Le refus de la diversité, perçu à tous les échelons des instances du Hezbollah, est une remise en cause de l’identité plurielle du Liban et une négation catégorique de l’altérité.
Le Liban traverse une étape charnière de son existence, où se pose la question de son identité. Et pourtant, dans le but de maintenir son unité et de fabriquer une cohésion nationale, ce pays avait opté depuis son indépendance pour l’absence d’identité. Ni Orient ni Occident... Des livres d’histoire qui ignorent toute la période s’étalant de l’empire romain à Fakhredin II engendraient mille ans de néant absolu. Les différents groupes culturels ne sont plus que des confessions que rien ne différencie à part un infime détail qu’est la foi.
La version du Grand Liban
Aussi réducteur que cela puisse paraître, il s’agissait pour le moins de l’idéologie adoptée afin d’ériger l’État du Grand Liban, surtout après 1943. Aucune composante n’a jamais osé remettre en question ce schéma sur lequel se sont formées la nature de la jeune République et ses structures étatiques. Les quinze années de guerre, entre 1975 et 1990, où deux visions du Liban s’étaient opposées, avec deux cultures, deux histoires et deux identités affirmées, ont été présentées comme une vulgaire guerre de religion. Le conflit s’était soldé par l’imposition d’une culture unique lors de la définition de l’identité libanaise par les accords de Taëf. Cette idéologie a ensuite été exacerbée avec la notion de fusion nationale qui a accompagné la révolution de 2005.
Si l’identité culturelle, historique et civilisationnelle du Liban a toujours été esquivée, le pays a eu droit toutefois à une identité politico-économique. Se voulant du monde libre, avec une économie de marché, pays des finances et du tourisme, mais aussi des hôpitaux et des universités, le Liban s’est construit une identité qui, même amputée de ses racines, lui permettait d’exister comme entité réelle et distincte. C’est cette construction qui est aujourd’hui remise en question pour la première fois, de manière radicale. C’est un rejet pur et simple de l’idée du Liban. L’idéologie du Hezbollah s’est positionnée à l’antipode de cette réalité et elle exprime hautement sa volonté d’en finir.
La version du Hezbollah
Par la voix de son député Mohammad Raad, le Hezbollah fait savoir aux Libanais que c’en est fini du Liban des banques, des casinos et du tourisme. Le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, avait également exprimé son irritation face à cette culture des «promenades du dimanche», de l’usage excessif de langues étrangères et de l’influence de l’Occident et de ses ambassades. Durant la guerre de 2006, des voix s’étaient élevées pour fustiger une société de chanteurs et de festivals en contradiction avec la position géopolitique du pays et avec sa vocation de résistance.
Quant au numéro deux du Hezbollah, le cheikh Naïm Kassem, il s’est félicité du progrès dont fait preuve la société et qui s'est clairement manifesté dans la multiplication du port du hidjab. Dans son sermon, il parle du haut modèle islamique mis en place par les efforts du Hezbollah durant quatre décennies. Ce nombre croissant de croyants est une bonne chose, a-t-il proclamé, car c’est là, la volonté de l’imam al-Mahdi. Le cheikh Kassem a salué la jeunesse qui, au lieu de s’adonner à l’alcool, va se battre sur le front. Celui qui se rend dans la banlieue sud de Beyrouth, s’est-il encore vanté, se croit dans le Najaf ou en Iran. Nous devons tenir trois clés, a-t-il enchaîné: l’éducation, l’école et les réseaux sociaux. Tout devra être reconsidéré, la mixité, les plages, les sorties scolaires et les fêtes telles que le jour de l’An, a-t-il précisé.
Pour cette société endoctrinée, la banlieue sud devra s’imposer comme l’exemple à suivre par les autres régions libanaises. Hassan Nasrallah l’avait bien annoncé dès les années 1980: le Kersouan ne pourra pas déroger à cette règle. Le Liban francophone, des casinos, des écoles libres, des banques, du tourisme et jusqu'aux fêtes chrétiennes, n’a plus lieu d’être. C’est un corps étranger dans cet Orient qui le rejette. Or c’est loin d’être un phénomène nouveau, puisque cette attitude de refus s'était déjà exprimée il y a un siècle.
Djemal Pacha.
La version des Ottomans
Ohannes Kouyoumdjian, le dernier gouverneur du Mont-Liban autonome entre 1912 et 1915, a longuement parlé, dans ses mémoires, de l’attitude des responsables ottomans vis-à-vis du gouvernorat de la Montagne. Mais ce qui est plus particulièrement frappant c'étaient leurs commentaires concernant la ville de Beyrouth qui, tout en étant sous leur juridiction directe, demeurait soumise aux influences du Liban et de ses rapports culturels avec l’Europe. Kouyoumdjian citait alors un voyageur jeune-turc qui s’exclamait dans le Tanin, l’organe du parti nationaliste Ittihad ve Terakki : «Quelle étrange ville ottomane! Les plus beaux édifices, les plus importantes institutions, les parcs les plus somptueux, les universités, les écoles, les hôpitaux, tout ce qui intéresse la vie sociale, tout ce qui attire le regard est étranger. L’esprit étranger s’est approprié ce pays qui paraît avoir oublié les liens qui le rattachent à nous.»
C’est paradoxalement le visiteur qui trouve étrangère la ville qui l’accueille. Elle n’est pas conforme à sa conception de l’Orient. C’est comme si ce Liban éternellement rebelle, devait être corrigé et rappelé à l’ordre. Et c’est probablement ce qui avait déclenché la mise en place de Kafno, la Grande Famine de 1914-1918.
Le jeune-turc citait également dans son journal, le wali du nouveau régime nationaliste ottoman qui était on ne peut plus expressif dans ses propos: «À Beyrouth, je ne me sens pas gouverneur; j’ai plutôt l’impression d’être un consul ottoman dans une cité occidentale.» L’identité de Beyrouth et du Liban, révélée par les Ottomans eux-mêmes, est une réalité qui ne pourra être assumée que dans le cadre de la diversité. Le problème consiste à savoir si les différentes composantes sont ouvertes à cette valeur. Les Ottomans, vers la fin de leur empire, ne l’étaient plus. Au concept de diversité, le nouveau régime avait préféré le nettoyage ethnique.
Le refus de la diversité
Pour comprendre l’impérialisme ottoman ou iranien, il suffit d’écouter les déclarations de leurs responsables. Mais il est aussi essentiel de sonder la psychologie de leur société. Dans une émission récente avec l’invité Jean Aziz, la journaliste du programme «al-Chahed» est revenue par deux fois à la charge en taxant la diversité culturelle de complexe de «supériorité», puis d’illusion de «prestige». Son interlocuteur a tenté en vain de nuancer en soulignant qu’il ne s’agissait pas d’une échelle de valeurs, mais d’une simple réalité anthropologique. Le lexique de la journaliste a trahi son jugement et son incapacité à assimiler la notion de diversité qu’elle a préféré substituer par des termes à connotations péjoratives.
Cette attitude, perçue à tous les échelons du milieu hezbollahi, est une remise en cause de l’identité plurielle du Liban et une négation catégorique de l’altérité. Elle représente pour le Liban, un danger existentiel auquel même un régime de type fédéral semble ne plus être en mesure d’y remédier. Si pour les autres composantes nationales, notamment les chrétiens, le vivre-ensemble est célébré en dogme, le totalitarisme idéologique du Hezbollah dépoussière la phrase prophétique du patriarche Sfeir: «Si nous sommes contraints de choisir entre la coexistence et la liberté, nous choisirons la liberté.»
Le Liban traverse une étape charnière de son existence, où se pose la question de son identité. Et pourtant, dans le but de maintenir son unité et de fabriquer une cohésion nationale, ce pays avait opté depuis son indépendance pour l’absence d’identité. Ni Orient ni Occident... Des livres d’histoire qui ignorent toute la période s’étalant de l’empire romain à Fakhredin II engendraient mille ans de néant absolu. Les différents groupes culturels ne sont plus que des confessions que rien ne différencie à part un infime détail qu’est la foi.
La version du Grand Liban
Aussi réducteur que cela puisse paraître, il s’agissait pour le moins de l’idéologie adoptée afin d’ériger l’État du Grand Liban, surtout après 1943. Aucune composante n’a jamais osé remettre en question ce schéma sur lequel se sont formées la nature de la jeune République et ses structures étatiques. Les quinze années de guerre, entre 1975 et 1990, où deux visions du Liban s’étaient opposées, avec deux cultures, deux histoires et deux identités affirmées, ont été présentées comme une vulgaire guerre de religion. Le conflit s’était soldé par l’imposition d’une culture unique lors de la définition de l’identité libanaise par les accords de Taëf. Cette idéologie a ensuite été exacerbée avec la notion de fusion nationale qui a accompagné la révolution de 2005.
Si l’identité culturelle, historique et civilisationnelle du Liban a toujours été esquivée, le pays a eu droit toutefois à une identité politico-économique. Se voulant du monde libre, avec une économie de marché, pays des finances et du tourisme, mais aussi des hôpitaux et des universités, le Liban s’est construit une identité qui, même amputée de ses racines, lui permettait d’exister comme entité réelle et distincte. C’est cette construction qui est aujourd’hui remise en question pour la première fois, de manière radicale. C’est un rejet pur et simple de l’idée du Liban. L’idéologie du Hezbollah s’est positionnée à l’antipode de cette réalité et elle exprime hautement sa volonté d’en finir.
La version du Hezbollah
Par la voix de son député Mohammad Raad, le Hezbollah fait savoir aux Libanais que c’en est fini du Liban des banques, des casinos et du tourisme. Le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, avait également exprimé son irritation face à cette culture des «promenades du dimanche», de l’usage excessif de langues étrangères et de l’influence de l’Occident et de ses ambassades. Durant la guerre de 2006, des voix s’étaient élevées pour fustiger une société de chanteurs et de festivals en contradiction avec la position géopolitique du pays et avec sa vocation de résistance.
Quant au numéro deux du Hezbollah, le cheikh Naïm Kassem, il s’est félicité du progrès dont fait preuve la société et qui s'est clairement manifesté dans la multiplication du port du hidjab. Dans son sermon, il parle du haut modèle islamique mis en place par les efforts du Hezbollah durant quatre décennies. Ce nombre croissant de croyants est une bonne chose, a-t-il proclamé, car c’est là, la volonté de l’imam al-Mahdi. Le cheikh Kassem a salué la jeunesse qui, au lieu de s’adonner à l’alcool, va se battre sur le front. Celui qui se rend dans la banlieue sud de Beyrouth, s’est-il encore vanté, se croit dans le Najaf ou en Iran. Nous devons tenir trois clés, a-t-il enchaîné: l’éducation, l’école et les réseaux sociaux. Tout devra être reconsidéré, la mixité, les plages, les sorties scolaires et les fêtes telles que le jour de l’An, a-t-il précisé.
Pour cette société endoctrinée, la banlieue sud devra s’imposer comme l’exemple à suivre par les autres régions libanaises. Hassan Nasrallah l’avait bien annoncé dès les années 1980: le Kersouan ne pourra pas déroger à cette règle. Le Liban francophone, des casinos, des écoles libres, des banques, du tourisme et jusqu'aux fêtes chrétiennes, n’a plus lieu d’être. C’est un corps étranger dans cet Orient qui le rejette. Or c’est loin d’être un phénomène nouveau, puisque cette attitude de refus s'était déjà exprimée il y a un siècle.
Djemal Pacha.
La version des Ottomans
Ohannes Kouyoumdjian, le dernier gouverneur du Mont-Liban autonome entre 1912 et 1915, a longuement parlé, dans ses mémoires, de l’attitude des responsables ottomans vis-à-vis du gouvernorat de la Montagne. Mais ce qui est plus particulièrement frappant c'étaient leurs commentaires concernant la ville de Beyrouth qui, tout en étant sous leur juridiction directe, demeurait soumise aux influences du Liban et de ses rapports culturels avec l’Europe. Kouyoumdjian citait alors un voyageur jeune-turc qui s’exclamait dans le Tanin, l’organe du parti nationaliste Ittihad ve Terakki : «Quelle étrange ville ottomane! Les plus beaux édifices, les plus importantes institutions, les parcs les plus somptueux, les universités, les écoles, les hôpitaux, tout ce qui intéresse la vie sociale, tout ce qui attire le regard est étranger. L’esprit étranger s’est approprié ce pays qui paraît avoir oublié les liens qui le rattachent à nous.»
C’est paradoxalement le visiteur qui trouve étrangère la ville qui l’accueille. Elle n’est pas conforme à sa conception de l’Orient. C’est comme si ce Liban éternellement rebelle, devait être corrigé et rappelé à l’ordre. Et c’est probablement ce qui avait déclenché la mise en place de Kafno, la Grande Famine de 1914-1918.
Le jeune-turc citait également dans son journal, le wali du nouveau régime nationaliste ottoman qui était on ne peut plus expressif dans ses propos: «À Beyrouth, je ne me sens pas gouverneur; j’ai plutôt l’impression d’être un consul ottoman dans une cité occidentale.» L’identité de Beyrouth et du Liban, révélée par les Ottomans eux-mêmes, est une réalité qui ne pourra être assumée que dans le cadre de la diversité. Le problème consiste à savoir si les différentes composantes sont ouvertes à cette valeur. Les Ottomans, vers la fin de leur empire, ne l’étaient plus. Au concept de diversité, le nouveau régime avait préféré le nettoyage ethnique.
Le refus de la diversité
Pour comprendre l’impérialisme ottoman ou iranien, il suffit d’écouter les déclarations de leurs responsables. Mais il est aussi essentiel de sonder la psychologie de leur société. Dans une émission récente avec l’invité Jean Aziz, la journaliste du programme «al-Chahed» est revenue par deux fois à la charge en taxant la diversité culturelle de complexe de «supériorité», puis d’illusion de «prestige». Son interlocuteur a tenté en vain de nuancer en soulignant qu’il ne s’agissait pas d’une échelle de valeurs, mais d’une simple réalité anthropologique. Le lexique de la journaliste a trahi son jugement et son incapacité à assimiler la notion de diversité qu’elle a préféré substituer par des termes à connotations péjoratives.
Cette attitude, perçue à tous les échelons du milieu hezbollahi, est une remise en cause de l’identité plurielle du Liban et une négation catégorique de l’altérité. Elle représente pour le Liban, un danger existentiel auquel même un régime de type fédéral semble ne plus être en mesure d’y remédier. Si pour les autres composantes nationales, notamment les chrétiens, le vivre-ensemble est célébré en dogme, le totalitarisme idéologique du Hezbollah dépoussière la phrase prophétique du patriarche Sfeir: «Si nous sommes contraints de choisir entre la coexistence et la liberté, nous choisirons la liberté.»
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