Indésirable en Occident, Poutine cherche une place en Asie
©Vladimir Poutine, accompagné du ministre de la Défense Sergueï Choïgou (à sa droite) et Valery Gerasimov, le chef de l'état-major russe, supervise les exercices militaires 'Vostok-2022' dans l’Extrême-Orient russe. (AFP)
Tel un fauve furieux qui s'agite dans sa cage lors de sa capture, Vladimir Poutine a lancé mercredi des diatribes à tout-va en direction des Occidentaux. En pleine guerre de l'énergie entre Moscou et l'Europe, le président russe a menacé de cesser les livraisons en cas de plafonnement des prix des hydrocarbures russes par l'UE. Vivant toujours dans sa bulle, il s'est enorgueilli du fait que la Russie ne sera jamais complètement isolée. En effet, le chef du Kremlin a organisé des exercices militaires en Extrême-Orient russe avec notamment la participation de la Chine et de... la Syrie. Par ailleurs, Poutine a participé à un "forum économique" à Vladivostok. Il a profité pour soigner ses contacts avec la fine fleur de la démocratie mondiale comme le chef de la junte birmane, le président mongol ainsi que le n°3 chinois Li Zhanshu. Poutine a même eu en renfort les déclarations d'un non moins démocratique chef d'Etat, Recep Tayyip Erdogan, qui a accusé les Occidentaux de "provocation" envers Moscou, en ajoutant que "l'Europe récolte ce qu'elle a semé"...



 

Isoler la Russie est "impossible" malgré la "fièvre de sanctions" des Occidentaux, a déclaré mercredi son président Vladimir Poutine, saluant le "rôle croissant" de l'Asie vers laquelle Moscou se tourne de plus en plus.

Désormais indésirable pour l'Occident depuis le lancement de son intervention en Ukraine le 24 février, Moscou a accéléré un virage vers l'Asie ces derniers mois dans l'espoir d'y trouver de nouveaux marchés et fournisseurs, pour remplacer ceux perdus du fait des sanctions américaines et européennes.

C'est dans ce contexte que M. Poutine a participé mercredi à un forum économique d'une importance stratégique pour la Russie à Vladivostok (Extrême-Orient), en présence de plusieurs hauts responsables asiatiques.

"Peu importe combien certains voudraient isoler la Russie, il est impossible de le faire", a lancé M. Poutine lors d'un discours aux forts accents anti-occidentaux.

Le président russe Vladimir Poutine avait supervisé mardi dans l'Extrême-Orient russe des exercices militaires avec des alliés, notamment la Chine et la Syrie.

 

Il a notamment salué dans son discours "le rôle croissant" de la région Asie-Pacifique dans les affaires du monde, à l'opposé d'un Occident qu'il a dépeint comme "sur le déclin", miné notamment par l'"inflation".

"Des changements irréversibles se sont produits dans tout le système des relations internationales", a-t-il relevé.
Plus une goutte de gaz ou de pétrole

Alors que les Occidentaux veulent plafonner le prix des hydrocarbures russes pour punir Moscou de son offensive en Ukraine, M. Poutine a aussi menacé de ne plus livrer une goutte de gaz et de pétrole si une telle mesure était prise.

Après les pays du G7 appelant à plafonner le prix de vente du pétrole russe, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a proposé de fixer une limite au prix du gaz de Moscou.

La ville de Vladivostok, dans l'Extrême-Orient russe.

 

Plafonner les prix des hydrocarbures russes serait "une décision absolument stupide", "une bêtise", a lancé M. Poutine.

"Si les pays européens veulent renoncer à leurs avantages compétitifs, c'est à eux de décider", a-t-il prévenu. Mais "nous ne livrerons rien du tout si c'est contraire à nos intérêts, en l'occurrence économiques. Ni gaz, ni pétrole, ni charbon (...). Rien", a-t-il ajouté, sur un ton ferme.

"Nous ne fournirons rien en dehors du cadre des contrats" signés avec les pays importateurs, a encore affirmé M. Poutine devant plusieurs dirigeants économiques russes et asiatiques, fustigeant "ceux qui essaient de nous dicter leur propre volonté".

C'est dans ce contexte de bras de fer que la Russie a annoncé la semaine dernière la fermeture des vannes du gazoduc Nord Stream, qui dessert l'Allemagne et plusieurs autres pays européens, invoquant des raisons techniques.

Selon le géant russe Gazprom, cette interruption prolongée est due à la nécessité de réparer une turbine du gazoduc.
Craintes européennes

Cette décision a renforcé les craintes des pays européens d'une coupure totale du gaz russe vers le continent à l'approche de l'hiver et sur fond d'inflation galopante des prix de l'énergie.



 

Dans un communiqué, Gazprom a affirmé mercredi que "les pays de l'Union européenne avaient réduit de 48% les livraisons de gaz russe sur leur marché depuis le début de l'année, et de 49% si on ajoute la Grande-Bretagne".

Mais quelques instants plus tard la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui relançait l'idée d'un tel plafonnement, dans le cadre de mesures pour alléger la facture énergétique des Européens. "Au début de la guerre, le gaz russe par gazoduc représentait 40% de tout le gaz importé (par l'UE). Aujourd'hui, il n'en représente que 9%", a également souligné Mme von der Leyen.

Pour Bruxelles, cela permettrait aussi de "réduire les revenus" utilisés par le pouvoir russe pour "financer cette guerre atroce contre l'Ukraine".

Kiev a dénoncé une "propagande de la Russie qui bat son plein en menaçant l'Europe d'un hiver glacial".

"Poutine s'avance vers la deuxième étape d'une guerre hybride, en menaçant la stabilité des foyers européens", a déclaré le porte-parole de la diplomatie ukrainienne Oleg Nikolenko.

"Ne vous y trompez-pas, les coupures de gaz par la Russie n'ont rien à voir avec les sanctions. C'est planifié à l'avance", a-t-il ajouté.


Erdogan le Magnifique

Le président turc Recep Tayyip Erdogan, en visite à Belgrade, a abondé dans son sens, en accusant les Occidentaux de "provocation" envers Moscou.


"Je peux dire très ouvertement que je ne trouve pas que l'attitude actuelle de l'Occident (...) soit la bonne. L'Occident mène une politique basée sur la provocation", a déclaré le chef de l'Etat turc lors d'une conférence de presse avec son homologue serbe Aleksandar Vucic, en réponse à une question sur la crise énergétique en Europe.

"Nous, Turquie, avons toujours maintenu une politique d'équilibre entre la Russie et l'Ukraine", a-t-il ajouté.

Si elle a fourni à Kiev des drones militaires, la Turquie a refusé de se joindre aux sanctions occidentales décrétées contre la Russie après le déclenchement de son offensive en Ukraine.

Le président avait déjà imputé mardi la crise énergétique en Europe aux sanctions prises contre la Russie, reprenant à son compte un argument du Kremlin.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan, lors d'une conférence de presse avec son homologue serbe Aleksandar Vucic, à Belgrade.

 

"L'Europe récolte ce qu'elle a semé. L'attitude de l'Europe envers M. Poutine et les sanctions l'ont conduit, qu'on le veuille ou non, à dire : +Si vous faites comme cela, je ferai ceci+", avait-il affirmé depuis Ankara.
La fine fleur des pays démocratiques

A couteaux tirés avec les dirigeants européens, M. Poutine a en revanche profité de la venue de responsables asiatiques à Vladivostok pour soigner ses contacts.

Il s'est entretenu avec le chef de la junte birmane Min Aung Hlaing, saluant les relations "positives" entre la Russie et la Birmanie, ainsi qu'avec le Premier ministre de la Mongolie, Luvsannamsrai Oyun-Erdene.

Le président russe a également le chef du Comité permanent de l'Assemblée nationale populaire, Li Zhanshu, troisième plus haut responsable chinois.

Car c'est avec la Chine que la Russie souhaite opérer le rapprochement le plus étroit, à la fois économique et sécuritaire.

Le chef de la junte birmane Min Aung Hlaing a félicité Poutine de "gérer les affaires internationales de manière impartiale et correcte" lors de leur rencontre en marge du Forum économique oriental qui se tient à Vladivostok. Pour rappel, l'ONU a accusé, en 2018, Min Aung Hlaing de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre dans le cadre des massacres à grande échelle commis par l’armée birmane contre les Rohingyas.

 

En parallèle du forum de Vladivostok, Moscou a ainsi mené ces derniers jours des exercices militaires de grande ampleur dans l'Extrême-Orient russe, en présence de militaires de plusieurs pays alliés, dont la Chine.

Les exercices Vostok-2022 ont débuté jeudi dernier avec des manœuvres d'avions de combat, des déplacements d'unités de lutte antiaérienne et des simulations de déminage en mer du Japon, selon le ministère russe de la Défense. Selon Moscou, plus de 50.000 militaires ainsi que plus de 5.000 pièces d'armement et d'équipements militaires dont 140 aéronefs et 60 navires ont été mobilisés.

Des unités de plusieurs pays frontaliers ou alliés de la Russie, comme le Bélarus, la Syrie, l'Inde, mais surtout la Chine, y participaient.
La "pandémie des sanctions"

Pékin, de son côté, traverse actuellement une crise diplomatique avec les Etats-Unis, notamment depuis la visite à Taïwan en août de la présidente de la Chambre américaine des représentants, Nancy Pelosi.

S'efforçant de présenter la Russie comme faisant partie d'un front commun face à l'Occident, M. Poutine a estimé que les sanctions visant Moscou étaient une menace pour l'économie mondiale.

Le chef du Comité permanent de l'Assemblée nationale populaire, Li Zhanshu, lors de son arrivée dans la ville russe de Vladivostok pour assister au septième Forum économique oriental. M. Zhanshu devient le plus haut responsable politique du Parti communiste à se rendre dans ce pays depuis l'invasion de l'Ukraine par Moscou.

 

La pandémie "a été remplacée par de nouveaux défis d'ordre global, qui menacent le monde entier. Je veux parler de la fièvre de sanctions de l'Occident", a-t-il lancé.

"La majorité absolue des Etats d'Asie-Pacifique n'accepte pas la logique destructrice des sanctions", a affirmé M. Poutine.

Le président russe a dénoncé "le refus obstiné des élites occidentales de voir les faits" et "la domination insaisissable des Etats-Unis" dans la mise en place de lourdes sanctions contre la Russie.

Face à "l'agression technologique, financière et économique de l'Occident", le président russe a dit se réjouir de "l'éloignement petit à petit" de l'économie russe du dollar, de l'euro et de la livre sterling, "des devises pas fiables", vers notamment le yuan chinois.

Mardi, le géant gazier russe Gazprom, entreprise d'Etat, avait annoncé que la Chine payerait dorénavant ses contrats en roubles et en yuans, au lieu du dollar.



 
Rencontre Xi-Poutine

Par ailleurs, la diplomatie russe a annoncé que Xi Jinping et Vladimir Poutine se rencontreront la semaine prochaine en Ouzbékistan en marge du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS).

Les deux hommes s'étaient vus début février en Chine, à quelques semaine de l'assaut russe contre l'Ukraine. La Russie et la Chine avaient signé alors une déclaration commune appelant à une "nouvelle ère" dans les relations internationales ainsi qu'à la fin de l'hégémonie américaine et dénonçant le rôle des alliances militaires occidentales, l'Otan et l'Aukus (Australie, Royaume-Uni et Etats-Unis).

Avec AFP

 
Commentaires
  • Aucun commentaire