Les hôpitaux reconstruits, rattrapés par la crise économique
Les donations recueillies par les hôpitaux de Beyrouth après l’explosion étaient pour eux une opportunité de développement, bien que celui-ci ait été amorti par le poids de la crise économique qui se fait ressentir encore plus deux ans après la tragédie.



«Reconstruire l’œuvre d’une vie.» C’est ce que les hôpitaux de Beyrouth, détruits par la double explosion au port le 4 août 2020, ont eu à faire. Celle-ci a en effet ravagé des établissements hospitaliers pour la plupart récemment rénovés. Bénéficiant de donations «inespérées», du témoignage de médecins, les hôpitaux se sont généralement encore développés après le drame. Mais, à peine relancé, leur travail a vite été rattrapé par une crise économique sans précédent.

L’hôpital de La Quarantaine, hôpital gouvernemental, a pu recueillir de nombreuses donations, en partie grâce à la confiance qu’inspire l’ONG fondée par Robert Sacy, pédiatre, qui a démarré, en 2016, l’aile pédiatrique de l’établissement pour accueillir les plus démunis. «On recevait 500 à 600 malades en 2016, confie le Dr Sacy. Ce chiffre est passé à 1.000 voire 1.200 malades par an en août 2020, après que l’explosion eut tout détruit.»

Deux chantiers parallèles

La détresse subie par cet établissement limitrophe du port et la tendance du ministère de la Santé, autorité de tutelle, à orienter les donateurs potentiels vers cet hôpital lui a permis de profiter de nombreuses aides, notamment étrangères, comme l’Aide humanitaire suisse. Grâce à ces donations, une partie de l’ancien hôpital, moins détruit que les autres, a commencé à recevoir les malades un mois plus tard dans un service provisoire.

«Entretemps, l’hôpital a lui-même réparé le service adultes qu’on a transformé en service de pédiatrie, et, près d’un mois plus tard, on était presque fonctionnels de la même façon», poursuit le Dr Sacy.

En parallèle, deux chantiers ont pris forme: la réhabilitation et la modernisation du service pédiatrique, y compris les services techniques et l’administration, et la réhabilitation d’un hôpital pour adultes, objet d’une ancienne aide du Koweït, en construction et inachevé depuis 2017.

Un nouvel hôpital, mais…

À quelques jours de la deuxième commémoration du 4 août, l’hôpital est prêt à recevoir le service «mère et enfant» avec une capacité nettement plus grande que l’ancienne aile.

Mais sa mise en service se heurte au problème du fioul. L’hôpital n’est pas sûr de pouvoir payer une facture de mazout estimée à au moins 1.500 dollars par jour pour alimenter deux générateurs de 800 kw chacun, comme l’explique la directrice Carine Sakr.

«L’hôpital est achevé, mais nous n’avons pas les moyens de déménager», dit-elle. Le déménagement deviendra impératif dès janvier 2023 pour cause du lancement du chantier de construction d’un nouvel hôpital pour adultes, à la place de l'hôpital actuel, mais aussi de l’aile pédiatrique qui venait d’être rénovée. Ce qui n’est pas sans laisser des sentiments mitigés chez le Dr Sacy, par ailleurs froissé par le détournement récent par des soldats, eux aussi atteints par la crise, de donations reçues de l’étranger pour son ONG, ce, qui risque de saper la confiance des donateurs.


Le nouvel hôpital d’une capacité de 100 lits (30 de plus que l’hôpital actuel pour adultes), fait l’objet d’une donation de 25 millions de dollars, offerts par le Qatar après l’explosion, et l’exécution des travaux devrait se faire directement par l’intermédiaire des contractants, sans passer par le Conseil du développement et de la reconstruction, d'ici à un an et demi. Entretemps, l’administration devra trouver le moyen d’assurer son déménagement dans le grand hôpital pédiatrique qui desservira aussi les adultes. Elle pourrait choisir de sacrifier, pour économiser le fuel, une demi-journée de son service d’urgences pour adultes et l’intégralité de ses services longs séjours pour adultes, à l’heure où l’afflux de patients incapables de payer une hospitalisation privée, est en nette augmentation.

«Fenêtre d’espoir» 

La crise économique est désormais perçue comme un plus grand défi que le 4 août. L’une de ses principales conséquences est l'hémorragie du personnel infirmier (bien que bénéficiant d’une majoration salariale dans les trois hôpitaux visités), le départ cyclique de seniors et les formations prenantes de nouvelles recrues. «Nous ne pouvons pas oublier le 4 août, mais ce qui aggrave la situation c’est la crise financière», confie Christelle Kachouh, infirmière à l’hôpital libanais - Geitaoui et responsable de la formation continue. Sa décision de rester au Liban est toutefois mue par une volonté de «laisser ouverte une fenêtre d’espoir dans ce pays», explique-t-elle dans le hall de l’hôpital.

Alors qu’il venait d’être réhabilité au terme de cinq ans de travaux, achevés seulement un mois avant l’explosion, l’hôpital libanais - Geitaoui a réussi à se relever. Il a surtout profité des donations pour moderniser ses services. Réhabilité huit mois après l'explosion grâce à «un travail acharné», il a inauguré en novembre 2021 son nouveau service des urgences, transféré au rez-de-chaussée des cliniques externes, sur une superficie de 1.250 mètres carrés, explique le professeur Pierre Yared, directeur de l’hôpital. Il doit également achever dans les prochains mois les travaux de modernisation «architecturale» de son laboratoire, ajoute-t-il. Malgré les défis économiques qui n’épargnent pas l’établissement, le corps médical a réussi à combler les vacances. De son côté, Naji Abi Rached, directeur médical de l’hôpital libanais - Geitaoui, évoque même «le choix de certains médecins de retourner au Liban».

Les stigmates du 4 août

À l’hôpital des sœurs du Rosaire, en revanche, le sentiment de survie prend le dessus sur le renouveau. Le bâtiment A, nouveau, de l’hôpital avait vu le jour en 2011. Ses services ont été inaugurés l’un après l’autre jusqu’à peu avant la double explosion au port. Le directeur médical de l’hôpital, Pierre Mourad, se désole que «ce bâtiment nouveau, moderne, à la pointe de la technologie» ait été détruit.

La destruction du bâtiment B, ancien, a conduit, en revanche à une rénovation structurelle, qui aurait été plus difficile avec la vieille infrastructure. Il doit accueillir les services isolés des maladies infectieuses et du Covid-19.

Dans l’un et l’autre de ces deux bâtiments, des étages attendent d’être réhabilités, deux ans après la tragédie. En cause, une réorientation des donateurs internationaux vers l’Ukraine et un changement des priorités à l’intérieur du Liban, certains donateurs préférant l’aide à l’éducation, crise économique oblige. Certaines aides s’accompagnent en outre de conditions parfois difficiles à satisfaire, et, certains travaux sont interrompus sans préavis par des donateurs. Il arrive aussi que l’équipe technique de l’hôpital corrige après coup le travail de contractants externes imposés, comme l’explique l’ingénieur consultant, Tony Toufic.

«Mes blessures me font mal tous les jours»

Mais l’hôpital, fonctionnel à presque 80 à 90%, a rouvert, il y a quelques mois, son unité de soins intensifs. Là encore, le principal défi est d’ordre économique, les cas d’hospitalisation d’une population appauvrie se faisant rares.

L’hôpital fonctionne avec 40 à 50 lits, alors que sa capacité totale peut atteindre 200 lits. La sécurité sociale ne couvre plus l’hospitalisation, le ministère de la Santé fait des versements symboliques, et seuls 10% des patients ont les moyens de se faire assurer en dollars frais, sans mentionner la pénurie de médicaments, explique le Dr Mourad.

Ce qui fait dire au final à Rania Abou Naccoul, secrétaire de direction, grièvement blessée sur son lieu de travail le 4 août 2020, et qui, deux ans plus tard, peine à contenir ses larmes: «Cet instant, je le revis tous les jours. J’ai été blessée, mais je ne suis toujours pas guérie. Mes blessures me font mal tous les jours. Depuis le 4 août, rien de bon ne s’est produit pour qu’on puisse l’oublier, ni sur le plan économique ni sur celui sécuritaire. Le 4 août 2022 est identique au 4 août 2020. Nous revivons cette date tous les jours.»
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