2022 marque un tournant pour les principaux pays d'Asie centrale. Depuis janvier, le Kazakhstan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan font face à des mouvements de contestation populaires durement réprimés. Autrefois synonymes de stabilité, les ex-républiques soviétiques de cette région sont confrontées à des chocs extérieurs qui alimentent les crises internes, sur fond d'inflation et de guerre en Ukraine, et font tanguer leurs régimes autoritaires.
Même si ces crises avaient leurs particularités, elles se sont produites au moment où des facteurs socioéconomiques échappant au contrôle de ces régimes autoritaires ont aggravé les souffrances des populations. Pour les experts, se pose désormais la question de la capacité de ces régimes à garder le contrôle dans cette région où Moscou et Pékin exercent une grande influence et ont des intérêts importants.
Alors que la pandémie de coronavirus plombe toujours l'économie, l'Asie centrale a été confrontée à de nouveaux "chocs extérieurs", comme le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan et les retombées mondiales de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, explique Raffaello Pantucci, expert de cette région au groupe de réflexion britannique Royal United Services Institute. "Mais il est difficile de retracer l'origine des problèmes (...) puisqu'une grande part de la contestation semble être domestique", poursuit-il.
Nurlan Zhagiparov montrant une photo de son frère tué Yerlan, 49 ans, tué dans les manifestations kazakhes de janvier.
Transition politique
Les cinq pays d'Asie centrale, géographiquement enclavés, culturellement proches et héritiers de l'URSS, traversent tous des phases de transition politique et sont confrontés à une très forte inflation, deux facteurs majeurs d'instabilité.
Au Tadjikistan, où les forces de sécurité ont récemment lancé une opération "antiterroriste" dans la région autonome rebelle du Haut-Badakhchan (est), le dirigeant Emomali Rahmon prépare sa succession, son fils Roustam étant vu comme le favori par les observateurs. M. Rahmon, 69 ans, est au pouvoir depuis 30 ans, ce qui en fait le dirigeant actuel d'Asie centrale qui règne depuis le plus longtemps.
En Ouzbékistan, le président Chavkat Mirzioïev a suscité la colère de la région du Karakalpakstan (ouest) en défendant une réforme, depuis abandonnée, prévoyant de réduire son autonomie. Au moins 18 personnes sont mortes lors de manifestations violemment réprimées début juillet.
Avant cela, en janvier, le Kazakhstan, plus grand pays d'Asie centrale, a été secoué par des émeutes d'une ampleur sans précédent qui ont fait au moins 238 morts. La colère des protestataires était liée à la hausse des prix du gaz et dirigée notamment contre l'ex-président Noursoultan Nazarbaïev, remplacé en 2019 par un fidèle, Kassym-Jomart Tokaïev, qui a depuis purgé les institutions des proches de son prédécesseur.
Le président russe Vladimir Poutine assiste à une réunion des chefs d'États membres lors du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), qui s'est tenu à Douchanbé, en 2021.
Crises internes
Dans ces trois cas, les régimes en place ont dénoncé l'action de "forces extérieures" alors que ces crises étaient "clairement internes", souligne Emile Djouraev, un politologue au Kirghizstan, pays qui a vu trois de ses six présidents être renversés, dernièrement en 2020. Les coupures d'internet par les autorités et le musellement de la presse empêchent d'avoir une vision claire de ces crises et jettent le doute sur les bilans de victimes avancés par les autorités.
L'un des facteurs-clé de colère populaire, l'inflation, reste en tout cas pleinement d'actualité. Au Kazakhstan, l'inflation alimentaire était à plus de 19% en rythme annuel, a déclaré en juillet le président Tokaïev. Le prix du sucre a explosé, doublant presque dans certaines villes, à cause notamment de l'arrêt des exportations russes après l'invasion de l'Ukraine.
Dans une étude publiée en juin sur le risque de troubles liés à l'inflation dans le monde, l'hebdomadaire britannique The Economist a classé les pays d'Asie centrale dans la catégorie "risque élevé". Si le contexte géopolitique et économique donne des sueurs froides aux régimes autoritaires d'Asie centrale, l'absence de libertés publiques représente pour eux une plus grande menace à long terme, estime Marius Fossum, représentant régional du Comité norvégien d'Helsinki, une ONG.
Ces gouvernements "ont l'habitude de réprimer toute forme de critique", dit-il. Or, "comme il n'existe pas de voie normale pour que les citoyens expriment leurs frustrations, tout bouillonne sous la surface, jusqu'à ce que ça déborde".
Avec AFP
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