La journaliste anti-guerre Marina Ovsiannikova face à la répression
©Le 14 mars, Marina Ovsiannikova a interrompu en direct le journal de la première chaîne russe où elle travaillait, Pervy Kanal, avec une pancarte contre l'offensive lancée par Vladimir Poutine. (AFP)
Depuis son retour en Russie, la journaliste Marina Ovsiannikova, qui travaillait auparavant pour la télévision d'État russe, fait face à plusieurs tentatives d'intimidation et attaques, que ce soit de la part du Kremlin ou des milieux pro-Ukraine. Poursuivie en justice par son ex-mari, pour la priver de la garde de ses deux enfants et l'empêcher de les emmener à l'étranger, la journaliste a dû revenir en Russie malgré les menaces. Elle est notamment accusée d'avoir discrédité l'armée, et pourrait être poursuivie pénalement pour "diffusion de fausses informations" sur l'armée, un crime passible de 15 ans de prison. En outre, elle fait face à l'hostilité de l'opposition russe, qui la considère comme opportuniste et l'accuse d'avoir joué le jeu du Kremlin pendant des années. 

Marina Ovsiannikova est maintenant l'une des dernières voix en Russie à condamner bruyamment le conflit en Ukraine. Elle dit jouir d'un solide soutien à l'étranger, qui dissuade le Kremlin de l'attaquer frontalement. (AFP)

Quatre procès et une arrestation. Depuis son retour en Russie, la journaliste Marina Ovsiannikova subit les intimidations du pouvoir et redouble d'efforts, face aux critiques, pour prouver la sincérité de son opposition au conflit en Ukraine.


Le 14 mars, elle a interrompu en direct le journal de la première chaîne russe où elle travaillait, Pervy Kanal, avec une pancarte contre l'offensive lancée par Vladimir Poutine. Un geste qui a fait le tour du monde et changé sa vie.

Après ce coup d'éclat, elle avait annoncé qu'elle resterait en Russie, mais a finalement rejoint pour trois mois le média Die Welt en Allemagne.

Pendant son absence, son ex-mari, un employé de la chaîne pro-Kremlin RT, l'a poursuivie en justice pour la priver de la garde de ses deux enfants et l'empêcher de les emmener à l'étranger.

Par conséquent, Marina Ovsiannikova, 44 ans, affirme à l'AFP avoir pris "la difficile décision" de rentrer en Russie début juillet. "J'ai décidé de jouer à la roulette russe", dit-elle, vêtue d'une élégante robe noire, assise sur un banc dans le centre de Moscou, après avoir déposé sa fille dans une école privée pour suivre des cours estivaux.

Celle qui a vécu confortablement en travaillant 19 ans pour la télévision d'État est maintenant l'une des dernières voix en Russie à condamner bruyamment le conflit en Ukraine. Les autres détracteurs influents sont emprisonnés, font profil bas, ou sont en exil.

"Je suis une combattante, je continue de dénoncer activement la guerre, je ne prévois pas de m’arrêter, je n'ai pas peur malgré les intimidations", clame Marina Ovsiannikova, de sa voix aiguë et enjouée.

Depuis son retour d'exil, elle est venue soutenir au tribunal l'opposant emprisonné Ilia Iachine, a manifesté non loin du Kremlin avec une pancarte traitant Poutine de "tueur", et publie régulièrement en ligne des messages dénonçant le pouvoir.
Un climat de terreur et d'auto-censure

Marina Ovsiannikova subit l'hostilité d'une partie de l'opposition russe et d'Ukrainiens qui lui reprochent d'avoir été une "propagandiste", et celle des pro-Kremlin qui la considèrent comme une traîtresse. (AFP)

Malgré les risques, elle continue aussi de participer à des émissions d'actualité diffusées par des opposants russes sur les réseaux sociaux.

En raison de ses critiques, elle a été brièvement arrêtée mi-juillet par la police près de sa maison et condamnée à des amendes lors de deux procès pour des déclarations contre l'offensive en Ukraine.

Elle doit être jugée encore le 8 août pour avoir "discrédité" l'armée, sans compter le procès pour conserver la garde de ses enfants.


En outre, Marina Ovsiannikova subit toujours l'hostilité d'une partie de l'opposition russe et d'Ukrainiens qui lui reprochent d'avoir été une "propagandiste", et celle des pro-Kremlin qui la considèrent comme une traîtresse.

Certains l'accusent d'avoir retourné sa veste par opportunisme, pour sa carrière, car elle a obtenu une immense visibilité internationale. Marina Ovsiannikova réfute calmement.

"C'est utile au pouvoir de créer sans cesse des théories conspirationnistes contre moi, les gens ne savent plus qui croire", dit-elle, tout en appelant à "unir et soutenir" tous les opposants à l'offensive du Kremlin.



Elle admet des erreurs : être restée "trop longtemps" dans sa bulle, sans "trouver la force" de changer de travail. Pour elle, cette inaction et cette indifférence, adoptées par de nombreux Russes, sont une forme d'"auto-préservation" alimentée par la peur. "Notre peuple est vraiment très effrayé. Même ceux qui comprennent toute l'absurdité et l'horreur en cours préfèrent se taire", soutient-elle, estimant que les Russes critiquent le pouvoir "dans leur cuisine", à l'abri des oreilles indiscrètes, comme pendant l'URSS.
Une cabale judiciaire 

Elle explique aussi avoir une situation "peu enviable", menacée de toute part et confrontée à une "guerre familiale". Mais elle souligne que ses problèmes sont des "broutilles", comparés aux souffrances des Ukrainiens.

Reste à savoir si son militantisme lui vaudra d'être poursuivie pénalement pour "diffusion de fausses informations" sur l'armée, un crime passible de 15 ans de prison. Des dizaines de personnes sont déjà poursuivies en Russie pour ce motif.



Sur ce point, elle est partagée entre espoir et fatalisme. Selon elle, le pouvoir pourrait être réticent pour ne pas donner plus d'écho à sa célèbre protestation à la télévision, et car elle dit avoir "un soutien international solide".

Mais son visage se ferme quand on lui demande si elle quittera ou non la Russie en cas de poursuites pénales. "C'est difficile à dire, je vis au jour le jour", répond-elle après une franche hésitation.

"On peut trouver une loi pour punir chaque personne", ajoute Marina Ovsiannikova, reprenant un sinistre aphorisme datant de la terreur stalinienne. "S'ils prennent cette décision, ils m'arrêteront dans la journée, cela prendra quelques secondes."

Avec AFP
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