Normalement bienvenues pour l’aubaine qu’elles représentent, les intempéries sont cette année une épreuve de plus pour les Libanais exsangues. La vague de froid touche les plus fragiles, les moins chauffés, les pas chauffés du tout et ceci n’est pas que l’apanage de ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Aujourd’hui, tous les Libanais ont froid là où ils se trouvent, à des degrés divers certes, mais c’est peut-être la première fois qu’une population est à pied d’égalité, billets verts à disposition ou pas.

Les tempêtes en hiver sont, somme toute, un phénomène naturel, n’était-ce l’extrême précarité qu’un État failli fait subir au citoyen Lambda, ajoutant une humiliation de trop à une coupe déjà pleine. Le point sur cette tempête qui est prétexte à toutes sortes de (fausses) prévisions alarmistes, relayées sous forme de notes vocales.

Frère Élie Khneisser, 714.976 followers sur Facebook est injoignable. Ici Beyrouth a tenté de lui envoyer un message pour lui demander ses coordonnées et l’écouter live, mais une réponse automatique a vite apparu: il est très sollicité et invite tout questionneur à le suivre sur Tik-Tok pour les updates météo. Sa page est alimentée chaque quelques minutes en temps de tempêtes. C’est un passionné de météo au point d’utiliser des cartes, d’analyser la pression atmosphérique et de prédire la direction et la vitesse du vent. Il a surtout un public qui lui est dédié et qui attend religieusement ses prévisions. Aujourd’hui, il est alarmiste: "Prière de ne pas circuler vers les hauteurs. À plus de 900 mètres c’est le dérapage assuré." En cause, le verglas à partir de mardi soir.

Quant aux autoroutes qui auraient été préparées en amont à recevoir la pluie sans débordements, il semblerait, au vu de certaines vidéos postées sur sa page, que des voitures sont noyées sur certains points du littoral, au point d’avoir recours à des dépanneuses. Mais, cette année, et il serait honnête de le reconnaître, les inondations qui accompagnent généralement les averses au Liban, sont pratiquement inexistantes comparées aux années précédentes. Le Frère Khneisser avait prévu trois tempêtes, et là nous n’en sommes qu’à la deuxième. Côté intempérie, la dépression qui sévit vient d’Islande via la Turquie, qui était déjà sous la neige dès lundi, et affecte l’ensemble du BMO. Au Liban, la neige a commencé à tomber dès le matin à moyenne altitude et devrait recouvrir dans la nuit les régions situées à plus de 600 mètres. Les températures devraient cependant s’adoucir les jours prochains avant que la troisième tempête ne frappe, pour finir par s’apaiser autour du 9 février… à la Saint-Maron!

Somme toute normale pour la saison, la tempête et le froid qui l’accompagne viennent quand même alourdir le quotidien déjà difficile pour des Libanais en manque de courant électrique et de mazout pour se chauffer et – un malheur n’arrivant jamais seul – d’eau. Dans de nombreux foyers mardi, alors que le pays était noyé sous des pluies diluviennes, les robinets étaient à sec, les stations de pompage n’étant pas alimentées en courant à cause de tous genres de pannes, énumérés par les deux offices des eaux de Beyrouth et du Liban-Sud. Entre autres, les actes de vandalisme contre des stations de relais électriques, un voltage élevé qui a réduit en cendres des disjoncteurs et des câbles, ainsi que des pannes sur le réseau à cause de la tempête. Selon l’Office des eaux du Liban-Sud, les pannes s’étendent de Saïda jusqu’à Naqoura, en passant par Zahrani, Nabatiyé, Tyr, Bint Jbeil et Jezzine. À Beyrouth, ce sont plusieurs quartiers qui n’ont pas reçu l’eau mardi et ont dû faire appel à des camions-citernes.

Les deux offices ont assuré dans des communiqués respectifs que leurs équipes travaillent d’arrache-pied afin de réparer les pannes et de distribuer l’eau dans les délais les plus brefs.

La tempête polaire se poursuivra jeudi, avec du verglas prévu à partir de 700 mètres et de la neige à partir de 600 mètres et des pluies diluviennes sur l’ensemble du littoral, selon le service météo de l’aéroport qui annonce cependant des éclaircies dans l’après-midi, mais avec des températures qui resteront en-dessous de la moyenne saisonnière. On continuera donc de grelotter aujourd’hui et jusqu’à la fin de la semaine.

Une aubaine que le ciel nous envoie

Il reste qu’en dépit de tous les tracas causés par les intempéries dans un pays à l’infrastructure défaillante, l’enneigement de cette année est une aubaine puisqu’il va permettre d’alimenter les nappes phréatiques –au moment où les nouveaux méga-barrages-passoires édifiés par le ministère de l’Energie restent à sec- et réduire quelque peu l’habituelle crise de l’eau en été. Une aubaine aussi pour les agriculteurs.

Contactée par téléphone, Yousra Bustros Chédid, vivant à Kherbet Anafar témoigne de l’effet tempête sur la saison agricole dans la Békaa: "Ce grand froid est peut-être une souffrance pour beaucoup, mais le gel en cette saison hivernale est une vraie aubaine pour nos cèdres et nos chênes malades; également pour certains de nos arbres fruitiers comme les pommiers et les cerisiers qui ont besoin pour bien produire de plusieurs heures de grand froid, pour nos sols agricoles qui se débarrasseront de certains parasites néfastes, ainsi que des résidus des cultures qui se dégraderont rapidement, et enfin pour la culture du blé qui commence déjà à germer et qui a impérativement besoin de subir un arrêt végétatif pour mieux reprendre au printemps. La neige est une grâce pour nos sols agricoles pour qui elle représente un excellent fertilisant naturel riche en azote. Sans oublier nos majestueuses montagnes qui sont recouvertes de blanc comme le laban dont le mot ‘Loubnan’ tire son étymologie et qui nous offrent de magnifiques paysages", poursuit-elle, avant de partager son expérience personnelle. "Ici nous étions déjà prêts: le citronnier à roulette est à l’abri. La niche de Simba placée sous l’auvent est bien équipée d’un matelas confortable et de couvertures en laine polaire (elle refuse de dormir à l’intérieur). Le bois est bien aligné dans des paniers à côté de la cheminée et du poêle à bois. Et mon militaire de mari a déjà établi un ordre des opérations que nous suivons à la lettre. Nous passons nos journées dans une grande pièce à l’extérieur de la maison, où se trouve une grande poêle multiusages qui nous permet de nous réchauffer. Pour le soir, nous remontons dans la maison pour la nuitée, après avoir mis le chauffage pour une heure de temps. Nous dormons très couverts, de vêtements s’entend, mais côté froid, l’organisme finit par s’y habituer! Pour mon mari et les gens de la Bekaa, ce temps est tout à fait normal, ce sont les années précédentes qui ne l’étaient pas. Comme la neige et le froid sont arrivés cette année en saison et non pas hors-saison, c’est une chance pour les vignes et les vignobles."