Nous avons un pape François qui ne parle que d’épanouissement de la personne et de sa liberté, de sa capacité de se mettre en projet d’aimer et de ne pas condamner autrui.

Père Daccache

Acculé.e.s à cultiver l’ascèse quand Noël nous invite à la fête et à l’abondance, nous nous retrouvons les poches vides et le cœur mis à nu. Sommes-nous paradoxalement plus près de l’essentiel? Nos malheurs quotidiens font-ils le bonheur de notre itinéraire chrétien? "La foi, c’est vingt-quatre heures de doute, mais une minute d’espérance", dit Georges Bernanos. La veille de Noël, nous avons choisi de nous ressourcer auprès du Révérend Père Salim Daccache, recteur de l’Université Saint-Joseph (USJ) et président de l’administration générale de l’Hôtel-Dieu de France (HDF). Notre questionnement s’est décliné en trois parties: la première consacrée à la foi, la deuxième à l’Université Saint-Joseph et l’Hôtel-Dieu et la troisième au prix international décerné récemment à l’USJ par THE Awards Asia 2021, organisé par Times Higher Education ainsi que la nouvelle formation académique à la citoyenneté délivrée par la prestigieuse université francophone.

Que peut la foi aujourd’hui?

C’est Noël, nous vivons la Bonne Nouvelle mais il n’y a que de mauvaises nouvelles, que de malheurs qui s’abattent sur nous. Les Libanais et les Libanaises s’en remettent à Dieu, les chrétiens attendent un miracle qui ne vient pas.

Est-ce que la foi est devenue "l’opium" qui nous empêche de prendre les bonnes résolutions, de sortir de la passivité, de passer à l’action?

La foi est fondée sur la relation à une personne: Jésus-Christ qui a appelé à la réconciliation entre l’homme et ses valeurs spirituelles et humanistes, à la liberté vis-à-vis de ce qui emprisonne l’être humain dans des fétiches. Jésus-Christ défend la dignité humaine. Il a préféré mourir sur une croix que d’être le complice de ceux qui cherchent le pouvoir et les honneurs de ce monde. Sa volonté est de répandre l’amour là où il y a la mort et la haine. La vraie richesse de l’homme est de tendre la main à ceux qui ont besoin d’être relevés.

La religion chrétienne est culpabilisante. Durant la période de Noël, elle devient soudain permissive et cultive la joie, les plaisirs et l’abondance.
Si vous voulez, elle est "permissive" dans la mesure où elle met l’accent sur la vraie joie qui ne passe pas, car elle est fondée sur le don et le partage. Lors de la naissance de Jésus, avant de parler de l’enfant, l’ange a annoncé une joie pour le peuple, la naissance de l’Emmanuel Dieu-avec-nous, source de paix et de justice pour les opprimés. Dans ce sens, la joie est fondamentale dans la doctrine chrétienne. Les plaisirs et l’abondance au Liban sont bien limités pour tout le monde au vu de la crise; cela nous permet de ne pas se laisser aveugler par ce qui est superficiel et qui disparaît, cela nous incite à agir dans le sens du partage et de la solidarité.

Pourquoi les dogmes de l’Église et l’enseignement catholique inculqués ne prennent toujours pas en considération l’épanouissement de la personne? En d’autres termes, quand la technologie facilite la communication, quand la psychothérapie favorise la reconstruction, la catéchèse se limite aux sermons.

Nous avons un pape François qui ne parle que d’épanouissement de la personne et de sa liberté, de sa capacité de se mettre en projet d’aimer et de ne pas condamner autrui. D’ailleurs Jésus n’est pas venu pour faire de nous des esclaves, mais des hommes et des femmes libres en libérant leur amour. L’Église officiellement encourage la psychothérapie et les moyens de communication de la nouvelle technologie, en soulignant que ces moyens demeurent des outils pour aider l’être humain et le relever de ses peines; attention d’en faire des fins en soi et d’en subir l’addiction.

Est-ce que la jeunesse libanaise que vous côtoyez régulièrement cherche désormais des réponses concrètes à ses innombrables problèmes sans le secours de la religion?

Je ne pense pas qu’il faille mettre la religion partout. Elle n’apporte pas de solutions magiques. Nous avons été créés avec des capacités psychologiques, intellectuelles et morales propres à chacune et chacun; notre rôle en matière de religion est de donner le Christ Jésus comme modèle de vie authentique à chaque jeune pour qu’il vive les valeurs du Christ, pour qu’il soit habité par son esprit de justice et de partage avec l’autre, de vérité et de réconciliation. C’est une incitation également à devenir un citoyen exemplaire partant du principe de séparation entre la vie civile et la vie spirituelle. Donner à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.

Pourtant notre jeunesse est tentée par les pays laïques qui garantissent les droits humains sans discrimination religieuse…

Ce qui intéresse les jeunes d’aujourd’hui en premier c’est de trouver un travail qui s’accorde avec leurs qualifications et leurs diplômes; c’est de se faire un avenir sûr. Cela peut être dans un pays comme l’Arabie saoudite religieuse ou le Canada laïque.

(Suite et fin de l’article demain samedi)