Nicaragua: le couple Ortega instaure son autoritarisme
©Un partisan sandiniste arbore une croix et un tee-shirt à l'effigie du couple présidentiel Ortega. (AFP)

Au Nicaragua, pays centraméricain plongé dans une crise latente depuis les émeutes de 2018, le président Daniel Ortega et son épouse-vice-présidente Rosario Murillo instaurent lentement un pouvoir absolu à l'instar des Ceauşescu ou autres Ben Ali. Après les étudiants, les ONG et les médias, le pouvoir sandiniste s'attaque désormais à l'Église catholique, après avoir emprisonné ou contraint à l'exil les autres opposants.





Le président Daniel Ortega et son épouse, la vice-présidente Rosario Murillo.

L'ancien guérillero sandiniste, avec le soutien indéfectible de sa femme, a patiemment tissé sa toile depuis son retour au pouvoir en 2007. Des révisions constitutionnelles en 2011 et 2014 ont permis notamment de lever l'interdiction de la réélection à la présidence, auparavant inscrite dans la loi fondamentale, explique à l'AFP la sociologue Elvira Cuadra, qui vit en exil au Costa Rica. Daniel Ortega, 76 ans, a ainsi "modifié le modèle de gouvernement prévu par la Constitution" pour passer à un régime "autoritaire" qui "concentre la prise de décision de manière discrétionnaire entre les mains du couple présidentiel", insiste Mme Cuadra.Depuis la répression sanglante des manifestations de 2018 qui réclamaient la démission du couple présidentiel, le Nicaragua traverse "une crise prolongée qui n'a pas pu être surmontée" car M. Ortega et son épouse ont "assuré leur continuité au pouvoir aux élections de novembre (2021) et en institutionnalisant l'État policier", constate la sociologue. Daniel Ortega a été réélu pour un quatrième mandat consécutif lors d'un scrutin d'où étaient absents tous ses adversaires potentiels de poids, arrêtés ou contraints à l'exil.
 

Lors des manifestations de 2018, les habitants de Masaya célèbrent derrière une barricade l'arrivée des évêques de la Conférence épiscopale et des membres de l'Alliance civique.

 
"Agents étrangers"

La communauté internationale n'a cessé de condamner la dérive du régime. Vendredi encore, l'Organisation des États Américains (OEA) a exigé du gouvernement nicaraguayen qu'il arrête le "harcèlement et les restrictions arbitraires" contre les ONG, les médias, les organisations religieuses et les opposants. Elle a aussi demandé "la libération immédiate" des prisonniers politiques, dont le nombre est évalué à environ 190.



 


Le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) de Daniel Ortega "est en train de passer de la position de parti hégémonique à parti unique (...) avec la fabrication d'un culte de la personnalité sans équivalent actuellement en Amérique latine", renchérit l'analyste et ancien député nicaraguayen Eliseo Nunez, également en exil. Depuis un an, 46 opposants ou simplement critiques du gouvernement ont été arrêtés et condamnés à des peines pouvant aller jusqu'à 13 ans de prison. Sept d'entre eux voulaient être candidats à la présidentielle.

La presse a été aussi parmi les premières cibles du pouvoir: en près d'un siècle d'existence, pourtant marqué par la dictature des Somoza et une sanglante guerre civile, jamais le quotidien La Prensa n'avait été fermé par les autorités. Ses locaux ont été mis sous séquestre tandis que son gérant, Lorenzo Holmann, était jeté en prison. Le journal n'est désormais présent que sur internet et ses journalistes ont pris en juillet le chemin de l'exil, de peur d'être arrêtés. Au nom de la loi sur les "agents étrangers" de 2020, plus de mille fondations et ONG, qui se dédiaient notamment à la défense de droits humains, ont été déclarées illégales. Des universités privées et des organisations culturelles ont été fermées du jour au lendemain.

Une nicaraguayenne exilée au Costa-Rica proteste contre le président Daniel Ortega.

 
"Péchés de lèse-spiritualité"

La chaîne de télévision de l'Église catholique a elle aussi été fermée par les autorités, de même que des radios dans les différents diocèses, à l'instar de dizaines de médias indépendants. En juillet, les religieuses de la congrégation des Missionnaires de la Charité, fondée par Mère Teresa, ont même dû quitter le Nicaragua, expulsées comme des "délinquantes", a dénoncé le Centre nicaraguayen de défense des droits de l'homme (Cenidh).

Depuis le 4 août, l'évêque de Matagalpa (nord-est) Rolando Alvarez est empêché de circuler par la police, symbole d'une crise à son paroxysme avec le pouvoir qui souhaite bâillonner le clergé catholique après avoir réduit l'opposition pratiquement au silence. "Le gouvernement a toujours souhaité une Église muette, elle ne veut pas que nous parlions, que nous dénoncions l'injustice", a déploré Mgr Alvarez dans l'une de ses homélies.

Dans ses discours empreints de mysticisme New-Age, Rosario Murillo vilipende ainsi les "péchés de lèse-spiritualité" du clergé nicaraguayen. "Une chose c'est l'Évangile de Dieu, une autre sont les agissements d'hommes qui revêtent la soutane pour faire de la politique", critique le député sandiniste Wilfredo Navarro. Signe de la nervosité du pouvoir, la police a interdit une procession prévue pour samedi autour de la cathédrale de Managua en l'honneur de la Vierge de Fatima, le quartier était bouclé dès vendredi par la police. En réalité le pouvoir de Daniel Ortega et Rosario Murillo "est faible. Il ne tient qu'à la force de la police", juge la sociologue Elvira Cuadra.

Avec AFP

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