"L'agriculture est morte", affirme, désespéré, un cultivateur d'oignons égyptiens. 103 millions d'Égyptiens dépendent des petits exploitants agricoles pour leur alimentation, dans un pays longtemps influencé par la planification étatiste nassérienne, où les livraisons des récoltes constituaient un "devoir national". Mais les paysans sont forcés de vendre à perte: unique planche de salut du pays face à la guerre en Ukraine, ils se noient sous les dettes.
60% du blé importé
Ces petites fermes, concentrées dans le delta du Nil dans le nord, sont même les "principaux producteurs" de la consommation domestique car les grandes exploitations se concentrent sur l'exportation. Selon le sociologue spécialiste de la ruralité Saker al-Nour, ils assurent quasiment à eux seuls la production alimentaire en Égypte.
Pour le pain par exemple, 60% du blé consommé en Egypte est importé, quasiment intégralement de Russie et d'Ukraine, deux marchés sévèrement affectés par la guerre. Mais pour le reste, il y a les petits producteurs locaux. "Sans les 40% de blé produits localement", les conséquence de l'invasion russe de l'Ukraine "auraient été bien pires", affirme à l'AFP M. Nour.
"Devoir national"
En mars, l'Égypte a décrété la livraison des récoltes locales "devoir national". En juin, elles dépassaient 3,5 millions de tonnes, selon le ministère de l'Approvisionnement, soit plus de la moitié des objectifs de la saison - qui se finit en août - et l'équivalent de l'ensemble de la saison 2021.
Longtemps, sous le régime socialiste de Gamal Abdel Nasser, les livraisons obligatoires à l'Etat ont été un pilier de l'économie nationale. Dans les années 1990, les réformes d'ajustement structurel de l'ouverture capitaliste les ont balayées. A chaque crise toutefois, l'Etat y revient. "Mais sans les coups de pouce qui allaient avec", note M. Nour: finis les semis subventionnés, pesticides et autres engrais à prix cassés.
En plus, avec la flambée mondiale des cours des céréales après l'offensive russe en Ukraine, l'un des derniers cadeaux de l'État s'est envolé. Avant, ce dernier achetait au-dessus du marché pour inciter les exploitants à le préférer aux acheteurs privés mais, aujourd'hui, ces prix gonflés sont encore en-dessous des records historiques actuels.
Besoin de protection
"Je dois rembourser les vendeurs de pesticides, d'engrais et payer mes dettes, donc si un acheteur propose un prix bas, qu'est-ce que je peux faire?", se lamente M. Aboueldahab. Certains tentent de tirer leur épingle du jeu. À force de voir se multiplier les plans de poivrons chez ses voisins et les prix chuter, Mohamed Abdelmoez a ainsi décidé de passer à la culture du piment doux dans sa ferme d'al-Fachen, à 150 km au sud du Caire.
Si beaucoup aux alentours ont jeté l'éponge, lui a trouvé un partenaire inattendu: une startup qui propose une application pour "connecter les petits exploitants à l'écosystème", explique à l'AFP son patron Hussein Aboubakr. Mozare3, le fermier en arabe, propose aux exploitants de connaître leur acheteur "avant même de commencer à labourer" et les prix de vente "pour les protéger", détaille M. Aboubakr.
"Les petits exploitants n'ont qu'un pouvoir de négociation très limité" et ont besoin d'être "protégés" car "ils n'ont pas de capacité de stockage", explique M. Nour. Si avant les coopératives étaient fonctionnelles, aujourd'hui Mozare3 est une alternative qui permet aux "petits exploitants de s'organiser et de former un bloc", renchérit M. Aboubakr.
Mais avec 32% des exploitants agricoles analphabètes selon la FAO, des associations villageoises non virtuelles seraient encore plus efficaces, prévient M. Nour. Et avec le changement climatique dont l'effet se fait sentir chaque saison un peu plus, ces relais seront primordiaux. Par exemple, assure l'expert, il faudrait un système capable d'informer en avance les fermiers dont les plants dépendent d'événements météorologiques majeurs. Ces outils existent, dit-il. "Il faut maintenant qu'ils parviennent jusqu'aux petits exploitants".
Avec AFP
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