On s’assoit pour poser le poids de nos idées un instant.

On s’assoit face à soi parce qu’on est à bout. Parce qu’on n’arrive plus à tenir debout.

On s’assoit comme si l’on était dans une salle d’attente. Dans de sales attentes.

Une odeur de shisha se promène sous mes narines. Ma cage thoracique remonte le long de ma gorge. Ma gorge, prise au dépourvu, se serre. À quoi ça sert, toute cette attente? Vertige. Nausée. Salle de réanimation. J’anime l’entourage. J’anime au passage.

Je m’assois à la terrasse d’un café. Moi et mon espresso. Je le bois lentement. Je prends mon temps.

Non, non, je voudrais qu’il s’arrête, mon temps. Qu’il s’arrête longtemps. Le temps, ce fichu temps. Tout va trop vite. On expédie, on dépêche, on accélère, on active, on entreprend, on presse, on précipite. Mais là, non. Surtout pas. Certainement pas. Je voudrais figer le temps l’espace de quelques instants. Je voudrais qu’il s’épaississe, se coagule. Alors je bois délicatement mon café chaud, mon café fort. Tout en finesse, comme pour lui prouver que je comprends toute sa subtilité. Comme un témoignage de gratitude à un moment précieux.

Le regard vide sur cette terrasse aux gens pressés et impatients, je veux que le temps s’arrête pour moi et mon espresso. Je veux que sa chaleur me brûle la gorge comme on inflige une souffrance. J’avale chaque gorgée en espérant qu’elle me brûle… qu’elle dépose l’amertume tant attendue au fond de ma gorge. Un peu comme si je n’étais plus capable de sensations sans assistance. Depuis longtemps. Et pourtant.

Je laisse des larmes me monter aux yeux. Un peu?

Beaucoup. Lentement. Sûrement.

Et puis je me dis que le temps n’y fera rien. Que le temps n’y est pour rien. Je me dis qu’il n’y a pas de saison, de cycle ni même de climat pour ces choses-là. Je me dis qu’à partir du moment où je déposerai ma tasse vide sur cette table je ne pourrai plus faire l’économie d’une seule seconde. Le temps ne m’épargnera plus. Le temps est une machine qui ignore le mouvement arrière. Voilà. Je suis prête à me dépêcher maintenant. Je vais y aller en courant. En sanglotant un peu aussi.

Je sais qu’à partir de maintenant toutes les minutes, toutes les secondes vont passer vite très vite, trop vite. Beaucoup trop. Je ne sais plus comment faire. Mais je sais que je vais y aller. Pas parce qu’il le faut. Non. Mais parce que je le sais. Je me dis que ce moment avec mon espresso était important. Un peu comme un passage obligatoire. Un moment de transition où l’on passe de stade de combattu à celui de combattant. De victime à résistant. Pas un rituel ni un cérémonial. Juste un instant de vie, comme ça. Je me dis que le goût de mon espresso avalé si lentement restera à jamais sur ma langue. Je me dis que cette terrasse fera à jamais partie de ces endroits qui me signifient quelque chose. Je me dis que cet instant passé à essayer de capturer le temps restera un souvenir, lui aussi. Je me dis qu’il ne faut plus attendre. Je le sais. Je le sens. Alors j’y cours. Dans un rien de temps, je franchirai une porte comme on franchit un cap. Je lui porterai mes derniers mots et capturerai son tout dernier regard. À jamais. Voilà. C’est comme ça. Parce que c’est ça. Parce que je le sens. Parce que je le sais.

Et puis je m’arrête. Et puis ça s’arrête. Je ne repars pas. Parce que je le sais. Ça ne se répare pas. Ça se vit. Ça s’accepte. Je le sais.
Et puis une secousse. Comme un besoin de spasme vital. Un séisme, un tremblement de l’être qui s’exprime mal. Maladroit sur l’échelle de la vie.

On attend toute sa vie. On s’enracine dans une salle sans lumière. Sans racines.

Assis! Ah si seulement…

Le siège m’immobilise. On est dans un sale état. Un état de siège. Entourés de vide. Cernés. Fatigués d’attendre.

Alors on s’allonge. C’est si long. C’est sans fin.

On passe des vies entières à attendre. On passe nos vies en état de siège.

… J’ai serré tellement fort que j’ai fini par faire un bleu au bras du fauteuil.

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