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Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, en février 2022, une nouvelle approche de recrutement militaire a émergé en Russie, maniée par le président Vladimir Poutine. Poussé par le besoin de recrues, le gouvernement russe emploie une double stratégie commerciale et idéologique. Comment le culte de la mort est-il mis au service de la guerre dans le cadre d’un modèle économique taillé sur mesure?

Depuis le lancement de son "opération militaire spéciale" en Ukraine le 24 février 2022, le président russe, Vladimir Poutine, a organisé plusieurs campagnes de conscription militaire et de recrutement volontaire pour alimenter son armée. Ceci a provoqué la fuite de centaines de milliers de jeunes Russes vers l’étranger, afin d’éviter l’enrôlement.

Le gouvernement s’est alors tourné vers une stratégie à la fois économique et idéologique pour entretenir ses objectifs guerriers. À coups de primes, de compensations, d’avantages sociaux et de privilèges financiers, les autorités russes entretiennent, parallèlement, le culte du héros servant la nation. Poussé à l’extrême, ce culte devient une apologie de la mort. La famille d’un soldat russe mort au combat peut encaisser près de 80.000 dollars.

"Environ 385.000 personnes se sont enrôlées dans l’armée russe en 2023", avait indiqué l’ex-président russe Dimitri Medvedev, membre du Conseil de sécurité russe. Il s’était alors félicité du "fort esprit patriotique" et du "désir des citoyens de défendre leur patrie".

Comment Poutine et son équipe s’y prennent-ils pour attirer ces effectifs?

Des offres marketing alléchantes

Les campagnes de recrutement militaire, visant les jeunes hommes âgés de 18 à 30 ans, sont calquées sur les campagnes publicitaires.

Sur le modèle du "Un acheté, deux gratuits", le gouvernement russe n’hésite pas à diffuser des slogans du type "Amène un copain au bureau militaire et tu toucheras 100.000 roubles" (environ 1.000 dollars).

M. Poutine a doublé, en juillet dernier, la solde mensuelle des contractuels. Passant de 195.000 roubles à 400.000 roubles, elle équivaut à un salaire moyen multiplié par dix.

Une prime forfaitaire de 1,2 million de roubles est également versée à l’engagement.

En outre, les jeunes combattants russes se voient offrir un accès aux plus prestigieuses universités du pays sans examen d’entrée. Leurs familles bénéficient, entre autres, de crédits immobiliers à taux préférentiels et d’une retraite confortable.

"Tous les membres des familles de nos soldats tués au cours de l’opération militaire spéciale en Ukraine bénéficieront d’une couverture d’assurance statutaire et d’une somme forfaitaire, soit 7.421.000 roubles (l’équivalent de 80.885 dollars, NDLR)", avait déclaré M. Poutine, en mars 2022, aux membres permanents du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie.

"En outre, une indemnité mensuelle sera versée à chaque membre de la famille du défunt", avait-il promis.

Il semble que ce pactole titille la cupidité, attirant un père ayant abandonné son fils alors qu’il avait trois ans. Le géniteur biologique réapparaît après la mort du jeune homme, à 26 ans, en Ukraine, pour réclamer la moitié de l’indemnité de guerre de son fils! Une histoire rapportée en novembre 2022 par Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL), organisation médiatique internationale.

Une base idéologique

Ce nouveau modèle économique où l’on s’enrichit grâce à la guerre est désigné par l’économiste russe Vladislav Inozemtsev comme une "économie de la mort". Or, ce système est doublé d’une dimension idéologique, garante de sa réussite.

Selon Dina Khapaïeva, historienne et sociologue russe, ce qui prédomine en Russie sur le plan idéologique, ce n’est pas un culte de la mort, mais ce qu’elle appelle la thanatopathie, du grec thanatos (mort), et pathos (ce dont on souffre). Il s’agit de valoriser la pulsion de mort comme un objectif héroïque.

La chercheuse a étudié le rôle de la mort et de la violence dans la culture moderne dans son ouvrage, The Celebration of Death in Contemporary Culture ("La célébration de la mort dans la culture contemporaine"). Elle se penche sur l’émergence et la signification du culte de la mort, ainsi que son évolution dans la culture occidentale contemporaine.

Dans un monde où l’argent décide de tout, tout est commercialisé, même la mort.

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