L’Ordre des pharmaciens du Liban lève la voix contre la pénurie des médicaments et accorde vingt-quatre heures aux fournisseurs pour relancer le processus de distribution des produits pharmaceutiques, faute de quoi les pharmacies seront contraintes de fermer leurs portes.

Un "vent mauvais" souffle, depuis un certain temps, sur le secteur pharmaceutique au Liban. En proie à la crise économique qui ébranle le pays et aux solutions politiques en demi-teinte, les pharmacies font aujourd’hui face à une pénurie accablante de médicaments, les ruptures de stocks et les difficultés d’approvisionnement s’étant multipliées durant les dernières semaines. En cause, notamment, la réduction drastique de la facture de l’importation des médicaments, la diminution et le retard de leur livraison aux pharmacies, l’incapacité des industries pharmaceutiques nationales à subvenir aux besoins du marché local et l’arrêt total de l’importation de certains médicaments, voire de certaines classes pharmaco-thérapeutiques. Ainsi, les obstacles touchant à la chaîne de distribution concernent quasiment toutes les spécialités pharmaceutiques, en particulier les médicaments des maladies chroniques ainsi que ceux des maladies oncologiques et les vaccins.

Mise en garde des pharmaciens

"Si les pharmacies ne reçoivent pas de médicaments d’ici demain, elles seront obligées de fermer, affirme à Ici Beyrouth Joe Salloum, président de l’Ordre des pharmaciens. Je pense que la mise en vigueur d’une nouvelle indexation des prix a été un pas favorable envers les fournisseurs. Mais attendons voir comment les choses évolueront."

De fait, lundi matin, M. Salloum avait annoncé, dans une déclaration à la Voix du Liban (93.3), que les pharmacies seraient contraintes de fermer leurs portes, à partir de mercredi et jusqu’à nouvel ordre, si les sociétés importatrices ne leur livraient pas les médicaments mardi au plus tard. Il a expliqué dans ce cadre que "les importateurs ont suspendu la distribution de médicaments aux pharmacies depuis deux semaines pour des raisons liées au changement de l’indexation des prix". En effet, malgré la hausse du taux de change sur le marché parallèle, le dollar passant progressivement de 20.000 aux alentours de 25.000 livres, le ministre de la Santé, Firas Abiad, s’est abstenu d’émettre, comme à l’accoutumée, une nouvelle grille de tarification des médicaments. Il a ainsi maintenu les prix selon un taux de change de 20.650 livres libanaises le dollar jusqu’au lundi où une nouvelle grille tarifaire a été émise par le ministère, le nouveau taux de change adopté étant de 23.500 livres le dollar.

Contacté par Ici Beyrouth, un pharmacien d’Antélias dénonce le "silence irresponsable" du ministère de la Santé. "Depuis le début de la crise économique, le ministère de la Santé néglige et méprise les pharmaciens, affirme-t-il sous le couvert de l’anonymat. Nos stocks sont à plat, nous n’avons plus de médicaments à dispenser aux patients. Le ministère avait coutume de mettre périodiquement à jour les grilles de tarification des médicaments suivant les fluctuations du taux de change sur le marché parallèle. Si celui-ci baissait, les prix des médicaments baissaient à leur tour et le ministère de la Santé imposait aux pharmaciens de vendre leurs stocks selon la nouvelle grille de tarification, leur infligeant parfois de grandes pertes."

Et de poursuivre: "Récemment, la livre a perdu plus de 20% de sa valeur face au dollar sur le marché parallèle et pourtant aucune décision ministérielle n’a été prise. De ce fait, les fournisseurs ont arrêté de livrer des médicaments en attendant une nouvelle tarification équitable. Mais en fin de compte, ce ne sont que les patients et les pharmaciens qui en paient le prix."

Un déficit de 25 millions

La crise des médicaments n’est pas nouvelle, elle remonte à plusieurs mois déjà, affirme à Ici Beyrouth le président du syndicat des importateurs de médicaments, Karim Jebara. Elle est due au fait que 70% des médicaments au Liban , y compris ceux pour traiter les maladies chroniques et ceux dits vitaux, sont toujours subventionnés, partiellement ou totalement. "Jusqu’à la première moitié de 2021, la facture de l’importation des médicaments représentait près de 70 millions de dollars par mois, précise-t-il. Aujourd’hui, le montant disponible pour la subvention des médicaments ne dépasse pas les 25 millions. Il existe donc une grande brèche entre la demande des patients en médicaments et la capacité du Liban à les subventionner. Les gouvernements successifs n’ont pas réussi à trouver un financement additionnel externe, car tous les organismes qui sont prêts à aider, conditionnent tout financement par des réformes."

Deux solutions possibles

Selon M. Jebara, les besoins du Liban, en termes de subventions aux médicaments, s’estimeraient à 50 millions de dollars par mois, un chiffre qui constitue la limite inférieure à ne pas franchir. "Voilà les raisons essentielles et structurelles du déficit des médicaments qui existe sur le marché, avance-t-il. Toute autre discussion est gratuite. Il faut s’en tenir aux raisons essentielles et essayer de régler les vrais problèmes."

Quelles seraient donc les solutions à ce mal sans fin? "J’ai proposé deux solutions, mais qui requièrent naturellement du financement, répond M. Jebara. La première consiste à trouver un financement étranger pour les 25 autres millions de dollars dont on a besoin, en faisant le tour des organisations arabes, européennes et mondiales. Il faut se mouiller pour essayer de ramener cette somme sans s’engager dans des réformes économiques."

Au cas où cette approche échoue, M. Jebara propose d’utiliser les 25 millions de dollars pour subventionner uniquement les médicaments vitaux. "Cela concerne, en effet, peu de patients (environ 30.000 à 40.000), peu de médecins (environ 300) et ils sont souvent donnés à travers des hôpitaux (environ 25 hôpitaux), souligne-t-il. Le ministère de la Santé peut mettre en place un système qui puisse contrôler et vérifier qu’il n’y a pas d’abus, de stockage ou de revente."

Mais alors, quid des maladies chroniques? "On lève les subventions sur les médicaments, mais on met en place une carte médicale, en livres libanaises, qui serait à la portée des patients libanais, propose M. Jebara. Celle-ci contiendrait les informations médicales de ces derniers, avec un montant mensuel basé sur les besoins de chacun d’entre eux. Et ce, jusqu’à ce que le Liban sorte de sa crise et qu’il entame les négociations avec le Fonds monétaire international."

Une optimisation, mais pas de solutions

"L’État se doit de trouver des solutions à tous ces problèmes, mais s’il est incapable de le faire, c’est à nous tous, ministère, importateurs, fournisseurs et pharmaciens, d’essayer de trouver une solution qui tienne la route", conclut M. Jebara qui se dit pessimiste quant à la mise en place d’une solution dans un futur proche. "Je pense qu’on est dans une sorte d’optimisation qui permet d’économiser quelques millions de dollars en subventionnant les matières premières et en levant les subventions sur les médicaments qui ont un générique libanais. On est dans un processus d’optimisation et non de solution."