Qui sont-ils ces gardiens de notre mémoire ? Ces traqueurs de l’hier ? Ces traceurs du temps ? Qu’est-ce qui les anime tant ? Portraits hauts en couleurs de ces amoureux du noir et blanc.

Tout a commencé avec l’idée d’un arbre. Et pas n’importe quel arbre. Celui profondément enraciné d’une famille au destin aussi agité et riche que les siècles qu’elle aura traversés. Quand avec toute la patience d’un féru d’histoire le grand-père Émile tentait de rassembler les ramifications généalogiques de la famille Tarazi, Camille, le plus grand des petits-enfants n’était jamais bien loin. Et quand Émile s’en est allé, c’est tout naturellement que le petit-fils alors âgé de 21 ans a pris le relais et essayé de remonter le temps pour enrichir cet arbre si bien implanté dans l’histoire. Rencontrer les anciens, récolter leurs témoignages, scanner leurs photos, faire en sorte de retenir ces détails du temps qui passe, telle a été la mission qui a animé Camille Tarazi et qui ne lui a plus accordé de répit depuis.

Et puis dans la vie et ses " hasards ", un mot que Camile reprend souvent en précisant d’ailleurs que " ce n’est que l’intervention de Dieu qui veut rester anonyme ", de passage à Paris, il rencontre Fouad Debbas et sa formidable collection de cartes postales. Les vieilles photos d’hier qui racontent mieux que n’importe quel livre la vie dans cette partie du monde et dont certaines sont signées Tarazi ou Terzis. Il n’en fallait pas plus pour que la traque débute. Partout où elles pourraient se trouver ces vieilles cartes postales du Liban, de la Palestine et de la Syrie, entre 1902 et 1918, ont désormais un vrai chasseur à l’affût. Et ce seront 1400 d’entre elles qui atterriront dans l’escarcelle de Camille Tarazi qui, évidemment, n’a pas encore dit son dernier mot. Un vrai collectionneur est né. Une vraie passion.

Magasins d’antiquités, hôtel, maison spécialisée dans les boiseries, les Tarazi sont faits de cet Orient multiple qui sait se montrer aussi généreux que tumultueux. Documents, anciennes factures, tout ce qui concerne l’hôtel Alcazar et ce qui l’entoure, le champ de recherches s’élargit au " hasard " des découvertes et des rencontres. De ces études d’architecte, Camille aura gardé le sens du détail et les détails ne lui échappent jamais. Bientôt rejoints par d’autres collectionneurs, les bâtiments de Beyrouth, les petits secrets enfouis dans ces rues, les changements dans la ville et les fluctuations de l’histoire, tout devient source de discussions, échanges, partages. Une vraie mission.

Et de cette mission naîtra en 2015 un livre, Vitrine de l’Orient, magnifique ouvrage qui retrace la saga familiale de 1796 à nos jours avec tous ces précieux documents qui illustrent le destin d’une famille mais aussi celui de toute la région. Un travail nécessaire pour Camille Tarazi pour perpétuer la mémoire et contribuer à rassembler les pièces du puzzle de cette histoire avec un très grand H que devraient absolument connaître les nouvelles générations. Les livres sont nécessaires et Camille d’ailleurs en prépare deux autres, un sur l’hôtel Alcazar qui appartenait à la famille et à cet âge d’or du Liban et un autre sur sa passion des collections et les " hasards " nombreux sur sa route. Chaque trouvaille a une histoire.

Passion et hasard qui l’ont amené dernièrement d’ailleurs à organiser une exposition en octobre-novembre 2021 à Monaco avec Virginie Broquet, artiste niçoise qui avait choisi d’axer ses dessins sur les ambassades de France à l’étranger. En visitant, sur l’instigation du père de Camille, la Résidence des Pins et ses magnifiques boiseries signées Tarazi elle tombe sur un tableau signé de son grand-père à elle, un artiste dont la toile appartenait au mobilier de France et qui s’est retrouvé plus de 100 ans plus tard… à Beyrouth. Allier donc les descendants à Monaco et les ancêtres à Beyrouth, il fallait le faire. Cela va de soi… quand on y croit comme y croit Camille Tarazi.

Les collectionneurs sont comme les généalogistes. Une partie du plaisir réside dans la découverte de l’origine. Arnaldur Indridason

Quand on a demandé à cet infatigable collectionneur de nous sélectionner un document parmi tous, cela n’a pas été une mince affaire. Mais en voilà deux dont l’histoire mérite d’être relatée.

La première carte de visite du magasin Tarazi à Damas avait été trouvée par Camille sur e-bay. Affolé, il a vite contacté le vendeur qui lui a promis de la lui envoyer. Elle n’est jamais arrivée. Il la cherche encore, sans se lasser, en bon collecteur d’archives qu’il est. Donc si vous la croisez…

La deuxième photo résulte d’une vraie enquête pour connaître les raisons pour lesquelles Dimitri Tarazi et fils étaient fournisseurs du Sultan ottoman. C’est donc dans un vieux journal consulté à la bibliothèque orientale qu’il trouve l’explication : la moutassarifiyya du Mont Liban voulait faire un cadeau au Sultan Abdul Hamid II à l’occasion de ses 25 ans de règne en 1900. Les Tarazi avaient remporté le concours et avaient été sélectionnés pour un trône monumental qui se trouve aujourd’hui au Yildiz Palace Museum et sur lequel est gravé comme un symbole éternel arz lebnan.