Parce que la relation entre le Liban et la France est millénaire et qu’elle a toujours été bienveillante, je me permets de m’adresser à l’ambassadrice de cette nation à Beyrouth, avec tout le respect que nous lui devons, afin d’élucider et de mieux comprendre les nuances de la politique française vis-à-vis du Liban au vu, notamment, des derniers développements en Iran.

Le 21 septembre dernier, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, Emmanuel Macron serrait la main du président iranien Ebrahim Raïssi, alors qu’au même moment des Iraniens se faisaient tuer dans la rue, suite à la mort de Mahsa Amini sous la torture des gardiens des mœurs. Une rencontre applaudie par la presse iranienne. La réunion était axée sur le dossier du nucléaire iranien. La question des droits des femmes n’aurait été que succinctement abordée par le président français. Le journal Shahrvand a indiqué que M. Macron a invité son homologue iranien à lui rendre visite à Paris.

Après la mort d’au moins 326 manifestants tués par les forces iraniennes, dont 43 enfants et 25 femmes (selon les chiffres de la justice iranienne), et alors que 15 000 manifestants sont en état d’arrestation et sont passibles d’une peine de mort, sur base d’une loi votée par 227 des 290 députés du Parlement iranien, le même président Emmanuel Macron recevait le 11 novembre à l’Élysée une délégation de militantes iraniennes composée de Masih Alinejad, basée à New York et qui encourage les femmes iraniennes à protester contre l’obligation du port du voile, Shima Babaei, ancienne prisonnière politique qui se bat pour avoir des informations sur son père dont elle est sans nouvelles, Ladan Boroumand, à la tête d’une ONG de défense des droits de l’homme, et Roya Piraie, dont la mère a été tuée par les autorités au début des manifestations.

Emmanuel Macron a déclaré son admiration, son respect, son soutien, aux militantes iraniennes " car leur combat est celui des valeurs qui sont la devise, il est celui d’un universalisme de liberté auquel nous croyons"… Ces femmes portent ce combat “avec un courage exceptionnel, au prix de leur vie, de celle de leurs proches”. Il a ajouté: " Les petits enfants de la révolution font une révolution. (…) Ce qui est le plus impressionnant, dans ce mouvement, cette révolution, c’est que ce sont des jeunes femmes et des jeunes hommes qui n’ont jamais vécu que sous ce régime. Ils ont vécu avec cette République islamique d’Iran, sont nés après 79”, a poursuivi le chef de l’État français.

“Ces femmes disent : ‘On vous ment en notre nom, parce que n’allez pas croire que ce voile nous le portons avec bonheur. Nous voulons nous en débarrasser ou, en tout cas, avoir la possibilité de choisir”, a relevé Emmanuel Macron. Le président de la République a affirmé que “certains ne sont pas encore” sanctionnés, dont les Gardiens de la révolution, et “qu’un travail a été fait au niveau européen avec des listes complémentaires” pour “améliorer le ciblage, la précision de ces sanctions”.

Fait marquant puisque c’est la première fois depuis la révolution islamique de 1979 qu’un président français en exercice soutient ouvertement des opposants au régime.

Quelques jours après, branle-bas de combat à Téhéran, la presse qui louait Macron se moque de lui et le caricature même en clown de l’Élysée, en "une" d’un quotidien. Très vite, l’Iran interdit l’importation d’automobiles françaises et annonce deux autres arrestations de ressortissants, portant à sept le nombre de détenus français dans les prisons iraniennes. L’Iran accuse même la France d’ingérence dans les manifestations anti-régime par l’intermédiaire de ses services de renseignements.

Concernant le Liban, Macron déclare en février 2019, faire le " distinguo " entre la branche militaire du Hezbollah qu’il qualifie de " terroriste " et le mouvement politique avec lequel Paris peut " échanger ". " Ce distinguo permet de lutter contre ceux qui ont des actions strictement militaires de type terroriste et de poursuivre cette politique dite de dissociation du Liban, afin d’éviter que le Liban ne soit en quelque sorte le théâtre importé des conflits régionaux ".

Le surlendemain de l’explosion des 2750 tonnes de nitrate d’ammonium entreposées par le Hezbollah au port, Emmanuel Macron réunit à la Résidence des Pins les représentants des principaux partis politiques, dont le Hezbollah sous prétexte qu’ils ont été élus par les Libanais. Refusant d’accepter l’idée que le Liban est sous occupation iranienne, il oublie que la France a été occupée pendant la Seconde Guerre mondiale, et que le maréchal Pétain qui avait reçu les pleins pouvoirs constituants avec 85% des votes de l’assemblée nationale en juillet 1940, a été frappé d’indignité nationale et déchu de sa distinction militaire en 1945.

Au terme de la réunion à la Résidence des Pins, le président français propose un nouveau gouvernement dans les prochaines semaines, qui pourrait être compris comme la fin de l’accord de Taëf.

Heureusement que cette initiative a échoué, sinon elle aurait donné les pleins pouvoirs au Hezbollah qui est le seul à imposer ses conditions avec la force de ses armes qui ont été retournées plusieurs fois vers l’intérieur. Les hommes de Macron au Liban l’ont excusé en disant que le président français avait été trompé par des dinosaures de la classe politique libanaise, qui ont abusé de sa bonne foi, l’ont mené en bateau et ont joué avec beaucoup de roublardise pour torpiller son initiative dès le départ.

Pour rappel, les hommes de Macron à l’époque soutenait que le Liban vivait une crise de régime et qu’il fallait réformer la Constitution, et pas une crise d’application des accords de Taëf qui stipulent une démilitarisation des milices dans un délai de 6 mois, et même la déconfessionnalisation politique dans un délai de deux ans, à travers la formation d’un sénat qui accorderait des garanties aux confessions alors que le Parlement serait chargé du droit des citoyens.

En décembre 2021, lors de sa visite en Arabie Saoudite, le président français corrige ses positions au sujet de la politique libanaise et avec le prince Mohammed Ben Selman lance un appel à la classe politique pour le respect de la Constitution de Taëf qui permet de préserver l’unité nationale et la paix civile au Liban. Les deux hommes ont rappelé la nécessité de limiter la possession d’armes aux institutions légales de l’État.

En septembre 2022, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, pendant que Macron serrait la main du président iranien, les ministres des Affaires étrangères des trois pays (France, États-Unis, Royaume d’Arabie saoudite) se réunissaient et affirmaient la nécessité pour le gouvernement libanais d’appliquer les résolutions 1559, 1701, 1680 et 2650 du Conseil de sécurité des Nations Unies ainsi que les autres décisions internationales pertinentes, notamment celles adoptées par la Ligue des États arabes, et de respecter fermement l’Accord de Taëf, qui permettent de préserver l’unité nationale et la paix civile au Liban.

Samedi 19 novembre, nous pouvons lire dans l’organe de presse du Hezbollah : Al Akhbar que l’ambassadrice française Anne Grillot prépare une initiative qui ne se limite pas à un dialogue ouvert et permanent avec le Hezbollah, mais aussi avec le chef du courant patriotique libre, Gebran Bassil, qui a été reçu le 13 novembre par Patrick Durel, conseiller du président français. Est-ce une sorte de remerciement pour le rôle joué au niveau de la délimitation des frontières maritimes?

Pour résumer, d’un côté le président Macron déclare aux militantes iraniennes – dont l’une lui a demandé de récupérer les successeurs de Khomeiny après que la France l’ait envoyé en Iran – que l’Europe doit sanctionner les gardiens de la révolution. Et d’un autre côté, la France continue de dialoguer avec le Hezbollah qui n’est autre que le bras armé des gardiens de la révolution au Liban (comme il est bien précisé sur le drapeau de la milice iranienne).

Comme le dit très bien l’élocution latine " Errare humanum est, perseverare diabolicum " (L’erreur est humaine, persévérer [dans son erreur] est diabolique). En juin 2022, le président Macron déclarait, au sujet de la guerre contre l’Ukraine, qu’il ne fallait pas humilier la Russie. Depuis, il a réalisé son erreur en déclarant: " Il y a un peuple agressé d’un côté, et de l’autre des dirigeants qui ont décidé d’envahir et d’humilier. "

Au moment où l’Iran fait la guerre à l’Europe avec ses drones kamikazes qui tuent en Ukraine, qui détruisent les infrastructures électriques, privant des millions d’Ukrainiens d’électricité et donc de chauffage, qui bombardent les centrales nucléaires, et alors que l’Iran menace de mort certaines personnes en Grande-Bretagne et au Canada, il serait désolant de voir la patrie des droits de l’homme continuer de discuter avec un régime assassin, qui en est même arrivé à s’attaquer à la culture francophone en accusant certains des auteurs de l’académie Goncourt d’être sionistes, poussant cinq écrivains à annuler leur participation au festival littéraire Beyrouth livres.

Edmond Rabbath

Membre du Conseil national pour la libération de l’occupation iranienne