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La saga diplomatique du régime iranien est une récapitulation ennuyeuse de scénarios qui se répètent à l’identique et qui sont faits de mensonges, de manœuvres continues et d’objectifs imprécis et mutants. Que veulent les mollahs iraniens au juste et quel est le but? Leurs gesticulations renvoient à un seul objectif: la survie d’un régime entièrement discrédité qui n’a d’autres chances de survie que dans la déstabilisation du Moyen-Orient et dans la propagation d’un islam totalitaire qui s’inscrit dans la mouvance des Frères musulmans. Il est opportun de se rappeler qu’au début des "printemps arabes", le régime iranien, les satrapies d’Arabie et l’Arabie saoudite se montraient très appréhensifs à l’égard des vagues réformistes et de la prévalence du discours des droits de l’homme au détriment des élucubrations idéologiques de l’islam militant et fortement acquis aux politiques de puissance qui se sont emparées des conflits internes au profit des dynamiques externes de prédation.

Les Iraniens ont réussi à faire aboutir une politique de conquête progressive qui s’est effectuée aux dépens de l’ordre régional déjà pulvérisé, de la prégnance des États territoriaux et de la paix civile, et qui a promu de profondes désarticulations politiques et sociales qui ont transformé cette aire géopolitique en un dépotoir d’États faillis, où des friches sécuritaires se sont installées de manière durable. La politique de puissance iranienne doit sa survie aux béances stratégiques, aux structures étatiques et sociétales délabrées, à l’émergence de l’islam militant et à l’état d’insécurité diffuse qui définissent le tableau clinique d’une région entièrement éclatée.

Les points névralgiques se succèdent de manière continue et la région offre le spectacle d’un espace géopolitique dépourvu de tout ancrage stratégique et de tout repère normatif qui expliquent le caractère nihiliste des conflits qui s’y déploient de manière ininterrompue. Les effondrements successifs du Yémen, de l’Irak, de la Syrie, du Liban, de la Libye et l’exploitation des impasses palestiniennes ont été adroitement mis à profit par la politique iranienne qui s’en est emparée en vue d’asseoir son pouvoir d’arbitrage sur les plans régional et international, de remettre en cause la territorialité politique, de refaçonner la géographie humaine des pays respectifs et d’instituer des régimes de conflits gelés et de suzerainetés durables.

Le statut du proconsul impérial a servi de substitut fonctionnel aux souverainetés étatiques et le pouvoir discrétionnaire de ses lieutenants tient de mécanisme de régulation à des conflits en état d’engendrement incessant. Israël est la seule exception à cette politique de mainmise et l’unique obstacle à une politique impériale qui se croit victorieuse à terme, d’où les projections idéologiques de l’"uniformité des champs de bataille", le caractère nihiliste des conflits et les scénarios à somme nulle qui définissent les enjeux en cours. Une représentation familière pour les connaisseurs de la région et ses articulations idéologiques et stratégiques: le monolithisme idéologique et politique de l’islam et ses modulations opérationnelles.

Le 7 octobre 2023, loin d’être un accident de parcours aux effets réparables à terme, institue une césure à partir de laquelle s’organise une nouvelle dynamique irréversible: il n’est plus question pour les Israéliens, toutes obédiences comprises, de s’accommoder de la politique de subversion iranienne et de composer avec des intérims politiques et sécuritaires qu’on reconduit de manière cyclique. La menace existentielle est trop évidente pour donner lieu à des rémissions et des compromis boiteux et soumis à des aléas. La mort des accords de paix, le retour en force des irrédentismes idéologiques, la prise du pouvoir par des extrémistes de part et d’autre font désormais appel à des recadrages politiques et stratégiques qui vont inévitablement changer la donne géopolitique et redéfinir ses coordonnées et enjeux.

Du côté palestinien, on assiste à la reproduction d’une configuration qui n’a cessé de porter atteinte à l’autonomie morale et politique des Palestiniens, qui a donné lieu aux politiques alternées d’instrumentalisation de la scène palestinienne, aux horreurs de la stratégie des boucliers humains et à la figure du malheur palestinien comme un trait pérenne et empreint de fatalité. Indépendamment du fait que le déni du fait national israélien soit à l’origine d’une attitude rédhibitoire qui a détruit toutes les chances d’une réconciliation qui pouvait s’opérer à des étapes différentes dans l’histoire de ce conflit et fournir une assise à tout un legs de négociations et de résolutions qui ont scandé l’histoire de ce conflit. Le fait d’associer les Iraniens aux négociations se rapportant aux trêves intérimaires est en soi un facteur de sabotage, dans la mesure où ils vont s’en servir pour asseoir leurs lignes de partage, leur recours obligé et leur pouvoir discrétionnaire.

Il n’est pas du tout question pour les Israéliens d’avaliser l’intermédiation iranienne comme recours obligé ou comme facteur stratégique incontournable. Le conflit entre Israël et le régime islamique en Iran se joue bien au-delà des confins du conflit israélo-palestinien, il se joue en Iran et aux niveaux régional et international. Malheureusement, les Palestiniens sont de nouveau tombés dans le même piège, celui de servir de monnaie d’échange dans des conflits de substitut. Il n’est pas question pour les Israéliens de concéder sur des enjeux stratégiques et d’envisager des trocs, où la sécurité nationale est hypothéquée au bénéfice d’un chantage humanitaire: celui des otages israéliens, de la poursuite de la politique criminelle des boucliers humains et du nihilisme qui est devenu consubstantiel à la militance palestinienne et ses effets dévastateurs et déshumanisants.

La seule perspective réaliste est celle d’une libération inconditionnelle des otages israéliens doublée de la libération de prisonniers palestiniens, le retrait du Hamas des scènes politique et militaire, la mise en place d’une gouvernance internationale de Gaza, d’un plan de démilitarisation et de reconstruction et le renouement avec les négociations d’ensemble. Autrement, la radicalisation idéologique va se poursuivre de part et d’autre et la guerre des limes va reprendre en vue d’induire des remaniements géostratégiques qui mettraient fin aux vulnérabilités d’un régime sécuritaire aléatoire qui se ressource dans des fondamentalismes idéologiques et des nihilismes meurtriers. Ces observations s’appliquent, mutatis mutandis, au Liban où le Hezbollah a détruit l’État libanais et s’en sert comme levier de déstabilisation au niveau régional. Le Liban, la Syrie, l’Irak, les territoires palestiniens ne sont que des pions dont le régime iranien se sert en vue d’avancer sa politique de domination régionale. L’application des stipulations de l’armistice de 1949 et des résolutions 1701 et 1559 est préalable à toute stratégie opérationnelle, sinon nous butons sur des blocages rédhibitoires.

Il n’est du tout pas question du côté israélien de reconduire la politique des limes stratégiques fluctuantes et la question de la destruction de la dynamique impériale iranienne est plus prégnante que jamais. Loin d’être un choix politique propre à Benjamin Netanyahou, la neutralisation de la politique de sabotage iranienne relève, désormais, d’un impératif stratégique qui associerait Israël et les États-Unis. Les aléas d’un engrenage de guerre froide est contrebalancé par une conjoncture internationale peu favorable et des intérêts géostratégiques peu contraignants pour la Chine et la Russie.

Des hypothèses opérationnelles peuvent donner lieu à des solutions intérimaires, mais à la seule condition de ne pas porter ombrage aux conditions préjudicielles d’un nouvel ordre régional où la reconnaissance, la réciprocité morale et les règlements négociés serviront de paradigme. L’unanimité de la politique israélienne en la matière est incontournable en dépit des divergences politiques et idéologiques. Il faudrait se montrer sceptique sur les chances d’un règlement global et appréhensif à l’endroit des démarches diplomatiques en cours, tout en misant sur l’"heuristique de la peur" et en demeurant pessimiste quant aux enfermements psychotiques des idéologies islamistes et des effets traumatisants des conflits de longue durée.