J’ai lu dans quelque endroit qu’un vieil immeuble de Beyrouth, jadis fleuron d’architecture, envié de tous ses voisins, tombait en décrépitude. Malgré une façade encore orgueilleuse datant des belles années, il était rongé de l’intérieur. Tuyauteries éclatées, robinets vides, fils électriques pendant du plafond n’éclairant plus rien, peinture écaillée, détritus accumulés dans l’entrée et le tout à l’avenant…

Si j’ai bonne mémoire, la raison en était les caisses vides. Non pas parce que ses malheureux habitants n’avaient pas réglé leurs dus à la caisse commune, mais parce que les sous destinés à l’entretien étaient partis en fumée, happés par les rapaces qui " géraient " le bien depuis des années et qui en avaient détourné, à leur profit, tous les fonds.

Un jour, un incendie géant se déclara dans l’immeuble, brûlant tout sur son passage. Les habitants avaient tout perdu : leurs meubles, leur toit et jusqu’à leurs sous bloqués dans les coffres-forts partis en fumée.

Le gérant du moment, un pragmatique imperturbable et plutôt astucieux, tenta de limiter les dégâts. Après avoir éteint l’incendie, déblayé les gravats et nettoyé autant que faire se peut les parties communes, en puisant dans le peu qui restait dans la caisse commune, il prêta quelque sou aux habitants pour qu’ils puissent rafistoler, un tant soit peu, leurs demeures.

Bien mal lui en prit ! On cria haro sur le baudet ! Quoi, dit le voisin ! Parer au plus pressé ? Tempérer les dégâts ? Limiter " momentanément " le préjudice ? Mais tout le monde le sait ! Ce qu’il faut, ce sont des solutions de fond, des réformes globales, des mesures ra-di-cales : il faut raser tout l’immeuble, le reconstruire sur de nouveaux fondements, adapter la bâtisse aux normes écologiques modernes, élire d’autres gérants, élaborer un nouveau régime de copropriété, déloger les vieux habitants rassis et les remplacer par des jeunes ayant de nouvelles idées de gestion…

Des mois plus tard… le gérant n’est plus là, les murs sont toujours noirs de suie, les demeures toujours dévastée, les habitants, à la rue, ne survivant plus que grâce à la charité publique.

Bientôt, le bel immeuble disparaîtra. Les promoteurs rapaces sont déjà sur place.

Dans la rue déserte, les manifestants continuent à réclamer une réforme globale de fond, ou rien.

Rien.

" Parbleu, dit le Meunier, est bien fou du cerveau

Qui prétend contenter tout le monde et son père "

Pardon, M. Jean de La Fontaine.