Par Nicolas BeauLes liens tissés par la Russie avec les pays asiatiques les plus peuplés montrent un Vladimir Poutine moins isolé qu’on ne veut bien le croire en Europe. Sans pour autant que ce soutien venu de l’Asie soit pour l’instant franc et massif.

Une solidarité prudente avec la Russie de la part de la Chine ou de l’Inde, qui compte tenu de leur poids démographique, pèsent lourd dans la balance des soutiens mondiaux à Vladimir Poutine.

Les réactions du continent asiatique au spectaculaire conflit en Ukraine vont d’une solidarité prudente avec la Russie de la part de la Chine ou de l’Inde par exemple à une condamnation de l’agression russe (Japon, Corée du sud, Thaïlande et Indonésie ). Sans même évoquer le franc soutien à Moscou de la très démocratique Corée du Nord ou encore du paradis des droits de l’homme qu’est la Birmanie.

Au total, la résolution des Nations Unies s’opposant " au recours à la force " contre l’Ukraine est passée devant l’Assemblée générale de l’ONU le 2 mars, après avoir été approuvée par 141 des 193 membres que compte l’organisation. Mais si l’on tient compte des abstentions, près d’un quart des votes, et du poids démographique du camp pro-russe, Vladimir Poutine est nettement moins isolé que ne veut le croire le monde occidental, et notamment l’Union européenne.

De tous les pays de la région Asie Pacifique, les réactions des deux géants asiatiques sont particulièrement éloquentes. Le pays le plus peuplé de la planète, la Chine, et la " plus grande démocratie du monde ", l’Inde, se sont tous les deux abstenus de voter en faveur de la résolution de l "ONU contre la Russie. Si ces deus pays accentuaient leur solidarité avec Moscou dans un monde bipolaire marqué par une guerre froide généralisée, le sort du monde en serait sans doute changé.

" Un partenariat nucléaire " Pékin-Moscou ?

Citant des sources auprès des services français de renseignement, l’hebdomadaire français " Le Canard Enchainé ", généralement très bien informé, décrit le scénario du pire. Celui de la patronne des seize agences de barbouzes américaines, Avril Haines, et du commandant en chef des forces nucléaires aux États Unis, l’Amiral Charles Richard. Un " partenariat stratégique " en matière d’armement nucléaire serait envisagé par Moscou et Pékin. Le 8 mars dernier, Madame Haines a été entendue à huis clos sur cette question par la Chambre des représentants, l’équivalent de l’Assemblée Nationale française

La facture d’un renforcement de l’alliance avec Mpscou serait très lourde pour Pékin, pris en tenaille entre la tentation d’une solidarité anti-occidentale sans failles et ses intérêts économiques bien compris.

La Chine ambivalente

La Chine, qui avait, avant la guerre en Ukraine, loué " l’amitié éternelle " entre Pékin et Moscou, est cependant bien embarrassée par l’aventurisme du président Vladimir Poutine même si ses médias dénoncent avec force la responsabilité américaine dans ce conflit.. L’économie de la République populaire est profondément intégrée à la mondialisation des échanges. es sanctions prises contre la Russie vont avoir des conséquences pour tout le monde. Ses liens commerciaux avec la Russie, même s’ils n’ont cessé de se renforcer, restent somme toute modestes quand on les compare avec ceux existant entre la Chine et l’Union européenne.

Bref, la Chine, même si elle s’accorde avec la Russie pour s’allier contre l’ "Occident " honni, forcément honni, a beaucoup à perdre en cas de poursuite de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, compte tenu des menaces sur le commerce mondialisé, la vache à lait de l’empire chinois.

Deuxième motif d’inquiétude pour Pékin, même si la Chine a proclamé, au début de l’invasion, " comprendre la Russie " : toute violation de souveraineté constitue aux yeux des Chinois une " ligne rouge " à ne pas franchir. Le régime chinois ne peut en effet entériner, sur le principe, pareille violation du territoire d’un pays indépendant par un autre. Les hiérarques du Parti communiste ont toujours à l’esprit ce qui pourrait servir de précédent à une quelconque attaque de l’un de ses " voisins ennemis " sur ses zones frontières, l’Inde et le Vietnam…

Entre la volonté d’afficher son soutien à l’ "ami " Poutine et son obsession de sa propre souveraineté, Pékin reste donc sur une ligne de crête ambivalente. Pour l’instant, la Chine renonce à jouer les messieurs bons office entre Kiev et Moscou, tout en se disant prêt à " faciliter le dialogue " en vue de la résolution du conflit. Elle s’est ainsi abstenue de voter aux Nations Unies, démontrant sa réserve à l’égard de l’agression russe. Mais tout en condamnant les sanctions prises contre Moscou.

Vladimir Poutine s’est rendu à New Delhi en décembre 2021 malgré la pandémie afin de renforcer les liens avec l’Inde, un allié de longue date aujourd’hui courtisé par les Etats-Unis.

L’Inde anti chinoise

La réaction de l’Inde est ambigüe : elle s’est, elle aussi, abstenue lors du vote à l’ONU. Même si elle a diversifié ces derniers temps son approvisionnement en armements, – elle a par exemple signé un gros contrat pour la livraison d’avions français " Rafales " -, l’Inde reste très dépendante de la Russie : elle achète 60% de son matériel militaire aux Russes : avions, hélicoptères, sous marins.

Le conflit la met par ailleurs mal à l’aise pour une autre raison, qui rend sa position de neutralité difficile : l’Inde fait partie de l’alliance informelle du dialogue à quatre, " le Quad ", avec les Etats-Unis, l’Australie et le Japon. Un regroupement dont la création est de fait une réponse à l’émergence de la Chine dans la zone Indo Pacifique.

La Chine et l’Inde sont des rivaux de longue date, les deux nations s’étant affrontées dans une guerre courte et sanglante en 1962. L’année dernière de sérieux incidents de frontière ont eu lieu entre les deux armées dans l’Himalaya. La guerre en Ukraine vient ainsi bousculer cette équation et fragiliser l’Inde au sein de ce " Quad " alors que son partenariat avec les Etats Unis lui est indispensable pour faire pièce à la montée en puissance chinoise…
Comme la Chine, l’Inde a le sentiment d’être pris en tenaille.

La Birmanie, à l’avant garde des amis de Moscou
Des colonnes de fumées noires s’échappent du village de Waraisuplia dans l’État Kayah en Birmanie, le 18 février 2022.

S’il y a bien un pays à qui l’invasion russe a fait un certain plaisir, c’est à la Birmanie où les militaires au pouvoir o,t pu accentuer la répression féroce exercées contre sa population. Les généraux putschistes ont multiplié les voyages à Moscou depuis un an. Au point de paraître plus poutiniens que Poutine.

Loin des regards d’une communauté internationale rivée à l’Ukraine, le chef de la junte putschiste, Minh Aung Hlaing, en profite pour rééditer la politique de terreur et de terre brulée expérimentée en 2017 en Arakan par ce même général, alors commandant en chef de l’armée birmane et ministre de la Défense, contre la minorité musulmane rohingya. Le 15 mars, le Haut-Commissariat de l’ONU pour les droits de l’homme a accusé l’armée birmane de s’être livrée à des " violations et à des atteintes systématiques et généralisées aux droits de l’homme ", et de montrer un " mépris flagrant pour la vie humaine ". Certaines de ces violations " pourraient être assimilées à des crimes de guerre et à des crimes contre l’humanité ", estime l’ONU, qui a pour habitude de laisser le soin aux tribunaux de trancher.

Seul souci, l’ambassadeur de la Birmanie à l’ONU a voté, lors de l’Assemblée générale consacrée le 4 mars à la guerre en Ukraine, pour le renforcement des sanctions contre la Russie.Ce diplomate en effet, Kyaw Moe, était parvenu depuis le début de la répression en Birmanie à conserver le siège et la fonction qui lui avait été confiés par le gouvernement " démocratique " antérieur au coup d’État. Depuis le putsch, l’ambassadeur refuse d’obéir à la junte, et vote selon les instructions reçues du gouvernement d’unité nationale, issu des élections du 8 novembre 2020.

Le Pakistan sans états d’âme
Le président Vladimir Poutine accueillait les 23 et 24 février le Premier ministre du Pakistan.

Qu’allait faire le Premier ministre pakistanais Imran Khan à Moscou au lendemain de l’entrée des troupes russes en Ukraine ? Alors que la grande majorité des pays du monde condamne dans des termes univoques l’aventurisme militaire dangereuxde la Russie, que le droit international qualifie " d’invasion ", le président Vladimir Poutine accueillait les 23 et 24 février le Premier ministre du Pakistan.
Un séjour moscovite au timing inattendu. L’ancienne star du cricket qy’est ce Premier ministrea " regretté " que le conflit n’ait pu être évité, mais sans préciser la responsabilité de la guerre.

Japon et Corée-du-Sud, une fermeté anti russe.

Beaucoup plus qu’après l’invasion de la Crimée par la Russie, en 2014 n’avait pas fait de vagues. Cette fois ci, c’est différent.Le Japon n’a jamais signé de traité de paix avec la Russie depuis sa défaite en 1945. C’est qu’un contentieux territorial épineux avec Moscou subsiste: l’occupation par les Russes, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, de quatre îles de l’archipel des Kouriles, près d’Hokkaido, à l’extrême nord du Japon.

De manière générale, cette lointaine guerre en occident peut aiguiser les tensions en Asie du nord-est pour deux raisons. La Corée-du nord, on l’a vu, qui soutient Moscou inquiète toujours la Corée du Sud qui sans hésitation, dénonce l’invasion russe. D’autant plus que le rapprochement Sino-russe inquiète également Séoul.

L’Asie du sud-est détourne le regard

L’Asie du Sud est est divisée au sein de l’organisation régionale de l’Asean, Le Vietnam, client de la Russie, s’est abstenu durant le vote de l’ONU, ainsi que le Laos et le Cambodge. La Thaïlande et l’Indonésie ont condamné l’invasion. Même si cette dernière reste prudente dans sa réaction : l’archipel indonésien est aussi un grand acheteur de matériel russe : avions de chasse sukhoi, Migs, hélicoptères etc.

La Russie, si elle n’a pas que des amis en Asie, y conserve donc des alliés de poids. De tous, ce sera évidemment les Chinois qui compteront le plus. Si sa " quasi alliance " avec la Russie semble promise à une longue vie, Pékin a intérêt, pour des raisons économiques, à ce que cette guerre ne dure pas.

 

Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l’Institut Maghreb (Paris 8) et l’auteur de plusieurs livres: " Les beurgeois de la République " (Le Seuil) " La maison Pasqua "(Plon), " BHL, une imposture française " (Les Arènes), " Le vilain petit Qatar " (Fayard avec Jacques Marie Bourget), " La régente de Carthage " (La Découverte, avec Catherine Graciet) et " Notre ami Ben Ali " (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)
Cet article a été publié par Mondafrique