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Récapitulons, donc, succinctement, pour bien placer les développements en cours dans leur véritable contexte… Le 8 octobre 2023, au lendemain de l’attaque meurtrière du Hamas contre Israël, le Hezbollah réactivait le front du Liban-Sud où régnait, pourtant, un calme parfait depuis août 2006. Prétexte invoqué pour justifier cette initiative unilatérale prise contre le gré d’une très large majorité de Libanais: réduire la pression militaire sur le Hamas à Gaza. Tel était du moins l’objectif proclamé… Mais la réalité est tout autre. Nul n’ignore, en effet, que la charte politique fondatrice du Hezbollah (1985) stipule – comme l’explique cheikh Naïm Kassem dans son ouvrage sur le Hezbollah – que toute décision de guerre et de paix relève de manière inconditionnelle du Guide suprême de la Révolution iranienne. En clair, le directoire du Hezbollah a donc lancé le 8 octobre "sa" guerre d’usure contre Israël car tel était le bon vouloir du Guide Ali Khamenei, qui cherchait (c’est l’évidence même) à servir l’intérêt supérieur (régional) du régime des mollahs.

Ces faits ont été maintes fois répétés, certes, mais nombreux sont ceux, à l’étranger comme au Liban, qui les ignorent encore ou qui les occultent sans sourciller. La réalité dans ce cadre est dure à admettre: les épreuves endurées par les Libanais ces deniers jours ainsi que la guerre d’usure dans laquelle la formation pro-iranienne a entraîné tout le pays il y a près d’un an sont la conséquence directe de la doctrine (théocratique) hezbollahie fondée sur l’allégeance inconditionnelle au Guide suprême iranien. La population libanaise est ainsi sacrifiée sur l’autel des intérêts supérieurs de Téhéran. Nous nous trouvons devant un cas extrême d’aliénation de nature "divine", ou plutôt d’aliénation à une force régionale qui s’octroie elle-même une légitimité divine pour mieux consolider son emprise sur ses suppôts locaux. Le Liban a connu dans ce cadre, au fil des crises existentielles qui l’ont secoué, une longue histoire d’aliénations successives, stigmatisées constamment par une large partie de la population. Le profond ressentiment d’aujourd’hui à l’égard du Hezbollah et le rejet de son ancrage stratégique aveugle au pouvoir des mollahs sont la manifestation d’un sentiment de ras-le-bol généralisé face aux tentatives répétées de soumettre le pays du Cèdre. Des tentatives qui se succèdent depuis la fin des années 60, comme l’illustrent les différentes phases de l’interminable crise libanaise.

Au cours des dernières décennies, plusieurs puissances moyen-orientales ont tenté d’instrumentaliser le Liban et de lui imposer leur diktat, en s’appuyant sur l’aliénation d’une faction de la population. Depuis plus d’un demi-siècle, les Libanais subissent les conséquences douloureuses d’arrangements fondés sur le déshonneur et de politiques expansionnistes qui lui sont imposés sous le prétexte fallacieux de la lutte pour la cause palestinienne. Ce fut le cas en 1969 avec le funeste accord du Caire qui avait donné aux fedayine palestiniens le droit de mener des opérations (stériles) contre Israël – essentiellement des tirs de Katioucha, à l’efficacité douteuse – ce qui avait entraîné de nombreux raids israéliens de représailles contre des villages libanais. Ce fait accompli palestinien armé a pavé la voie à l’appétit insatiable des autres forces régionales aux visées inavouables.

En 1973, le président Sleiman Frangié demandait à l’armée libanaise de mettre fin aux violations répétées de la souveraineté nationale par les organisations palestiniennes. Il devait toutefois être contraint de faire marche arrière sous la forte pression du président syrien Hafez el-Assad avec qui il entretenait pourtant des relations privilégiées. Les débordements des fedayine devaient déboucher sur le déclenchement de la guerre libanaise, en avril 1975. Il en a résulté l’occupation du pays par la Syrie sous le prétexte de préserver le territoire syrien d’une possible attaque israélienne, Damas affirmant, pour justifier sa mainmise, que le Liban constituait son "ventre mou" dont il devait se prémunir. Une fois de plus, les Libanais étaient victimes des visées d’une puissance régionale.

En avril 1996, Israël lançait l’opération "Raisins de la colère" qui s’était traduite par une quinzaine de jours de bombardements intensifs visant à mettre un terme aux tirs (stériles) de Katioucha du parti pro-iranien contre le nord d’Israël. Il en a résulté un accord de cessez-le-feu négocié avec l’État hébreu par le Hezbollah (et non le gouvernement libanais) par l’intermédiaire des États-Unis et la France.

En avril 2005, le retrait syrien, obtenu grâce, entre autres, à la Révolution du Cèdre, n’aura pas constitué, comme l’espérait la population, la fin des épreuves face aux forces proche-orientales. S’appuyant sur son bras armé faisant preuve d’une docilité "divine", le régime des mollahs imposera, dès 2005, une tutelle implacable au Liban, perçu comme une carte maîtresse dans son bras de fer avec l’Occident. Afin de consolider son emprise et de stopper net l’élan souverainiste du 14 Mars, Téhéran provoquera, par le biais du Hezbollah, la guerre dévastatrice de juillet 2006 qui débouchera sur la résolution onusienne 1701 que l’allié de Téhéran réussira à vider progressivement de sa substance, jusqu’au 8 octobre 2023…

Plus d’un demi-siècle de tentatives d’aliénation et de mainmises agressives imposées à tour de rôle par des puissances et des forces régionales belliqueuses… Il en résulte ce phénomène de ras-le-bol généralisé et ce profond ressentiment perceptible aujourd’hui à l’égard du Hezbollah. Si bien que nombre d’activistes n’hésitent pas à souligner que ceux qui prônent aujourd’hui la solidarité avec le parti pro-iranien auraient mieux fait de demander à ce dernier de faire preuve, lui, de solidarité avec le peuple libanais en lui épargnant une guerre destructrice qui lui a été imposée pour servir une raison d’État iranienne qui ne le concerne ni de près ni de loin.

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