Un soldat russe déserte et demande l'asile en France
©Le soldat russe Pavel Filatiev, 34 ans, pose dans les locaux d'attente des demandeurs d'asile près de l'aéroport Paris Roissy-Charles de Gaulle le 29 août 2022. (Eléonore DERMY / AFP)

Un militaire russe a demandé l’asile politique en France après avoir ouvertement critiqué l’offensive en Ukraine.


Il a brisé la loi du silence et s'est enfui de Russie: le militaire Pavel Filatiev a combattu deux mois en Ukraine avant de dénoncer l'offensive du Kremlin dans un long récit publié sur internet. Il demande aujourd’hui l'asile politique en France.


Âgé de 34 ans, le soldat est arrivé dimanche à Paris via la Tunisie et a rencontré des agents de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) lundi.


«Pavel Filatiev a été libéré (mardi) en fin d’après-midi» et autorisé à entrer sur le territoire français, a indiqué à l'AFP son avocate, Kamalia Mehtiyeva, précisant qu'il avait huit jours pour déposer sa demande d'asile.


«Nous nous réjouissons de cette décision et allons déposer la demande d’asile politique dans les jours qui suivent», a-t-elle ajouté.


La raison ? Début août, le parachutiste, qui s'était réengagé l'an dernier dans le 56e régiment des troupes aéroportées basé en Crimée après avoir quitté quelque temps les rangs de l'armée, a publié sur le réseau social russe Vkontakte un récit de 141 pages dénonçant l'état des troupes russes et la guerre en Ukraine.


«Quand j'ai appris que le commandement demandait à ce que je sois condamné à 15 ans de prison pour informations mensongères (contre l'armée russe), j'ai compris que je n'arriverais à rien ici et que mes avocats ne pourraient rien pour moi en Russie», raconte Pavel Filatiev à l'AFP, qui l'a rencontré lundi dans la zone d'attente des demandeurs d'asile à l'aéroport parisien de Roissy-Charles de Gaulle.


Son texte intitulé «ZOV» - qui signifie «appel» en russe et rappelle dans le même temps les lettres peintes sur les blindés russes en Ukraine - critique l'offensive, lancée le 24 février.


«Nous n'avions pas le droit moral d'attaquer un autre pays, qui plus est le peuple qui nous est le plus proche», écrit dans ce récit le soldat, lui-même fils d'un militaire qui avait servi dans ce même 56e régiment.


 

Un soldat russe à l'intérieur des tunnels souterrains d'Azovstal de Marioupol, où la résistance ukrainienne a tenu plusieurs mois. (AFP)

 
«Bazar» et «corruption»

Dans ses écrits, il dépeint une armée russe en lambeaux, à peine équipée et manquant de formation, «dans le même état que ce qu'est devenue la Russie ces dernières années».


«D'année en année, le bazar et la corruption deviennent de plus en plus prégnants», explique Pavel Filatiev. «La corruption, le désordre, le je-m'en-foutisme ont dépassé les limites de l’acceptable», ajoute-t-il, racontant avoir très vite déchanté après avoir signé son contrat.


«Les premiers mois, j'étais sous le choc. Je me disais ce n'est pas possible et, à la fin de l'année, j'ai compris que je ne voulais pas servir dans une telle armée», confesse le soldat.


Pour autant, il ne démissionne pas et se retrouve sur le front une fois que ce que le Kremlin appelle «l'opération spéciale» est lancée. Avec son régiment, il va d'abord à Kherson, puis à Mykolaïv, deux villes ukrainiennes sur les bords de la mer Noire.


 

Un navire de guerre russe croisant dans la mer Noire tire des missiles de croisière "Kalibr" vers des cibles en Ukraine. (AFP)

 

«Si l'armée était en temps de paix déjà en bazar, corrompue et je-m'en-foutiste, il est évident qu'en temps de guerre, de combats, cela va apparaître encore plus et le manque de professionnalisme devenir encore plus visible», dit-il, estimant que le gouvernement russe a joué un rôle majeur «pour détruire l'armée héritée de l’URSS».



Craintes «de parler ouvertement»

Après deux mois de combats au cours desquels il assure que son régiment n'a pris part à aucune exaction contre des civils ou des prisonniers, Pavel Filatiev est évacué en raison d'une infection à l'œil droit et hospitalisé à Sébastopol, en Crimée.


Il tente de démissionner pour raisons de santé, mais sa hiérarchie lui demande de retourner au front, le menaçant d'ouvrir une enquête à son encontre s'il ne le faisait pas.


Début août, il quitte la Crimée et publie sur internet son journal. Après avoir erré de ville en ville en Russie pour éviter d'être repéré, il finit par quitter le pays.


«Pourquoi je raconte tout cela en détail ? Je veux que les gens en Russie et dans le monde comprennent comment cette guerre est arrivée, pourquoi des gens continuent de la faire», explique Pavel Filatiev. «Ce n'est pas parce qu'ils ont envie de combattre, c'est parce qu'ils se trouvent dans de telles conditions qu'il leur est très difficile de partir».


«L'armée, tout comme la société russe, est terrorisée», affirme-t-il, estimant à seulement 10% la proportion de militaires soutenant la guerre, la majorité des soldats craignant à l'inverse de parler ouvertement. «Ceux qui sont contre la guerre ont peur de le dire, de partir, ont peur des conséquences.»


S'il obtient le statut de réfugié, il dit vouloir agir «pour faire en sorte que cette guerre se termine». «Je veux que le moins possible de jeunes hommes russes y aillent et soient mêlés à cela, qu'ils sachent ce qui se passe là-bas.»

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