«Le pays aux longs nuages» de Christine Féret-Fleury
Éditrice et écrivaine française, Christine Féret-Fleury a abordé sa carrière littéraire en tant qu’éditrice chez Gallimard jeunesse. Un premier roman pour enfant paraît en 1996, elle enchaîne très vite avec un roman pour adultes. Dans son importante bibliographie, on remarque de forts jolis livres pour la petite enfance, parus dans la mythique collection Père Castor / Flammarion, mais aussi des fictions écrites en collaboration avec sa fille, Madeleine Féret-Fleury, elle-même scénariste et auteure.
Depuis le début du XXIe siècle, elle se consacre à l’écriture à plein temps

Avec Le pays aux longs nuages, elle nous offre un roman à la première personne dans lequel se font entendre, en trente chapitres, les voix de deux jeunes femmes: Kamar et Acia. Elles sont jeunes, meurtries par la vie, et leurs itinéraires, imposés par le hasard, convergent vers un lieu de rencontre qui sera leur lieu de résilience et le point de départ d’une nouvelle existence. Kamar et sa petite fille Hana ont fui la guerre qui ravage la Syrie et a pris la vie d’Assaad, leur mari et père. Elles ont connu le déchirement du départ de Turquie, les angoisses du trajet en mer, les passeurs sans scrupule, un camp d’hébergement à Malte, une fuite vers l’inconnu… Et les peurs ont rendu Hana mutique.

Acia, elle, vient de perdre un hébergement précaire avec son job de cuisinière. Son avenir lui paraîtrait bien sombre, entre son passé chaotique marqué par l’abandon maternel et un présent sans perspectives. Mais voilà que la découverte d’un vieux recueil de recettes culinaires donne un but à son errance en l’envoyant à Palazzo, lieu d’origine de sa génitrice. Et un chat de gouttière roux s’impose aussitôt en insistant compagnon de voyage!

Dans Palazzo, tout petit coin d’Ombrie, dans les environs de la ville d’Assise, se trouve l’osteria de la vieille Nebbe, trop fatiguée pour maintenir ouvert ce modeste restaurant. C’est un étonnant personnage, cette Nebbe, solitaire et bougonne. Elle a assez souffert pour laisser s’imposer une Acia qui retrouve tout à coup dans l’action une raison d’exister, et deux éprouvées à qui il faut laisser du temps pour se reconstruire.

Et c’est autour de la cuisine que leurs solitudes se retrouvent et que s’apaisent les blessures.

Comme l’auteure restitue bien l’atmosphère de la réserve de Nebbe: «Une caverne d’Ali Baba qui recèle les richesses des conserves maison et des jambons du pays dans l’odeur de la saumure qui se mêle aux parfums de la sauge, du serpolet, de l’origan et de la menthe.»

Certes, Le pays aux longs nuages n’est pas un livre de recettes. Et pourtant, il est délicieusement gourmand! Quatre plantes sauvages transforment un banal risotto, un simple pan pepato, à la fois sucré et poivré, devient source d’inspiration pour un savoureux sandwich, et nous découvrons le secret du houmous de betteraves.


Si Acia, dans son voyage, a trimballé la vieille cocotte en fonte de sa grand-mère, Kamar, elle, apporte une cuiller de bois sculpté et l’utilisation des épices orientales: cannelle, piment, muscade, si intimement liés à la maison familiale…

L’osteria de Nebbe se prépare à recevoir à nouveau des clients. Et pour faire revenir les vieux clients, et s’assurer une publicité efficace, quoi de mieux qu’un repas offert! Voilà nos trois femmes lancées dans la préparation d’un festin, bien différent du célèbre Festin de Babette tel que le décrit la nouvelle de Karen Blixen. Ici, les plats ont la  simplicité élégante des saveurs du terroir. Et en fin de soirée tous les vieux convives arborent le sourire des gens heureux.

Car la cuisine vue par Christine Féret-Fleury est avant tout synonyme de générosité et de bienveillance. Elle est propice aux échanges. On accueille, on nourrit, on transmet les secrets de ses expériences.

Puis, sous le regard énigmatique d’un chat, les langues se délient, les histoires personnelles se racontent et se croisent. On en finirait presque par croire aux miracles tant les dernières pages recèlent de surprises! Et le seul chapitre où Nebbe prend la parole a des accents prophétiques qui nous permettent bien des hypothèses de lecture.

Merci à l’auteure et aux Éditions La Belle étoile pour ce beau roman chaleureux. Il nous convie à croire que, même si on n’oublie rien des épreuves du passé, une main tendue, le partage d’un projet, l’amour porté à un enfant, la résurgence d’une passion sont autant d’ancrages pour se regénérer et retrouver le cap de sa vie.

Féret-Fleury, Christine, Le pays aux longs nuages, Éditions La Belle étoile – Marabout, 30/03/2022, 1 vol. (384 p.), 19,90€.

Chronique rédigée par Christiane Sistac.

https://marenostrum.pm/le-pays-aux-longs-nuages-christine-feret-fleury/
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