fraude électorale spectaculaire qui a eu lieu au Venezuela met en relief les traits distinctifs du nouvel axe totalitaire en émergence et le caractère ubuesque d’un contre-ordre international qui rassemble des dictatures meurtrières en quête de titularisations frauduleuses, qui cherche à normaliser des profils de délinquance et à redéfinir les paramètres de la communauté internationale. Loin d’avoir arrêté les contours d’un nouveau glacis international, ces dictatures sont sujettes à des contestations internes, à des entreprises de délégitimation et à des controverses géopolitiques qui rendent compte de leurs insécurités diffuses. Les conflits géostratégiques s’organisent à l’intersection des dynamiques de l’intérieur et de l’extérieur et toute polémologie conséquente ne peut en faire l’économie. L’établissement des variables, des enjeux, des théâtres et des continuums ne relève pas de l’exercice intellectuel, mais des conjectures opérationnelles. L’appui aux oppositions de l’intérieur, le démantèlement des réseaux transnationaux du terrorisme et de la criminalité organisée, ainsi que les politiques d’endiguement définissent les registres de la nouvelle guerre froide et ses écheveaux multiples.

* Charles Bukowski, Tales of Ordinary Madness, 1967.