Starmania
«Zéro Janvier, président de l’Occident»

Qui se souvient du sinistre personnage créé par Michel Berger et Luc Plamondon en 1976 pour Starmania, opéra-rock underground, cynique et quasi-prophétique?

Dans le décor pervers et futuriste d’une mégalopole monochrome, monopoliste et postmondialisée gouvernée par l’obsession des médias, Berger et Plamondon avaient imaginé tout une faune de caractères paumés, les descendants postmodernisés de ceux que Brassens appelait naguère «la fine fleur, l'élite du pavé»: zonards animés d’une haine irréductible contre le système, stars déchues du grand écran, objectivées et hyper-sexualisées au point de ne plus exister qu’à travers les fantasmes de leurs fans, citadins panurgisés, robotisés et tristes, arnaqueurs arrivistes déguisés en prophètes et autres bourgeois frustrés reconvertis en faux-révolutionnaires.

Dans l’oeuvre du duo Berger-Plamondon, un monstre perfide émerge au-dessus de ce marais urbain et parvient, dans une ascension fulgurante, à s’ériger en tyran absolu sur la «mégalo-pole», à travers l’usage de formules standards et simples, faites pour endormir l’intellect et réveiller les instincts grégaires de la populace. Son secret: une aptitude hors du commun à conclure les bonnes alliances avec ses frères de sang pervers narcissiques, et un talent hors pair de manipulateur mégalomane, maître dans l’art ignoble d’exploiter les peurs et les besoins du grand public.

Son nom: Zéro Janvier. Son leitmotiv électoral pour hypnotiser les masses et devenir «président de l’Occident»? «Pour enrayer la nouvelle vague terroriste, nous prendrons des mesures extrémistes: nous imposerons le retour à l’ordre, si on ne peut pas vivre dans la concorde; nous mettrons la capitale sous la loi martiale. En ce qui concerne la pénurie d’énergie, vous connaissez déjà ma stratégie: quand nous aurons vidé le fond des mers, nous serons prêts à vivre ailleurs que sur la terre, et la prochaine capitale sera une station spatiale. Cessons de nous ruiner pour le tiers-monde, qui nous remerciera bientôt avec des bombes; assurons d'abord la survivance de la race blanche. Je suis pour l'Occident l'homme de la dernière chance! Nous bâtirons le nouveau monde atomique, où l'homme ne sera plus esclave de la nature; laissons le passé aux nostalgiques, vivons l'aventure du futur.»

Les deux auteurs compositeurs avaient-ils déjà à l’époque la certitude que Zéro Janvier, parfait résumé caricatural de tous les populistes, tyrans et autres parangons du discours de la haine à travers l’Histoire, deviendrait un véritable trend au début du XXIe siècle? Qu’un golden-boy porté par le petit écran et la rhétorique politique d’un loubard ayant mal vieilli deviendrait un jour de novembre 2016 «président de l’Occident»? Qu’il ferait des émules en version 2.0, notamment parmi les candidats à la présidentielle en France, véritable aubaine (?) électorale – comme, du reste, son double antithétique de l’extrême gauche – pour satisfaire les aspirations d’Emmanuel Macron à un second mandat?


Le populisme, la dérive autocratique pop sous le couvert de la démocratie, n’est pas un mal endémique propre au XXIe siècle, mais à toutes les époques. Il contamine tout simplement plus facilement au gré de l’évolution des modes de communication de Gutenberg à Zuckerberg, comme, du reste, les idéologies mortifères ou les new ésotérismes. Dans une certaine mesure, le monde est désormais un vaste marché où certaines mentalités et volontés consuméristes souhaiteraient sans doute que l’être humain soit réduit au rang de produit à remplir par d’autres produits, fussent-ils matériels ou intangibles…

Pris dans un temps médian entre tradition et modernité, le Liban postmondialisé, lui, devra pour l’instant principalement se contenter, en matière de stars cathodiques reconverties dans la politique, à une médiocratie plutôt qu’à une «médiacratie», la palme de la médiocrité revenant ces jours-ci à une ex-hégérie du petit écran venue jouer, non sans une insoutenable légèreté, aux bellâtres populaires dans les arcanes du pouvoir. En quelques déclarations, le ministre libanais de l’Information, finalement contraint par ses alliés à se démettre vendredi dans une piètre mise en scène digne d’un mauvais sitcom, a considérablement envenimé, en quelques phrases et en un temps record, les relations entre le Liban et les pays du Golfe, déjà sérieusement mises à mal par l’hégémonie du Hezbollah sur l’ensemble des secteurs vitaux. D’autant que ces déclarations s’inscrivent dans le cadre de ce qui devient une véritable manie de la part de ministres d’un certain bord politique à sortir de leur réserve et à se laisser aller à des déclarations intempestives et provocatrices, loin des usages en vigueur sur le plan diplomatique. L’homme qui faisait «gagner des millions» à la télévision aura lui-même coûté, in fine, des millions à un Liban déjà suffisamment paupérisé par les faits de gloire de la milice et le génie de ses dirigeants. Même si, loin d’être une star, il n'est en fait qu'un petit figurant dans l'initiative méphistophélique visant à couper le Liban de son être politique, culturel et stratégique.

L’initiative lancée samedi par Emmanuel Macron à Jeddah pour briser la glace entre le Golfe et Beyrouth et tenter de colmater les brèches d'une relation lézardée par une infinité de faux-calculs, faux-pas et fausses routes, est tout à fait la bienvenue dans ce contexte. D’autant que la déclaration commune entre Paris et Riyad, à l'issue du sommet du président Macron avec le prince héritier saoudien, mentionne expressément le rétablissement du monopole de la violence légitime et l'application des résolutions internationales.

Mais pour que cette initiative française ne finisse pas comme la précédente, initiée au lendemain du 4 août 2020 et aussitôt vidée de sa substance, pervertie, puis tournée en ridicule et enfin occultée par l’establishment politique libanais, il faudra qu’Emmanuel Macron, auquel d’aucuns reprochent trop de souplesse vis-à-vis de la politique expansionniste iranienne depuis le début de son quinquennat aux dépens du Liban, durcisse considérablement le ton avec Téhéran sur le Hezbollah et sorte aussi le bâton – non pas celui du pèlerin, mais celui du redresseur de torts, loin de tout esprit de stunt politique.

Profondément meurtri par les starmaniaques et autres mégalomanes de son cru jusqu’au point d’être déserté par ses filles et ses fils, le Liban n’en peut plus. Tout ce qu’il souhaite, c’est que sa soif de souveraineté, de neutralité et de réformes soit entendue et prise en considération par la communauté internationale, pour recouvrer sa vocation de pays de vivre-ensemble et de la culture du lien, ouvert sur son environnement arabe et sur le monde, loin de la culture de l’exclusion mortifère et sordide de la satrapie iranienne.
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