Dans le luxe et l’opulence de leurs demeures, les responsables libanais discutent de leur avenir politique et de leur part du gâteau dans ce Liban exsangue, sans se soucier le moins du monde des Libanais qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts, qui se nourrissent mal et qui ont de plus en plus de difficultés à éduquer leurs enfants.

Aucun élan d’urgence! Qu’importe si le pays s’enlise depuis plus de trois ans dans une crise économique et financière qui a déjà enfoncé plus de 80 % des Libanais dans la misère. Les "responsables" sont totalement “irresponsables” et ne s’intéressent qu’à leur avenir politique, à l’abri du besoin! Au lieu de réaliser les réformes indispensables pour le redressement du pays, ils accablent les Libanais de frais, de taxes et autres impôts.

Le système n’offre même plus le minimum vital aux Libanais. L’accès à l’électricité et à l’eau, à la santé et à l’éducation devient un calvaire. Avec la dévaluation de 90 % de la livre libanaise, les salaires en LL ne valent plus rien. Seuls ceux qui sont rémunérés en dollars (dits "frais") ou ceux qui ont de l’argent à l’étranger peuvent mener une vie quasiment normale.

Un taux de change qui a doublé en deux mois

Dans la vie quotidienne, une majorité de Libanais survit grâce au "système D" sans pouvoir établir ne serait-ce qu’une ébauche de budget, au vu de la flambée du taux de change du dollar américain contre la livre libanaise sur le marché parallèle (112 000 LL lundi matin), suivi de celui de Sayrafa (80 200 LL vendredi soir). Le dollar a plus que doublé en deux mois. En effet, le 19 janvier, il s’échangeait à 50 000 LL et en septembre à 38 500 LL, six mois plus tôt. Quant à Sayrafa, le taux était de 44 000 LL en février et de 29 800 LL en septembre.  Ce taux a également doublé et par le fait même toutes les factures qui y sont indexées.

Des salaires qui partent en fumée

Interrogée par Ici Beyrouth, une enseignante, mère de deux enfants, ne cache pas son désarroi et n’arrive pas à atténuer sa colère contre les dirigeants. “ Nous vivions confortablement, nous éduquions bien nos enfants et maintenant nous sommes dans la misère, souligne-t-elle. Si le taux de change continue d’augmenter à ce rythme, nous allons devoir abandonner l’utilisation de l’un des téléphones portables et diminuer l’utilisation du générateur. Comment voulez-vous faire autrement?”.

Cette enseignante encaisse 150 dollars et 3 000 000 de livres, soit environ 175 dollars, et son mari l’équivalent de 400 dollars, donc un total de 575 dollars pour le couple. Comment faire pour subvenir aux besoins les plus élémentaires, lorsqu’il faut payer une citerne d’eau 50 dollars, la facture d’Électricité du Liban 1 500 000 LL environ, le gaz domestique 1 325 000 LL, le générateur de quartier 140 dollars, le téléphone portable un minimum d’un million de LL par numéro, le téléphone fixe et internet fourni par Ogero 400 000 LL,  les frais de l’immeuble un million de LL, l’essence environ 30 litres en limitant les déplacements, soit 3 000 000 LL par semaine et donc 12 millions de livres par mois. Les dépenses courantes pour le couple en question s’élèveraient donc à 355 dollars environ en frais fixes. Il ne lui resterait ainsi qu’environ 220 dollars pour les courses ménagères, les scolarités, les assurances, les frais divers et les imprévus.

La Mankouché, un luxe

“Au Supermarché, je suis à l’affut des promotions et autres offres. Je cherche le moins cher, souligne une jeune femme pratiquement au bord des larmes. Je calcule sur la calculatrice de mon téléphone. Malheureusement je ne cherche plus la qualité, mais ce qui est le moins cher. Fini la viande, le jambon, le poisson. Nous nous rabattons sur le poulet de temps en temps, beaucoup de graines et du kechek (yaourt séché). Je fais ma labneh. Exit les baguettes, les croissants, les biscuits ou les chocolats importés pour les enfants et là, même la production locale est chère. La mankouché est désormais un luxe! Quant aux sorties, c’est oublié. Les vêtements et coiffeur pareils. Nous nous privons pour les enfants et nous n’arrivons même pas à leur offrir ce que nous souhaiterions leur donner ou ce que nous leur donnions avant la crise de 2019. S’il y a un vaccin à faire ou même une grippe ou toute maladie bénigne à soigner, c’est la catastrophe! Il en est de même si la voiture tombe en panne. La réparer relève du miracle”, affirme la jeune femme.

“La tête fonctionne 24 heures sur 24 pour savoir comment nous allons boucler le mois, ajoute-t-elle. À peine le salaire encaissé qu’il est englouti par les frais fixes ou les dettes contractées le mois précédent auprès d’amis ou de membres de la famille plus aisés. J’essaie de donner des cours particuliers pour mettre du beurre sur les épinards et malgré cela c’est difficile”, poursuit-elle.

Même son de cloche chez une employée du secteur public et son conjoint militaire. “Mon mari cumule deux emplois, explique-t-elle. Quand il est en permission, il travaille comme chauffeur au service d’une famille”.  Et d’ajouter : “J’essaie de profiter un peu de Sayrafa, d’effectuer des formalités dans les administrations publiques contre quelques dollars ou de vendre des timbres pour arrondir les fins de mois qui sont de plus en plus dures. Ce sont les responsables qui nous poussent à cette situation. C’est insupportable !”.

Le pire c’est le prix des frais scolaires, les écoles exigeant des augmentations régulières et le versement d’une partie de la scolarité en dollars. “Mais d’où allons-nous nous procurer les dollars?”, s’insurge la fonctionnaire. Quant aux universités, la majorité d’entre elles ont complètement dollarisé les frais. Le processus de dollarisation est bel et bien en marche…