La " dénazification " de l’Ukraine, motif invoqué par Moscou pour justifier son offensive militaire, s’inscrit dans la stratégie de réécriture de l’histoire engagée par Vladimir Poutine pour imposer un nouveau grand récit national, explique à l’AFP l’historien français Nicolas Werth.

Manuels d’histoire réécrits, passage sous silence de faits historiques jugés peu glorieux, lois mémorielles punitives : en dix ans, le pouvoir russe a considérablement resserré son emprise sur la " mémoire historique " du pays, relève ce spécialiste de l’Union soviétique à l’occasion de la sortie jeudi en France de son essai " Poutine, historien en chef " (Gallimard).

" Il y a un crescendo, tout cela s’est fait progressivement, c’est un mouvement de fond qui montre le durcissement du régime de plus en plus autoritaire, voire dictatorial, de Vladimir Poutine ", souligne M. Werth, président de la branche française de Mémorial, une ONG spécialisée dans le recensement des crimes de l’ère soviétique et dissoute en décembre dernier par la justice russe.

" Ce mouvement, qui s’est accentué depuis 2012 et le troisième mandat de Poutine, s’est encore accéléré depuis l’entrée en guerre de la Russie " en Ukraine le 24 février dernier et le musellement de médias indépendants et d’ONGs qui s’est ensuivi, poursuit-il.

Depuis l’arrivée au Kremlin de Vladimir Poutine en 2000, le pouvoir russe a selon lui multiplié les mesures et lois visant à imposer un nouveau récit national " ultra nationaliste, profondément anti occidental et anti européen ".

" C’est un récit qui met au coeur de l’identité russe le grand épisode glorieux de la grande guerre patriotique ", la Seconde Guerre mondiale, décrypte M. Werth. " Il est centré autour de l’idée de la gloire militaire de la Russie, une sorte de Russie éternelle, qui tourne le dos à l’Europe, et extrêmement hostile aux valeurs dégénérées portées par l’Occident ".

Un pays " dominé par un groupe de nazis " 

En 2014, au moment du mouvement pro européen du Maïdan et de l’annexion – non reconnue par la communauté internationale – de la Crimée par Moscou, ce récit s’étoffe d’une nouvelle rhétorique : l’Ukraine serait un pays dominé " par un groupe de nazis ", une affirmation s’appuyant sur les mouvements nationalistes d’extrême droite existants dans les années 30.

" C’est l’accroche historique qui permet à Poutine de prétendre que les Ukrainiens sont contaminés par ce virus du nazisme ", relève M. Werth. " Ce terme même de fascisme ukrainien est devenu un élément important de la propagande au quotidien que l’on trouve à la télévision, dans les médias ".

Martelé quotidiennement, le nouveau " roman national " trouve une certaine adhésion auprès d’une population " désorientée " après l’effondrement de l’URSS et de l’échec du récit national que Boris Eltsine a tenté de mettre en place dans les années 90, récit qui convergeait " vers la modernité occidentale ".

" Le nouveau récit mis en place par Poutine répond à une demande de la société qui est de redonner une certaine fierté à la Russie, au peuple russe, dans un moment de doute et de reconstruction, avec un besoin de s’ancrer dans un passé plus positif ", note l’historien.

Progressive, cette réécriture prend différentes formes. À partir de 2009, plusieurs institutions étatiques chargées de contrôler l’écriture de l’histoire voient le jour et sont confiées à des proches de M. Poutine.

Parmi elles, la société russe d’histoire militaire, créée en 2012, vise à " inculquer le patriotisme et contrer les initiatives visant à dénaturer et discréditer l’histoire militaire ".

Protéger la vérité historique 

À l’été 2020, une nouvelle étape est franchie avec l’inscription dans la Constitution d’un article disposant que la Fédération de Russie " protège la vérité historique ".

Des lois mémorielles sanctionnant la diffusion de fausses informations sur l’URSS pendant la Seconde Guerre mondiale ou qui ne respecteraient pas les " dates de la gloire militaire " sont promulguées.

Parallèlement, les manuels d’histoire sont remaniés et ne livrent " à partir de 2014-2015 qu’une unique interprétation du passé ", note M. Werth, avec une part consacrée aux répressions de masse de l’ère stalinienne réduite à peau de chagrin.

Cette réécriture de l’histoire s’accompagne d’une répression des voix dissidentes, non conformes avec la doxa officielle – une tendance qualifiée de " crime contre l’histoire " par la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH).

Avec AFP

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