L’invasion russe en Ukraine représente un choc économique historique pour le pays, explique la cheffe économiste de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) Beata Javorcik dans un entretien à l’AFP.

Le conflit a déplacé 15% de la population ukrainienne, un afflux de réfugiés qui pèse sur les ressources des pays d’accueil, mais qui, à long terme, peut s’avérer pour eux un atout, ajoute-t-elle en marge de l’assemblée générale annuelle de la BERD.

Q : Comment décrivez-vous l’impact économique de l’invasion de l’Ukraine ?

Notre scénario central se fonde sur un conflit qui dure jusqu’à l’été, ce qui est très optimiste, et dans ce cas la guerre représente un choc moins important que la COVID-19, et plutôt comparable à la crise financière (de 2008).

Selon notre scénario pessimiste, qui intègre des perturbations plus importantes de l’approvisionnement en gaz, nous projetons des niveaux de PIB qui reviennent à avant la pandémie et effacent donc tous les gains de la reprise avec des prix pétroliers qui restent élevés.

Pour l’Ukraine, le déclin de 30% (du PIB) anticipé est dû au fait que la guerre prend place sur le territoire, responsable de 60% du PIB. Le blé tend à être cultivé au sud et à l’est, là où a lieu la guerre, et il y a en plus des pénuries de carburant. En outre, 10% de la population ukrainienne est partie.

Pour la Russie, nous prévoyons une chute de PIB de 10%, soit l’équivalent de la contraction économique dans les pays occidentaux au plus fort de la Covid-19, ce qui est sévère.

Pour l’Ukraine, c’est probablement le pire déclin du PIB depuis la seconde guerre mondiale.

Q : Quelle est la situation en termes de sécurité alimentaire ?

Je ne pense pas qu’il y ait de pénuries alimentaires. En général, quand on observe des famines ce n’est pas dû à une pénurie d’aliments, mais à leur distribution. Même si l’Ukraine et la Russie sont conjointement responsables de 35% des exportations mondiales, on peut acheter du blé des États-Unis par exemple.

Ce sont les prix élevés de l’alimentation qui rendent l’accès à l’alimentation difficile. Dans des pays comme le Maroc, l’Égypte et la Jordanie, la nourriture représente plus d’un tiers des paniers de consommation. Ces pays d’Afrique du Nord sont (particulièrement affectés) car les prix des aliments augmentent et leurs devises se déprécient. Il y a en plus des subventions et c’est incroyablement coûteux pour les finances des gouvernements, au moment où elles sont déjà très fragilisées par la Covid-19 et les taux d’intérêt qui montent.

Certains gouvernements réagissent en abaissant les prix du carburant, parfois de l’alimentation. La bonne manière de le faire est de faire des transferts d’allocations aux ménages les plus pauvres. Mais abaisser les taxes (notamment sur l’essence, ndlr) pour tout le monde pèse sur les finances publiques et envoie les mauvais messages (en pleine urgence climatique, sans encourager à baisser la consommation de carburant, ndlr).

Q : Quel est l’impact de l’afflux de réfugiés dans les pays voisins ?

La Moldavie a accueilli l’équivalent de 14% de sa population, la Pologne plus de 5%. En Pologne, les réfugiés ont droit à des soins de santé gratuits, des allocations pour les enfants, des transports gratuits, l’école… Ça met une forte pression (sur les services publics).

Mais l’Europe de l’Est vieillit très vite alors qu’elle n’est pas encore riche. Cet afflux de jeunes ukrainiens plutôt (diplômés) peut aider à résoudre cette situation. Nous savons d’expérience et de recherches académiques que les gens qui quittent leur pays ne sont pas les plus pauvres (car il faut des ressources pour faire le voyage, ndlr). Devenir réfugié est très risqué et demande beaucoup de courage, ce sont des gens qui ont un caractère entrepreneurial. Après un an ou plus dans un pays, ils intègrent la force de travail.

C’est vrai des Mexicains qui traversent le mur (au sud des États-Unis), ou des Syriens. Le niveau d’éducation des Ukrainiens est plus élevé en général que celui des Syriens par exemple et leur langue est similaire aux langues slaves, beaucoup d’Ukrainiens ont des racines polonaises et parlent déjà polonais. Les recherches montrent que les migrants augmentent les liens entre leurs pays d’accueil et d’origine, ce qui augmente le commerce et l’investissement à long terme.

Avec AFP