Le soleil se couche tard à Lisbonne
Carnet de voyage

Le soleil se couche tard à Lisbonne. Tant mieux, car je n’aime pas l’obscurité de la nuit. Il est chaud, ce soleil de juillet et ses rayons réchauffent ma peau. Ils s’infiltrent en moi. Je ferme les yeux pour ressentir pleinement la chaleur m’envelopper et parcourir la totalité de mon corps. J’erre dans les ruelles pavées, en suivant du regard les tramways jaunes à destination des sept collines. Je me concentre sur le rythme de mes pas qui montent vers les hauteurs de la ville. Je m’exerce à faire le vide dans ma tête, à avancer tout droit en annihilant toute pensée. Être présente… Ce n’est pas si facile. Le cerveau lutte contre cette tentative de neutralisation. Je me répète ces questions comme exercice mental: es-tu présente? Quelle serait ta prochaine pensée?

Les couleurs pastel des bâtiments semblent plus vives. Elles rivalisent avec celles des toiles impressionnistes. Dans les cafés, les touristes écoutent le fado mélancolique en dégustant des «pastéis de nata», ces petits flans portugais typiques. Arrivée au sommet, je contemple l’immensité bleue de la mer et les mouettes qui voltigent au-dessus des vagues. Je me sens tellement légère que j’éclate de rire. Je me sens libre. Détachée. Ancrée dans l’instant même. Je défais les cordes du passé. Je mets en sourdine les rêvasseries de l’avenir. Chaque cellule dans mon corps est en alerte. Je suis en vie, pleine de cette vie qui coule dans mes veines comme du sang chaud, rouge vif. Les aléas des circonstances extérieures n’arrivent pas à transpercer ma paix, du moins durant ces quelques moments de présence. Je descends les marches des escaliers étroits en sautillant et je glisse sur les rampes telle une enfant. Mon grand chapeau de paille échoue sur le sol. Un touriste le ramasse gracieusement et me le remet avec un large sourire. J’avais oublié cette sensation de douceur de vivre. Je vis dans un pays où la difficulté quotidienne me culpabilise si je me laisse aller, si j’éteins le mode alerte, si je permets à l’enfant en moi de rayonner, de s’amuser, de vivre à fond les moments les plus simples. «La lumière est trop douloureuse pour quiconque veut rester dans l’obscurité.» Mais moi j’aime le soleil.




Sur les dunes de sable blanc de la plage de Guincho, les vents du nord emportent les adeptes du surf sur les vagues violentes de l’Atlantique. Je me réveille dès l’aube pour courir en direction de la plage surmontée par les montagnes de Sintra qui se profilent au loin. L’aspect sauvage de la nature m’attire. C’est un endroit isolé et quasi désert à cette heure matinale. Je dépasse le port de Cascais et Boca do Inferno, la Bouche de l’Enfer, les yeux rivés vers la destination ultime. La fatigue commence à alourdir ma cadence, mais je continue de courir quand même. Une force, une attraction, un champ magnétique invisible me poussent vers la plage de sable fin. Les petites dunes dorées luisent au soleil. De rares surfeurs se dirigent vers le grand bleu, leur planches sous le bras. Il fait chaud. Il fait beau. Les boucles de mes cheveux dansent follement dans les rafales de vent qui charrient l’odeur salée de la mer. Tout autour de moi est primitif, sauvage, authentique. Des gouttes de sueur perlent sur mon front. Elles se mêlent aussitôt à l’écume des immenses vagues quand je plonge dans l’océan. Tout mon corps est électrisé au contact de l’eau glacée. Je me laisse emporter par le courant fort. Je me sens unie au pouvoir de la nature, de l’eau, du ciel bleu. On est tous faits de la même énergie. Je la sens jusqu’au tréfonds de mon être, dans chaque particule, dans chaque pore, sur ma peau, sous ma peau.  Je ne peux arrêter de sourire. Je bois le bonheur du moment jusqu’à la dernière goutte. Le bonheur se cache parfois, voire souvent, dans la simplicité de l’instant. Je voudrais l’enfermer en moi et l’empêcher de s’enfuir. «Ce qu’il y a de mieux dans ce monde, de plus beau, de plus excitant, ce sont les commencements. L’enfance et les matins ont la splendeur des choses neuves.» Il avait tellement raison Jean d’Ormesson. Le vent et le soleil me murmurent la promesse du renouveau. Je voudrais y croire, comme un enfant excité devant un nouveau cadeau. Le présent de l’existence, de la vie, de la légèreté, de l’aventure. Le matin des commencements.
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