Si ‘’c’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière " (Chantecler d’Edmond Rostand), alors comme le dit Apollinaire " il est grand temps de rallumer les étoiles " ou de rallumer les consciences, comme le dit si justement l’Abbé Pierre.

Quant aux Libanais, pour chaque Libanais, comme pour tous, il faut rallumer le patriotisme – ni nationalisme ni spiritualisme – car seule la patrie pour tous et pour chacun permet la Foi, le Rite ou leur déni.

Mais apatride, sans-patrie assurée et sécurisée, que l’on soit animiste, bouddhiste, chrétien ou musulman, tous, quoi que nous soyons, nous nous retrouverons comme ces millions de réfugiés aux portes des pays et nations, où ils espèrent trouver une patrie, où croire ou pas, où vivre sa religion, ses idées, ses choix de vie et de société.

Mais une Patrie c’est un pays, une adhésion à sa terre, à ses hommes, à ses institutions, à sa Constitution et par-delà à son État.

Le Liban parce qu’on le lui a dit, parce qu’il y a cru, parce qu’il y croit, le Liban se pense et se veut Message: un pays-message pour toute l’humanité et partant se voit héritier d’un empire aux limites de la terre.

Volonté sincère, naïveté politique, mégalomanie, mais risque réel d’un syndrome libanais de l’Empire austro-hongrois.

L’Empire austro-hongrois, sans doute le plus grand empire des temps modernes: une famille impériale et un pays engoncé dans ses traditions millénaires, héritier des Habsbourg, de Metternich et fier de cet héritage…

Près de 676.000 km carrés, 51.390.000 habitants en 1914, remplacé aujourd’hui par 7 États-nation, dont l’Autriche 8,9 millions d’habitants pour 83.860 km carrés.

Deux couronnes: impériale et royale, deux entités autrichienne et hongroise, catholiques, mais pas seulement car, aux portes de la Grande Russie et de la Sublime Porte, orthodoxie et islam se partagent une population germanique, slave, turkmène, etc.

Complexe, oui, mais la fidélité à l’empereur et aux Habsbourg a maintenu la cohésion de l’empire de nombreux siècles durant. Le jour où cette adhésion a éclaté sous les coups de butoir d’un ensemble de phénomènes (guerres, révolutions, nouvelles idéologies: marxisme, libéralisme, nationalisme, économisme) l’héritier du Saint-Empire romain germanique éclata en lambeaux.

Est-ce que l’Autriche d’aujourd’hui, la Hongrie ou le reste de l’empire dépecé se sentent-ils à la mesure de leur histoire, de leur grandeur passée?

L’Autriche, cette héritière quasi millénaire, se retrouve aujourd’hui coincée aux confins de l’Europe avec une population de moins de 10 millions d’habitants: sans doute mieux nantis que leurs ancêtres, mais reconnaissante à l’Otan qui garantit à travers l’Union européenne sa sécurité.

Qu’en serait-il d’un pays mouchoir de poche comme le Liban s’il venait à se disloquer? Qu’adviendrait-il de l’unique exemple d’un pays-message assurant aux yeux du monde la possibilité d’un vivre en commun islamo-chrétien? Qu’adviendrait-il d’un micro-État chrétien au milieu d’une terre d’islam, une et même pour sunnites et chiites?

Un islam qui se redécouvre aujourd’hui, comme aux temps modernes de la chrétienté: missionnaire, irrédentiste, inquisitionnel…

L’islam libanais se veut libanais par-delà son appartenance à la " Ouma ", mais réclame ce qu’il considère comme une plus grande participation à la vie politique du pays par le remplacement de l’historique et traditionnelle diarchie chrétiens–musulmans pris dans leur globalité, par une “triarchie " chrétiens-sunnites-chiites qui, compte tenu alors de la force du nombre, réduirait le chrétien à un tiers négligeable dans la prise de décision, trahirait l’histoire et mettrait en péril sa présence même et donc de la chrétienté en terre d’islam.

S’il est vrai que l’islam au Liban se veut Libanais c’est qu’il veut être au Liban et vivre avec le chrétien libanais.

Alors fort de leur force, de la force de leur nombre et de leur environnement, c’est aux musulmans libanais de tout bord que doit revenir le choix et le devoir de la concession: concéder le plus de pouvoir possible, le plus d’assurances possibles et de sécurité à l’entité chrétienne, source et origine du Liban moderne, devenue hier minorité par le nombre et l’environnement.

À l’aube de l’Indépendance, un homme d’État et un grand libanais, Riad Solh, tout comme Sabri Hamadé, Nazira Joumblatt et par ailleurs les leaders des grandes familles sunnites, chiites et druzes, avaient intégré cette vision que pour être un pays-message au service essentiellement de l’image que renvoie de lui-même l’islam de tolérance et d’ouverture, il faut être deux à le vouloir, à œuvrer pour sa réalisation et sa pérennité.

Oui cela coûte beaucoup de concessions de part et d’autre, mais c’est à ce seul prix que le Liban dont nous rêvons, nous chrétiens libanais et nous musulmans libanais, pour nos enfants, qu’il pourra être et se sortir de la crise mortelle dans laquelle il se débat; et qu’il pourra se reconstruire et reconstruire la charpente et l’esprit de ce qui a fait le Liban de toujours.

Les voix des sirènes nous encombrent l’esprit:

– Fédéralisme qui mènerait, sans rien résoudre, à la partition, tous les pouvoirs régaliens restant l’apanage du seul pouvoir central.

– Triarchie communautaire: une demande sans doute justifiée sous d’autres cieux et d’autres démocraties, mais dont la signification propre au Liban traduirait une volonté de pouvoir avec à la clé un déséquilibre, le refus d’équilibre qui permettrait aux chrétiens et aux autres minorités de se sentir chez soi, pris en compte dans leurs choix et besoins et maître chez soi et de leur destin.

Malgré les vicissitudes de l’histoire récente, la montée des irrédentismes surtout de l’irrédentisme musulman et le fait d’un environnement pas nécessairement hostile, mais où la " Ouma " ou communauté des croyants, qui pour tout sunnite ou bon musulman prime sur l’appartenance patriotique; et bien que le chiisme libanais ait officiellement renoncé à la wilayat al-Fakih (gouvernement du docte théologien-juriste qui concerne uniquement le chiisme duodécimain et qui transfert toute autorité politique et religieuse au clergé chiite), il n’en reste pas moins inféodé à l’Iran qui lui ne se soumet qu’au Guide suprême.

Être musulman en terre d’islam c’est être chez soi, mais être chrétien en terre d’islam c’est être comme avec les Daesh, Talibans, etc. un " dhimmi’, un toléré, un accepté: un citoyen de 2e zone, de 2e catégorie.

Chrétiens et juifs libanais ont trop connu cela pour l’accepter à nouveau, après avoir goûté aux fruits de la liberté, de la dignité égale pour tous.

Être seul chez soi n’est pas la solution ni le souhait des chrétiens libanais ni du plus grand nombre de Libanais, mais cela passe nécessairement par l’acceptation et la reconnaissance par le plus fort de droits égaux et peut-être même " plus égaux " aux plus faibles, et le nombre ne peut ni ne doit entrer en ligne de compte. Sinon, à l’instar de l’immense empire austro-hongrois, ce sera la séparation, la division, la perte de sens et de valeurs pour tous.

Renoncer au fédéralisme et à la " triarchie ", admettre et protéger par ses seules forces armées une neutralité politique réelle se nourrissant de l’amitié et de l’aide de tous sans prendre part aux conflits où risque de se perdre l’identité du Liban.

Accepter sans arrière-pensée l’arabité du Liban, son libéralisme économique et culturel dans le respect de tous, reconnaître au mérite ses droits, mais aussi protéger les droits des plus fragiles et trouver par un dialogue franc les modalités pour qu’aucune communauté ne se sente lésée dans ses fondamentaux, ses droits et son devenir.

C’est dur et complexe, mais le Liban n’est pas qu’une plaine, c’est dans la dureté et la complexité que s’est bâtie sa joie et sa douceur de vivre.

Toujours arrimé à une démocratie de groupe, d’ensembles ayant chacun les mêmes droits et devoirs, n’ayant jamais été redevables à une démocratie du nombre ou 50+1 équivaut à la dictature de ce 1.

Pour faire la paix ou la guerre, pour bâtir et reconstruire, il faut en appeler à tous.

L’Autriche a choisi le mieux-être et s’appuie sur le pilier OTAN et le Danube comme lien et projet commun.

Le Liban, pour bâtir et se reconstruire après sa descente aux enfers, a pour lui la volonté de ses fils, appuyée sur une diaspora toujours concernée et à l’écoute, sur toutes les amitiés et bonnes volontés et sur vous chrétiens et moi musulman: sur vous et moi.