À Beyrouth, on se perd en conjectures sur la date du retour du médiateur américain, Amos Hochstein, dans la capitale libanaise, porteur de la réponse israélienne à la dernière offre libanaise concernant la démarcation des frontières maritimes sud. À Tel Aviv, le discours politique a subitement changé. Il s’est récemment orienté vers des appels à écarter le Hezbollah du dossier des négociations indirectes libano-israéliennes, depuis que le parti chiite a fait monter les enchères à ce niveau. Une question s’impose cependant: Est-il possible que cette demande soit prise en considération ?

Avant d’y répondre, il serait intéressant de rappeler que le Hezbollah a fait du dossier de la démarcation des frontières maritimes un sujet de débat quasi quotidien, à travers les positions de ses cadres, notamment de son chef, Hassan Nasrallah. Dans son discours du 9 août, à l’occasion de la commémoration de l’Achoura, le numéro un de la formation pro-iranienne a haussé le ton, en assurant que " le Liban gardera pour lui son pétrole, son gaz et son eau, et que personne ne sera autorisé à lui piller ses ressources", menaçant de "couper la main à qui essaiera de s’emparer des richesses" du pays.

Le Hezbollah est ainsi entré de plain-pied dans le dossier des négociations indirectes avec Israël, sans y être invité bien entendu, imposant ses conditions et ses délais. Y aura-t-il un responsable libanais qui se hasardera à lui demander de laisser les autorités libanaises s’en occuper exclusivement, à commencer par le président de la République qui, en vertu de ses prérogatives constitutionnelles, est le principal responsable des négociations relatives à la démarcation des frontières sud entre le Liban et Israël ?

Le 1ᵉʳ août, le palais présidentiel de Baabda avait accueilli une rencontre exceptionnelle, les trois pôles du pouvoir, Michel Aoun, Nabih Berry et Najib Mikati, s’étant retrouvés pour la première fois depuis longtemps, autour d’une même table, aux côtés du médiateur américain Amos Hochstein. Cette réunion a dépassé le cadre protocolaire qui régit ce genre de rendez-vous et a été justifiée par la volonté des autorités libanaises d’adresser au monde entier un message selon lequel elles adoptent une position unifiée par rapport au dossier des frontières maritimes sud.

Immédiatement après la réunion de Baabda, la rhétorique hezbollahi s’est intensifiée, Hassan Nasrallah voulant montrer que c’est lui qui gère ce dossier. Une attitude qui a soulevé nombre d’interrogations dans les milieux politiques et diplomatiques où l’on s’est interrogé sur le point de savoir qui, au final, mène au Liban les négociations au sujet de la délimitation des frontières.

Dans le même temps, le flou le plus total a commencé à entourer les activités du médiateur américain et la date de son retour à Beyrouth avec la réponse de Tel Aviv à l’offre libanaise. Puis, graduellement, des informations provenant d’Israël ont commencé à être ébruitées, selon lesquelles la réponse de Tel Aviv à l’offre libanaise (le champ de Cana contre celui de Karish avec une modification du tracé de la ligne 23 proposé par Amos Hochstein) sera retardée. Ces mêmes sources israéliennes soulignent en outre que des obstacles se dressent face à une relance des négociations indirectes au siège de la Finul à Naqoura, alors qu’il était question qu’elles reprennent. Ces pourparlers avaient été interrompus en mai 2021.

Dans sa dernière conférence de presse, le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, avait d’ailleurs fait allusion à des complications au niveau d’une reprise de ces négociations, en soulignant, en réponse à une question : "Il se peut que ce soit le comportement du Hezbollah qui a compliqué l’entente au sujet de laquelle tous les pays font pression pour qu’elle ait lieu".

En Israël, le quotidien à large diffusion Yediot Aharonot a publié un article sous le titre "Israël pousse lentement le Hezbollah hors des pourparlers sur la démarcation des frontières maritimes libanaises"; le quotidien israélien indique notamment que "les objectifs diplomatiques fixés par le médiateur américain sont devenus plus réalisables depuis qu’Amos Hochstein a réussi à persuader les hommes politiques libanais d’isoler le Hezbollah, soutenu par l’Iran, de la gestion de ses affaires étrangères ". Le même article estime que " l’envoyé américain est parfaitement conscient du champ de mines que représente le pouvoir au Liban, avec l’enchevêtrement des prérogatives, la présence du Hezbollah soutenu par l’Iran et sa représentation parlementaire". Il relève qu’ Amos Hochstein est optimiste quant à la possibilité d’un compromis d’ici la fin de l’été, avant que les blocs de gaz en mer méditerranée, situés près de la côte libanaise, ne commencent à être exploités ".

Entre le pessimisme de Samir Geagea et l’optimisme d’Amos Hochstein, des milieux politiques qui suivent de près la mission du médiateur américain évoquent la possibilité d’un report des négociations indirectes à Naqoura, parallèlement au lancement des travaux de prospection gazière par la société française Total dans les zones frontalières sud, en attendant la mise au point d’un accord final sur la démarcation des frontières maritimes.

La presse a rapporté dans ce contexte des informations qui circulaient selon lesquelles " Total, qui avait conclu un accord avec le Liban pour la prospection et l’extraction de pétrole et de gaz dans les eaux territoriales et la Zone économique exclusive libanaise, aurait réservé cent cinquante chambres dans un hôtel local, pour le mois de novembre prochain afin d’y loger son équipe de travail, dans la perspective des travaux envisagés dans le bloc 9 ". Or, selon ces mêmes sources, " l’équipe de travail de Total n’a pas besoin d’autant de chambres. Le nombre de celles qu’elle avait réservées à ses employés n’a pas dépassé la vingtaine, au moment où elle menait des travaux d’exploration dans le bloc 4. "

Que ces informations sont fondées ou pas, une chose demeure certaine: Israël, qui est à quelques semaines de ses élections législatives, ne pourra pas faire preuve de souplesse dans le dossier de la démarcation des frontières avec le Liban, surtout si le Hezbollah décide d’en faire une carte de pression dont l’Iran pourrait bénéficier dans le cadre de ses négociations avec les États-Unis sur le dossier du nucléaire. Ce qui fait dire aux milieux politiques cités plus haut que Paris, qui a toujours assumé un rôle difficile dans la gestion du dossier libanais, serait de nouveau prête à appuyer le Liban dans le cadre de ses tractations autour de la démarcation des frontières maritimes. Ce dossier reste crucial puisqu’il est directement lié à la question de l’exportation de gaz vers l’Europe, alors que la guerre en Ukraine se poursuit.