Un choc en passant sur l’autoroute de Zalka: sans tambour ni trompette, sans annonce ni explication, presque honteusement, le traiteur emblématique "La Cigale" a fermé ses portes.
Pour tous ceux qui vivaient dans la région boisée chic de Rabieh/Naccache, réputée dans les années quatre-vingt dix comme étant "plus sûre" que Beyrouth, c’est la fin d’une époque. Celle où les nouveaux riches du Metn, au sortir de la guerre et de ses gros bénéfices plus ou moins louches, se promenaient entre les rayons du large magasin, faisant négligemment emplette de saumon, foie gras et autres mets gastronomiques fort éloignés des boîtes de thon consommées dans les abris. On y côtoyait autant d’hommes d’affaires (lesquels? mystère…), de pansus à gros cigares et cylindrées noires à rideaux que de fausses blondes sexy ayant toutes l’air de maîtresses entretenues. Dans l’arrière-salle qui faisait restaurant le midi, les conversations étaient animées entre banquiers florissants et entrepreneurs entreprenants, nouant des transactions juteuses pour la reconstruction de la ville, dans un chuchotis réconfortant de "Solidere", "dollars" et "millions".
Au-delà de ce tableau d’après-guerre, "La Cigale" la si bien nommée était liée pour nous, jeune couple à l’époque, à tous les événements heureux de la vie: gâteau géant en forme de train, avec wagons multiples et colorés pour le premier anniversaire de l’aîné, suffisant pour éradiquer la famine sur le continent africain, gâteau de première communion tout blanc avec calice et hosties kitsch pour le cadet, cocktail somptueux de signature de livre pour le papa intello et surtout, surtout, la fameuse dinde aux marrons dite "à l’orientale" et les mandarines givrées de tous les Noëls.
Ayant chanté tout l’été, nous nous trouvons fort dépourvus quand la bise fut venue.
Vous chantiez? Eh bien! Dansez maintenant.
Et alors? Jamais aimé la fourmi qui "n’est pas prêteuse". Comme le Fonds monétaire international.
