Au Liban, le vintage a le vent en poupe
Dans le contexte de crise économique aiguë au Liban, la fast fashion n’est plus tellement plébiscitée. Comment renouveler sa garde-robe sans se ruiner? La mode «seconde main» est une solution.

Alors que s’est-il passé au Liban ces dernières années? De nouveaux magasins de seconde main ouvrent un peu partout à Beyrouth mais aussi en dehors de la capitale proposant une panoplie de vêtements, allant de l'outlet de luxe à la pièce vintage unique. Il y a de tout pour plaire à tout un chacun. Avec le début de la crise et la baisse du pouvoir d’achat qui frappe de plein fouet la majeure partie des classes sociales libanaises, les Libanais se font plus discrets sur les réseaux sociaux, étalant de moins en moins les signes extérieurs de richesse, à savoir les menus des restaurants hors de prix, les photos de voyages effectués à l’autre bout du monde…

Certains, parmi les bien nantis, se montrent empathiques envers leurs concitoyens qui manquent de tout. Ils font profil bas et n’exhibent plus des photos de leurs voyages, de leurs soirées en boîte ou encore des achats vestimentaires effectués pour suivre les tendances de la mode. Dans les quartiers moins branchés et plus pauvres, là où les fripes étaient achetées à la pièce, elles le sont désormais au kilogramme.

Depuis quelques mois d’ailleurs, de nombreux Libanais ont revu à la baisse la fréquence de leurs achats de vêtements neufs, optant désormais pour des choix plus accessibles, en se tournant vers les vêtements de seconde main.

Par ailleurs, il est désormais de bon ton de s’habiller vintage. Ce phénomène est mondial. La tragédie de l’usine de Dacca qui s’est effondrée en 2013 sur les 1135 employés bangladais qui travaillaient à Rana Plaza est devenue le symbole des abus de la fast fashion et de la mondialisation. Rana Plaza abritait plusieurs ateliers de confection pour des marques internationales. Il y a eu une prise de conscience mondiale sur le devoir de vigilance à l’encontre de ce genre d’entreprises, mais aussi un intérêt pour l’environnement et la peur d’une catastrophe écologique qui pointe du nez. Cette tragédie a d’ailleurs poussé les consommateurs à se poser des questions sur les conditions de travail dans l’industrie vestimentaire.




Même l’industrie de la mode a changé. Les acheteurs sont de plus en plus plus conscientisés par l’impact environnemental découlant de leurs achats. La prise de conscience écologique a poussé les consommateurs à se tourner vers le recyclage des vêtements. L’industrie textile est l’industrie responsable de 10% des gaz à effet de serre et la troisième industrie la plus polluante au monde. Des initiatives voient le jour pour s’adapter aux nouveaux critères écoresponsables et de commerce équitable. H&M par exemple, teste maintenant la location des vêtements usagés dans sa succursale à Stockholm et récupère les vieux vêtements pour les revendre, réutiliser leurs fils ou les recycler. J.C. Penney et Macy’s, deux magasins de grande surface aux États-Unis, surfent sur la vague en vendant des vêtements et des chaussures de seconde main. Les enseignes qui affichent une politique en faveur de la sauvegarde de la planète sont de plus en plus populaires. Ten Tree en est un exemple. Cette marque propose de planter un arbre à chaque achat de vêtement, ou encore United by Blue qui retire un litre de déchets des océans par achat.

Le style vestimentaire étant un moyen d’expression et d’intégration, l’achat de vêtements et d’accessoires de mode est aussi important pour les ados que pour certains adultes: «Au Liban, l’urgence climatique n’est pas la préoccupation première du quotidien des ménages, mais le recyclage et la gestion des déchets est un problème auquel nous sommes obligés de faire face», explique Daniele Kiridjian dans sa boutique Marché aux puces de Gemmayzé. «La finalité sociale qui consiste à aider les plus démunis contribue au succès des vêtements de seconde main», dit Hala Eid, cofondatrice de Fashion for a cause, une initiative de vente annuelle d’articles recyclés qui existe depuis 2006 et dont les bénéfices sont reversés à des familles en difficulté. Ce sont d’ailleurs les jeunes qui se sont tournés les premiers vers la mode vintage. «Dis-moi comment tu t’habilles, je te dirai qui tu es.»

Les jeunes dépensent généralement en shopping plus que leur argent de poche ne le permet et utilisent tout genre de stratagèmes auprès de leurs parents pour arriver à leurs fins. Ceci est valable pour les deux sexes.
Des sommes exorbitantes sont dépensées pour se procurer des t-shirts et des tennis de marques. Parallèlement à cette tendance, apparaît lentement mais sûrement la tendance écolo du second hand. Les soirées à thème deviennent l’alibi pour faire le tour des dépôts-ventes de vêtements de seconde main à la recherche de la tenue introuvable ailleurs. D’ailleurs, il n’y a plus que les jeunes qui peuvent enfiler des pièces extra small des années 60/70, années où tout le monde était plus mince – puisqu’avant l’ère du fast food? «C’est le problème du vintage» explique une jeune vendeuse branchée à Gemmayzé: «Toutes les pièces sont uniques, nous n’avons pas plusieurs tailles de la même pièce, puisque ces pièces sortent des placards des maisons.» Il faut également avoir un goût sûr pour oser mélanger un t-shirt petit bateau avec un pantalon de costume homme, ou reprendre une chemise d’homme en lin pour la transformer en un basic de la garde-robe féminine. «Les jeunes femmes qui viennent chiner passent des heures à essayer des vestes d’hommes surdimensionnées qui sont très in cette saison», renchérit un autre jeune employé d’une boutique à Saifi.

Les habits récupérés ne dégagent plus une odeur de renfermé. Finis ces clichés des friperies poussiéreuses. Les nouvelles boutiques qui se développent ressemblent davantage à celles de créateurs avec une belle mise en valeur des articles. La décoration est soignée, l’ambiance hipster. C’est le reflet de décennies de transformations sociétales, culturelles et économiques. Il est vrai que même si l’économie s’effondre, la population libanaise refuse de renoncer à son goût du style. Les marques traditionnelles, avec le taux de change qui n’arrête pas d’augmenter, sont devenues inabordables. Les habits de seconde main ne sont plus seulement vendus aux garage sale, aux marchés saisonniers ou lors de kermesses, mais désormais en boutiques. Ils sont parfois transformés, upcyclés et revendus. Les prix à l’achat défient toute concurrence. Aussi, les acheteurs peuvent également revendre leurs propres vêtements et tout le monde finit par y trouver son compte. Le consommateur libanais a commencé par acheter du recyclé pour rester branché, cherchant la pièce unique, puis pour rendre service, puis avec le temps et l’habitude, il a trouvé que c’était plus économique et l’a alors adopté. La tendance «seconde main» fait du bien à la planète. C’est une solution éthique, écologique et économique en ces temps difficiles, offrant une belle alternative aux vêtements importés. Avec la nouvelle tarification du dollar douanier, les prix vont encore flamber et cette solution sera de plus en plus prisée.

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