" Quand un cachalot de 45 tonnes
vient de tribord, il est prioritaire.
À bien y penser, quand il vient de bâbord aussi. "
Olivier de Kersauson

Le 23 octobre 1961 constitue une date charnière dans le code de la route au Liban. En effet, ce jour-là, les feux de signalisation sont inaugurés aux principaux carrefours de la capitale par le commandant Aziz Ahdab, directeur général de la police. Ce dernier, qui confondait les Suisses et les Libanais (à l’époque c’était d’actualité), les réclamait depuis longtemps. Bien sûr, il ne pouvait en aucun cas prévoir l’usage futur de cet accessoire.
À partir de cette date fatidique, les Libanais, qui avaient déjà une interprétation assez libre du code de la route, pouvaient donner libre cours à leurs divers talents.
Mais au fait, à quoi sert exactement un feu rouge ?
Ici, les experts se perdent en conjectures : pour les uns, il s’agit d’un accessoire purement décoratif destiné à rehausser les couleurs d’une ville par trop grisâtre. Pour d’autres au contraire, c’est un élément de base du code de la route qu’on est en droit d’ignorer, créé afin d’assouvir le besoin naturel du Libanais de contourner la loi.
Dès lors, voici quelques éléments de base de la conduite à tenir face à un feu rouge au Liban :
– En règle générale, un feu rouge signifie qu’il faut écraser le champignon au risque de s’encastrer dans la voiture de devant, dans le but d’empêcher le trafic perpendiculaire de s’engager.
– Quand le feu passe au rouge, les 30 premières secondes ne comptent pas. En effet, il existe une période de grâce où il est parfaitement légitime de poursuivre sa route.
– Bien entendu, Il est d’intérêt public de ne plus respecter le feu rouge (ni aucune autre couleur d’ailleurs) à partir de 22h.
À l’approche d’un feu rouge, il est de bon aloi de signaler à la voiture qui vous précède qu’on n’a nullement l’intention de ralentir et encore moins de s’arrêter. Là, tous les procédés sont bons : phares, clignotants, klaxons, gesticulations diverses, injures inspirées… tout dépend évidemment de la dextérité du conducteur. On la mesure à son aptitude à enclencher plusieurs procédés simultanément, y compris l’ouverture express de la fenêtre pour brandir un médius délicat et expert. Une variante consiste à glisser sa moustache à l’extérieur pour aboyer ses respects aux membres de la famille du conducteur incriminé. Le plus souvent, il s’agit de la sœur ou de la mère de ce dernier.
Certes, il se trouve toujours des illuminés qui ont l’idée farfelue de s’arrêter au feu rouge. Mais même là, il y a quelques règles de base qu’il convient de respecter :
– Les automobilistes libanais prennent un soin qui force le respect à s’arrêter sur le passage piéton.
– Il est impératif de bloquer soigneusement la voie de passage libre à droite.
– Le passage du rouge au vert donne le signal du départ. Celui-ci doit être à la hauteur de l’événement et digne du départ d’un Grand Prix de Formule 1.
Parfois, un agent de la circulation à l’air flegmatique se trouve à proximité d’un feu rouge. Vous vous dites qu’il serait plus prudent de vous arrêter ? Que nenni ! En cas de ralentissement, vous vous faites réprimander sévèrement par l’agent en question.
Très souvent, les feux de signalisation sont éteints, allez comprendre pourquoi. Soucieuse d’être aux avant-postes de l’écologie du XXIe siècle, la municipalité de Beyrouth propose des périodes de relâche. Sans doute une interprétation assez libre du protocole de Kyoto.
Ainsi, il est crucial de ne pas contrecarrer la vie paisible des conducteurs libanais par un code de la route dépassé. Les ministres de l’Intérieur et des Travaux publics sont prévenus. Le code de la route – et en particulier le feu rouge – est une entité optionnelle et ennuyeuse s’il en est.
Aux premières mesures préventives ou dissuasives, l’automobiliste libanais n’y verra que du… rouge !