Il ne fait aucun doute que le pape François est le phénomène du XXIe siècle, comme le fut Nelson Mandela au XXe, chacun en fonction de sa posture et de son rôle, certes, les deux hommes étant cependant unis par leurs valeurs humaines et universelles partagées.

L’Homme en blanc ne cesse de surprendre le monde et de forcer son admiration. Il n’hésite pas à soulever les questions problématiques et à mettre en avant des idées auxquelles aucun des dirigeants mondiaux n’ose faire face, ni en Occident, ni en Orient, ni dans ce qu’on appelle le "monde libre", et encore moins dans les mondes de la tyrannie et de l’exploitation.

Il ne se cantonne plus au rôle de pape de Rome ou de chef de l’Église catholique. Sa voix s’élève en premier lieu pour condamner inlassablement toutes sortes de discriminations entre les êtres humains, rejoignant ainsi, voire complétant ce qu’incarnait Mandela. Le hasard a d’ailleurs voulu que la mort du leader sud-africain ait lieu l’année où François a été élu à la tête de l’Église catholique, comme s’il souhaitait lui passer le flambeau.

Dès son accession au pontificat, le souverain pontife s’est fait l’avocat des faibles, le défenseur des opprimés et des persécutés, des pauvres, des marginalisés et des exclus, en adoptant notamment la cause des immigrés. Ceux qui fuient l’oppression et l’injustice de leurs gouvernants et les régimes de leurs pays – la plupart originaires des pays du Levant et du Maghreb – et qui sont en droit d’être bien accueillis dans les pays d’accueil européens. Une façon de dénoncer indirectement ces régimes, lorsqu’il a évoqué récemment ce qu’il surnomme les "camps de l’immigration" en Libye.

À travers cette pratique et cette ligne de conduite, François cherche sans doute à rectifier le tir par rapport à ses prédécesseurs et avancer vers l’Église du Christ-Homme, pour laquelle l’évêque libanais Grégoire Haddad a prêché dans cet Orient, comme une voix dans le désert, des dizaines d’années durant.

Au-delà du parcours de cet homme et ce qui le caractérise, la bataille réformiste qu’il mène au sein de l’Église, et qu’aucun de ses prédécesseurs n’a osé entreprendre, revêt une importance encore plus grande. Cette bataille est menée sur deux fronts parallèles: l’un contre les fausses conceptions et croyances et les tabous tant ecclésiastiques que sociaux, et l’autre contre la corruption qui gangrène le Vatican et les institutions ecclésiastiques de manière générale, sous la forme de pots-de-vin, de népotisme et d’abus de pouvoir.

Sa dernière action en date est sa lutte contre le cléricalisme, le principal nerf de la hiérarchie au sein de l’Église, c’est-à-dire les véritables détenteurs du pouvoir, l’épine dorsale sur laquelle repose le système ecclésial et son influence réelle en tant qu’autorité disséminée en profondeur au sein de la société.

Le pape François considère que le clergé représente une idéologie dangereuse qui cherche à s’approprier l’Évangile et disposer de son message, si bien qu’il constitue une barrière dressée entre l’Église et les croyants. D’autant plus qu’il est connu du commun des mortels comme "l’armée noire", omniprésente dans les institutions monastiques, les monastères, et très présente et active dans les domaines social, éducatif et même politique, notamment dans les pays sous-développés.

Cette perception nouvelle et surprenante du pape porte un coup en force au concept et au phénomène du clergé, qui constitue non seulement un lien central, mais aussi le pivot dans la relation entre l’Église et ses fidèles. C’est l’outil le plus efficace pour développer l’institution ecclésiale, asseoir son autorité religieuse et l’entourer de cette aura de prestige et de crainte à la fois.

Le pape François cherche fort probablement à rompre ce maillon qui entrave désormais la communication directe entre l’Église et la population, alors qu’il veut une Église plus proche des gens et de leur quotidien, interagissant avec eux selon ce qu’il décrit comme étant "l’Église du peuple".

Ces propos n’ont pas été prononcés lors d’une homélie, d’une célébration religieuse officielle ou de l’une des apparitions du pape chaque dimanche devant les fidèles regroupés sur le parvis de la place Saint-Pierre à la Cité du Vatican. Le plus surprenant fut de voir sans doute le pape tenir ce discours à l’antenne d’une des chaînes de télévision italiennes, où il était l’invité d’un talk-show de divertissement à caractère sarcastique, humoristique et non politique.

Et François de surprendre, à un moment, le présentateur de l’émission en s’adressant au public avec son visage joyeux et sans prétention, leur demandant de prier pour lui, tout en précisant que la prière, de son point de vue, ressemble à l’appel d’un enfant à sa mère ou son père. Puis de se reprendre en disant: "Si vous n’aimez pas la prière, ou si vous n’êtes pas croyants, vous pouvez me souhaiter bonne chance et bonne continuation".

Il est indéniable que l’apparition télévisée du pape et ce qu’il a avancé, fort de son style simple et de sa personnalité sympathique, constituaient à eux seuls l’évènement qui a éclipsé les autres, qu’il s’agisse de l’actualité politique, du Covid-19, du bras de fer russo-occidental sur l’Ukraine ou encore des nouvelles du football du dimanche.

À travers cette apparition, François a voulu s’adresser directement aux gens, discuter avec eux et toucher leur cœur, leurs émotions, leurs sentiments. Il a souhaité susciter en eux une foi nouvelle ou différente dans le rapport à la religion et la vision de la vie. Lorsqu’il soulève ce type de questions et de problématiques, le chef de l’Église catholique ne s’adresse pas aux hommes politiques, aux chefs des partis et aux personnalités influentes, mais directement aux gens, et notamment les jeunes.

Il interpelle ainsi toutes les couches de la société, avec ses différentes classes et appartenances religieuses: pas les chrétiens et les croyants uniquement, mais aussi les laïcs, qui jouent désormais un rôle essentiel au sein de l’Église et de ses rituels. Tout comme il tient particulièrement à s’adresser aux athées ou aux "agnostiques", en tant que personnes, qu’êtres humains, parce que le but du christianisme, comme il le répète, est de rendre l’humain heureux, indépendamment de sa nationalité, sa couleur, sa religion, sa race et son statut social.

L’autre pilier de sa vision novatrice, c’est sa conception de la religion, qui est, selon lui, synonyme de salut de l’âme humaine et de son bonheur, et non une espèce de quasi-censure en vue de l’effrayer, la réprimer et l’intimider par la menace du Jugement dernier. La religion n’a pas pour objectif de terroriser le commun des mortels de Dieu, afin d’en faire des moutons de Panurge, dociles, disciplinés, en rangs, obéissant à une force et une volonté invisibles.

Le pape rejette cet état de fait, qu’il considère comme une distorsion de la foi et un outil d’oppression, d’autoritarisme et d’ignorance. Tout comme il refuse de doter la religion du pouvoir de s’arroger en juge et d’émettre des jugements ou des fatwas. La religion est une attitude, un mode de vie et des valeurs communes telles que l’amour, le pardon, la fraternité, que le pape François appelle constamment de ses vœux, partant du principe que les êtres humains sont égaux et que l’erreur fait partie de la nature de l’Homme.

C’est pourquoi la tolérance et le pardon – et non la damnation – deviennent un droit de l’être humain par rapport à la communauté, et réciproquement, parce que, in fine, l’être humain est l’essence même de la vie, et la religion est là pour le rendre heureux puisque le Christ, c’est l’Homme.

Par ailleurs, il n’appartient pas au chef de l’Église d’imposer la foi par la force de son autorité, mais plutôt de la rappeler à tous, d’en parler, de la prêcher auprès de tous, en s’adressant non seulement aux chrétiens, mais également aux croyants et aux athées, aux riches et aux pauvres, aux gens de droite comme de gauche, à ceux qui détiennent l’autorité et aux gens ordinaires, instruits ou pas, vieux ou jeunes…

Lors de son entretien télévisé, le pape François a démonté tous les tabous et les mythes, à commencer par le concept d’autorité religieuse comme épouvantail. De même il a légalisé et libéré toutes sortes de relations sociales et humaines, faisant de la foi ou de la piété un choix libre, celui de l’homme et de l’humain.

Il n’a pas hésité à faire preuve d’humanité, d’authenticité et de spontanéité, s’éloignant de l’aura de souverain pontife telle que perçue et crainte par la majorité des gens. Il a participé à ce programme en toute harmonie, savourant la musique et poussant la chansonnette comme un citoyen lambda.

Il n’a pas non plus paru gêné de parler de lui-même et de dévoiler qu’enfant, en Argentine, il rêvait de devenir boucher et de glisser l’argent qu’il gagnerait dans la poche de son tablier blanc.

Le voilà à présent devenu chef de l’Église catholique qui regroupe sous sa bannière des milliards de fidèles!

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