©Crédit photo: Joël Saget/AFP
Génie du dessin humoristique, le Français Sempé, décédé jeudi à 89 ans, a tracé pendant plus d’un demi-siècle une œuvre pleine de bonhommie, balançant, avec une apparente simplicité, entre le grave et le léger.
Depuis le Petit Nicolas qu’il crée en 1959 avec son copain René Goscinny (l’un des pères d’Astérix), Jean-Jacques Sempé a publié quasiment un album par an, signé une centaine de Unes du New-Yorker et publié des dizaines de planches dans l’Express et Paris Match, excellant dans l’art de la litote.
À la manière de Chaval, Bosc et Savignac -ses idoles- et des Anglos-Saxons qui inventèrent le dessin humoristique dans les années 30, il crée un monde où le dessin défie la pensée : Tout se complique (1963), Des hauts et des bas (1970), Un léger décalage (1977), Vaguement compétitif (1985), Garder le cap (2020).
Musiciens improbables, peintres du dimanche, écrivains mégalomanes, patrons mythomanes ou collectionneurs de papillons : le héros de Sempé est un petit bonhomme, à l’image de Marcellin Cailloux, le garçonnet qui rougit, ou de Monsieur Lambert, l’employé de bureau aux épaules étroites et au verbe haut. Leur candeur les sauve du ridicule.
« Je suis un humoriste, ainsi je ne m’exclus pas de l’humanité que je dessine », avouait le dessinateur à la parole soignée et rare. « Je suis proche de mes personnages, ils sont mes semblables. En me moquant d’eux, je me moque de moi-même ».
Muet sur son talent, l’homme aux grands yeux bleus sensibles ne parlait que de son « acharnement » au travail : capable de buter deux mois sur un seul dessin sans sortir, cet ancien sportif svelte au charme british se comparait à un « terrassier ». « Le dessin, je n’étais pas particulièrement doué. Je m’en suis sorti parce que j’ai beaucoup travaillé ».
Son premier album, Rien n’est simple (1961), donne le ton à toute sa carrière, qu’il traverse avec angoisse. Après des « débuts horribles », le calvaire, disait-il, dure plus de quinze ans jusqu’en 1978 où il est engagé au New Yorker. « J’avais presque 50 ans et pour la première fois de ma vie, j’existais ! J’avais enfin trouvé ma famille ! »
Avant cela, il avait pourtant publié une douzaine d’albums - Saint-Tropez, Tout se complique et surtout le Petit Nicolas, vendu aujourd’hui à quelque 15 millions d’exemplaires. Mais alors il vendait peu de livres, en vivait mal et avait constamment peur de la page blanche.
Enfant naturel, battu et bègue, « Jeannot » n’a pas vraiment eu l’enfance de son héros Nicolas qu’il fait grandir avec Goscinny dans une France idéalisée des années 50. « On ne se remet jamais de son enfance », confiait-il à Paris Match à 88 ans. Il naît le 17 août 1932 à Pessac, près de Bordeaux, d’une liaison entre un patron et sa secrétaire. Petit, sa mère l’arrache in extremis à une nourrice maltraitante. Puis arrive Monsieur Sempé, un vendeur de boîtes de conserve qui l’adopte, mais arrose un peu trop ses maigres ventes. « Viens plus près que je te donne une gifle que le mur t’en donnera une autre », lui lançait sa mère.
Affabulateur pour cacher la misère, il mène les chahuts à l’école tout en étant très timide. Grâce à la radio, il s’évade du foyer et découvre Ray Ventura et Duke Ellingon, ses maîtres pour la vie.
Déscolarisé pendant deux ans en raison de la guerre, il apprend l’orthographe dans les magazines féminins et y découvre le dessin d’humour. Son rêve est d’apprendre le piano, « mais c’était plus facile de trouver un crayon et du papier qu’un piano ».
Le mélomane contrarié se met à dessiner « comme un fou, tout le temps » avec l’espoir de rapporter de l’argent à la maison. « Je m’étais persuadé que j’en avais envie. En fait pas tellement, non. Même maintenant d’ailleurs », confiait-il au Monde.
Livreur de vin après avoir arrêté l’école à 14 ans, il vend ses premières planches en 1950 à Sud-Ouest qu’il signe « DRO » (de « to draw », dessiner en anglais). Puis, faute de moyen de subsistance, il monte à Paris et s’engage dans l’armée où il est souvent envoyé au trou pour indiscipline.
« J’ai trouvé les Parisiens très gais. J’ai tout de suite été enchanté par le métro, les autobus, la fièvre de la ville. Et surtout j’ai fait beaucoup de vélo », jusqu’à un AVC en 2007 qui le paralyse, excepté sa main droite. Après cela, « j’étais furieux, je me suis engueulé avec le Très-Haut. Auquel je ne crois pas, mais on ne sait jamais ! », plaisantait-il en 2020, toujours à sa table de travail à Montparnasse.
Marié trois fois et père de deux enfants - un fils décédé et une fille, designer, « très dure » avec lui- il confessait avoir trop travaillé et « ne pas avoir été à la hauteur ». L’ironie du sort pour ce maître de la légèreté.
AFP
Depuis le Petit Nicolas qu’il crée en 1959 avec son copain René Goscinny (l’un des pères d’Astérix), Jean-Jacques Sempé a publié quasiment un album par an, signé une centaine de Unes du New-Yorker et publié des dizaines de planches dans l’Express et Paris Match, excellant dans l’art de la litote.
À la manière de Chaval, Bosc et Savignac -ses idoles- et des Anglos-Saxons qui inventèrent le dessin humoristique dans les années 30, il crée un monde où le dessin défie la pensée : Tout se complique (1963), Des hauts et des bas (1970), Un léger décalage (1977), Vaguement compétitif (1985), Garder le cap (2020).
Musiciens improbables, peintres du dimanche, écrivains mégalomanes, patrons mythomanes ou collectionneurs de papillons : le héros de Sempé est un petit bonhomme, à l’image de Marcellin Cailloux, le garçonnet qui rougit, ou de Monsieur Lambert, l’employé de bureau aux épaules étroites et au verbe haut. Leur candeur les sauve du ridicule.
« Je suis un humoriste, ainsi je ne m’exclus pas de l’humanité que je dessine », avouait le dessinateur à la parole soignée et rare. « Je suis proche de mes personnages, ils sont mes semblables. En me moquant d’eux, je me moque de moi-même ».
Muet sur son talent, l’homme aux grands yeux bleus sensibles ne parlait que de son « acharnement » au travail : capable de buter deux mois sur un seul dessin sans sortir, cet ancien sportif svelte au charme british se comparait à un « terrassier ». « Le dessin, je n’étais pas particulièrement doué. Je m’en suis sorti parce que j’ai beaucoup travaillé ».
Son premier album, Rien n’est simple (1961), donne le ton à toute sa carrière, qu’il traverse avec angoisse. Après des « débuts horribles », le calvaire, disait-il, dure plus de quinze ans jusqu’en 1978 où il est engagé au New Yorker. « J’avais presque 50 ans et pour la première fois de ma vie, j’existais ! J’avais enfin trouvé ma famille ! »
Avant cela, il avait pourtant publié une douzaine d’albums - Saint-Tropez, Tout se complique et surtout le Petit Nicolas, vendu aujourd’hui à quelque 15 millions d’exemplaires. Mais alors il vendait peu de livres, en vivait mal et avait constamment peur de la page blanche.
Enfant naturel, battu et bègue, « Jeannot » n’a pas vraiment eu l’enfance de son héros Nicolas qu’il fait grandir avec Goscinny dans une France idéalisée des années 50. « On ne se remet jamais de son enfance », confiait-il à Paris Match à 88 ans. Il naît le 17 août 1932 à Pessac, près de Bordeaux, d’une liaison entre un patron et sa secrétaire. Petit, sa mère l’arrache in extremis à une nourrice maltraitante. Puis arrive Monsieur Sempé, un vendeur de boîtes de conserve qui l’adopte, mais arrose un peu trop ses maigres ventes. « Viens plus près que je te donne une gifle que le mur t’en donnera une autre », lui lançait sa mère.
Affabulateur pour cacher la misère, il mène les chahuts à l’école tout en étant très timide. Grâce à la radio, il s’évade du foyer et découvre Ray Ventura et Duke Ellingon, ses maîtres pour la vie.
Déscolarisé pendant deux ans en raison de la guerre, il apprend l’orthographe dans les magazines féminins et y découvre le dessin d’humour. Son rêve est d’apprendre le piano, « mais c’était plus facile de trouver un crayon et du papier qu’un piano ».
Le mélomane contrarié se met à dessiner « comme un fou, tout le temps » avec l’espoir de rapporter de l’argent à la maison. « Je m’étais persuadé que j’en avais envie. En fait pas tellement, non. Même maintenant d’ailleurs », confiait-il au Monde.
Livreur de vin après avoir arrêté l’école à 14 ans, il vend ses premières planches en 1950 à Sud-Ouest qu’il signe « DRO » (de « to draw », dessiner en anglais). Puis, faute de moyen de subsistance, il monte à Paris et s’engage dans l’armée où il est souvent envoyé au trou pour indiscipline.
« J’ai trouvé les Parisiens très gais. J’ai tout de suite été enchanté par le métro, les autobus, la fièvre de la ville. Et surtout j’ai fait beaucoup de vélo », jusqu’à un AVC en 2007 qui le paralyse, excepté sa main droite. Après cela, « j’étais furieux, je me suis engueulé avec le Très-Haut. Auquel je ne crois pas, mais on ne sait jamais ! », plaisantait-il en 2020, toujours à sa table de travail à Montparnasse.
Marié trois fois et père de deux enfants - un fils décédé et une fille, designer, « très dure » avec lui- il confessait avoir trop travaillé et « ne pas avoir été à la hauteur ». L’ironie du sort pour ce maître de la légèreté.
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