Lorsque nous voyons ces milliers d’Iraniennes défier le régime des mollahs, nous ne pouvons qu’être troublés et émus. Il nous est impossible de ne pas ressentir une admiration devant le courage de ces femmes qui affrontent l’un des régimes les plus violents et les plus misogynes de notre temps.

Ces jeunes femmes et ces jeunes filles iraniennes ont pour seules armes leurs cheveux qu’elles dévoilent, un slogan – femme, vie, liberté – et une chanson, Baraye, qui signifie Pour. Pour la liberté de danser dans la rue, pour la peur au moment de s’embrasser, pour nos mères et nos sœurs disparues, pour le changement des mentalités rétrogrades, pour l’humiliation de ne plus pouvoir nourrir sa famille, pour le désir de mener une vie ordinaire…

À ces mères, épouses, sœurs, filles, actrices, chanteuses, joueuses de basketball, se sont joints les joueurs de l’équipe nationale de football. Lorsque leur hymne national a été joué avant le coup d’envoi de leur premier match du Mondial 2022, ils ont choisi l’arme du silence pour manifester leur soutien aux contestateurs de l’intérieur, faisant couler, en mondiovision, les larmes de centaines de millions de spectateurs et une grande partie des 85 millions d’Iraniens.

Nombre d’entre eux se sont demandés comment ils allaient retourner chez eux. Mais la vraie question qui se posait était de savoir comment ils ont osé se taire alors que leurs familles se trouvent en Iran. La presse iranienne a refusé de diffuser ces images "muettes", mais les médias internationaux ont tous salué ce geste courageux et puissant.

Face à cette humiliation subie par le pouvoir, les inquiétudes augmentent. Et si l’armée se mettait à tirer dans le tas, comme elle l’a fait dans le métro? Qu’arriverait-il à ces femmes et à ces hommes ? Combien de temps pourront-ils encore tenir?

Nous voyons en eux le courage. Mais ces jeunes femmes et ces joueurs de football ne se perçoivent pas sous cet angle, elles et ils ne se voient pas courageux, elles et ils ne se disent pas courageux en affrontant la peur. Ils se perçoivent plutôt comme une génération qui n’a jamais vécu et qui n’a donc pas peur de la mort. Ils ont réalisé que leur vie par le passé était une mort au quotidien. Ils ont découvert en effet sur Facebook, Instagram, TikTok, YouTube, Netflix, ce qu’est la vie.

Cette génération qui a été étouffée et à qui il a été interdit de respirer, n’a plus rien à perdre. Pour cette génération, la seule façon de vivre est désormais d’affronter la peur, d’aller au-delà de la répression et de réclamer ses droits fondamentaux pour surmonter le désespoir, pour avoir le droit au bonheur et à la vie.

Mais ces images sont également troublantes car tel un miroir, elles nous renvoient un reflet peu flatteur de nous.

Pendant que les Iraniennes luttent pour leur droit à la liberté, aucune femme libanaise, encore moins les femmes députés, n’a fait montre d’un geste de solidarité en coupant, à titre d’exemple, une petite mèche de ses cheveux.

Pendant que les Iraniennes se battent pour se débarrasser de ce régime qui est le principal soutien au Hezbollah, les partis politiques qui se disent souverainistes ont refusé de dénoncer le fait que le Liban a voté contre un projet de résolution de l’Assemblée générale de l’ONU condamnant les violations des droits de l’homme en Iran. Le Liban se retrouve, à nouveau, sur la liste de la honte aux côtés de la Syrie, de la Corée du Nord, de la Biélorussie et de la Russie ; autant de pays qui soutiennent le terrorisme.

Pendant que les Iraniennes jouent à renverser le turban des mollahs, qu’ils soient conservateurs ou réformistes, au Liban nous nous distrayons avec l’élection d’un président, sachant très bien qu’il ne pourra réaliser aucune réforme. Nous comptons les voix de l’un, nous nous moquons d’un autre candidat âgé de près de 80 ans choisi par des députés dits du changement, et rageons face aux votes blancs.

Chaque semaine nous nous excitons lors des séances parlementaires à chaque fois que l’un des candidats gagne une voix et que l’autre en perd une, résultat du transfert d’un député d’un camp à un autre. Un échauffement pour un Mondial où le conflit entre partisans cédera la place à celui entre supporters de pays qui leur sont totalement étrangers. Une autre identité imaginaire s’ajoute à nos identités meurtrières.

Pendant que les Iraniennes lèvent le doigt devant les photos de Khamenei, au Liban nous nous interrogeons sur le sens de la visite du responsable de la sécurité du Hezbollah au commandant en chef de l’armée, ou de la rencontre d’un membre de la milice avec le porte-parole de Bkerké. Quel maronite la branche libanaise des Gardiens de la Révolution va-t-elle choisir comme candidat? Mystère qui n’intéresse plus personne, sinon ceux qui refusent de reconnaître que notre sort est lié à celui de ces Iraniennes. Que le régime iranien tremble et que le jour où il commencera à se fissurer, c’est un tsunami qui déferlera sur nos côtes.

Pendant que les Iraniennes risquent leur vie pour pouvoir – enfin – s’exprimer librement, les Libanais s’autocensurent pour ménager le Hezbollah. D’autres estiment cyniquement que l’occupation iranienne est un slogan élastique et préfèrent se concentrer sur les affaires locales. Tout d’un coup, le Liban est devenu une île déconnectée du reste du monde, lui qui était mondialisé avant la mondialisation.

Bref, pendant que les Iraniennes rêvent de vivre dans un pays qui ressemble à ce qu’était le Liban, les Libanais font tout pour ressembler à l’Iran d’avant la mort de Mahsa Amini, en faisant élire le candidat du Hezbollah à la présidence, en laissant le candidat du Hezbollah être  député dans la circonscription de Bkerké, du Casino du Liban, du festival de Byblos, de Eddé Sands…

Plus aberrant, tu meurs…

En plus de mourir de l’explosion au port, de la misère suite à la destruction programmée de notre économie, nous mourrons aussi culturellement, quand un ministre de la Culture et de la propagande du tandem Amal /Hezbollah accuse des écrivains français qui devaient participer au festival Beyrouth livres de se livrer à de la "propagande sioniste" (!); une allégation que seuls quelques auteurs libanais ont dénoncée.

Eh bien voilà, tout est là.

Les Iraniennes rêvent de vivre libres comme en Occident et Hassan Nasrallah continue de rêver pour nous de l’Iran des mollahs, de la Russie et de la Chine.

Allez comprendre…

Dans Oblomov d’Ivan Gontcharov, chef-d’œuvre sur la paresse et l’apathie, on peut lire cette phrase : L’homme faible et perdu contemplait avec terreur la vie autour de lui, cherchant dans son imagination la clé des mystères de la nature environnante et de la sienne propre. Oblomov, figure de l’imaginaire russe, semble avoir atterri en terre de Phénicie.

Francis Blanche disait : Laissez-moi dormir, j’étais fait pour ça.

Il est l’heure que le réveil sonne afin de libérer le Liban de l’occupation iranienne; parce que ces Iraniennes ne doivent pas simplement nous faire rêver, elles devraient nous inspirer aussi.

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