L’une de mes habitudes sans doute les plus anciennes et les plus obstinées est de me lever aux aurores, avant que quelque bruit ne vienne marquer le début de la journée en bonne et due forme, de me préparer un café relativement costaud, de me poser pour lire les premiers articles de presse aussi matinaux que mon propre réveil. Ce 13 mars 2023, mon regard tombe sur un article intitulé "Appel pressant de Guterres à toutes les parties au Liban pour faire preuve de leadership et de souplesse". Je ne vous cache pas que non seulement la gorgée de café m’est passée en travers de la gorge et a fait une descente bien entravée et douloureuse dans mon œsophage, mais plus encore mon sang n’a fait qu’un tour à la lecture de la recommandation du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui fait office de titre de l’article concerné.

Petite pause linguistique et conceptuelle

Le mot "leadership" emprunté à la langue anglaise désigne, selon l’éminent chercheur américain en communication Peter Northouse, "le processus par lequel une personne influence positivement un groupe de personnes pour atteindre un objectif commun" (Leadership. Theory and Pratice, 2021, Sage Publications, USA). Selon ledit chercheur, le concept en question est étayé notamment par 4 caractéristiques fondamentales: le leadership s’incarnerait dans la capacité à motiver les autres, à fédérer leur agir; le leadership irait de pair avec une confiance et un respect réciproqués entre le leader et le groupe; le leadership s’illustrerait dans la capacité d’amener le groupe, en dépit de la dissemblance des croyances, représentations du monde, valeurs, appartenances, etc. des uns et des autres, à converger avec le leader vers un but commun; enfin, le leadership serait un exercice à durée limitée, le leader courant le risque de devenir un dictateur s’il pérennisait son influence, caractéristique qui amène le leader à demeurer profondément humble et foncièrement éthique dans l’exercice de son influence.

Sur le plan linguistique, le leader aurait pour équivalent dans la langue française le substantif "meneur", et non celui de "chef". En tout cas, dans la langue anglaise, to lead désigne l’action de mener. Le meneur est, en effet, celui qui guide, conduit, influence, éclaire, inspire, sans hiérarchie marquée, pendant que le chef exerce un commandement, une autorité, dirige en tenant le premier rang et en le gardant le plus longtemps possible. Le meneur est reconnu par ses pairs et par le groupe qu’il guide, alors que le chef peut bien s’ériger à la tête d’un groupe qu’il soit regardé comme tel ou non.

Quoi qu’il en soit, c’est bien dès 1935 que les académiciens français, à la suite du psychologue psychométricien Alfred Binet qui emploie le mot en 1900 dans son ouvrage La Suggestibilité, admettent le mot "leader" au sein de la langue française, comme l’équivalent et le synonyme du mot "meneur".

Pour finir, revenons brièvement au concept en tant que tel: si le chef dirige, le meneur conduit. Dans le premier cas, il y a nécessairement une directionnalité, autrement dit une marche intimée, sinon imposée; dans le second cas, il y a un accompagnement, un épaulement, une facilitation.

Mahatma Gandhi leader indien de la non-violence 1929.

Ah! Non! Monsieur Antonio Guterres!

Ah! Non! Monsieur Antonio Guterres! Vous ne sauriez appeler les politiques libanais – que dis-je! les politiciens libanais – à "faire preuve de leadership et de souplesse en intensifiant leurs efforts pour parvenir à un consensus dans l’intérêt des citoyens libanais"!

Ah! Non! Monsieur Antonio Guterres! Vous ne pourriez vous adresser à d’anciens chefs de guerre, usurpateurs, violeurs de l’État, de la Constitution et du peuple, ni à leurs héritiers en les considérant comme de potentiels meneurs!

Ah! Non! Monsieur Antonio Guterres! Vous n’accepteriez pas de vous adresser à des incompétents, des ignares, des détourneurs de fonds, des vendus, des assassins, des psychopathes comme s’ils étaient les dignes frères cadets du leader capucin, l’abbé Pierre!

Ah! Non! Monsieur Antonio Guterres! Vous ne pourriez guérir un cancer en vous adressant à lui avec des mots gentils et édifiants, comme de naïves incantations, question qu’il calme un tant soit peu les cellules folles qu’il génère et multiplie à une vitesse vertigineuse! Un cancer, ça se calcine et s’anéantit, Monsieur le secrétaire général de l’ONU! Alors seulement et seulement alors, il pourrait y avoir quelque espoir en une renaissance du corps et de l’esprit. De l’État et de la nation.