La crise économique a touché toutes les strates de la société libanaise et l’agriculture n’a certainement pas été épargnée. Avec l’explosion des coûts de l’énergie et des intrants et l’impossibilité de faire suivre les prix des produits, travailler la terre devient compliqué. À Anjar, dans la Békaa, fermiers et maraîchers tentent tant bien que mal de maintenir leur activité.

Dans les champs, les employés sont au travail. Certains récoltent les fruits et légumes pendant que d’autres les trient et les empaquettent. Les produits seront, dans quelques heures à peine, livrés aux clients et aux marchés des environs.

En ce plein été, les agriculteurs de Anjar, petit village verdoyant de la Békaa fort d’une importante communauté arménienne, travaillent à plein régime. Pourtant, le cœur n’est pas à la fête et les mines sont graves. La crise économique, qui plombe le Liban depuis 2019, et la pandémie de Covid-19 ont gravement affecté leur activité.

Hagop Kosheyan en pleine confection de mélasse de tomates.
©Rémi Amalvy

Revoir ses méthodes de travail

«Être agriculteur devient très compliqué, se désole Hagop Kosheyan. La livre libanaise ne cesse de perdre de la valeur face au dollar, donc tous les prix flambent. Nous n’arrivons presque plus à payer nos factures.» Pour augmenter ses rendements, ce maraîcher a été contraint de revoir ses méthodes de travail: moins de salariés et moins de semences cultivées. La production s’est recentrée sur quelques herbes et légumes, comme les concombres et les tomates. Ces dernières servent notamment à la fabrication de mélasse, vendue aux restaurants et aux particuliers.

Dans le Liban d’avant-crise, environ 90% des agriculteurs se servaient de pesticides et de produits phytosanitaires. Problème: tous ces intrants sont importés en dollars. «Plus personne ne peut se les payer, c’est devenu trop cher», explique Antoine Howayek, président de l’Association des agriculteurs libanais, qui met l’accent sur un autre problème. «Avant 2019, les agriculteurs libanais remboursaient les semences achetées aux compagnies qui les vendent après, et seulement après, les récoltes, poursuit-il. Désormais ils doivent payer de suite. Beaucoup n’ont pas les fonds nécessaires. Ces deux dernières années, nombre d’entre eux ont été contraints de mettre la clé sous la porte.»

C’est le cas de Berge Tumberian. Cet agriculteur de Anjar a été contraint de cesser presque totalement son activité. «Il nous était impossible d’augmenter nos prix sans perdre notre clientèle, raconte-t-il. Or toutes nos dépenses ont explosé, qu’il s’agisse des fertilisants, des engrais ou de la main d’œuvre. J’ai dû arrêter le maraîchage. Je faisais un peu de vin pour ma famille et mes proches. Depuis peu, je me suis mis à en vendre.»

Les vers de terre produisent un compost totalement naturel.
©Rémi Amalvy

Un marché interne en berne

«Dans le contexte actuel, il faut vendre des quantités énormes de fruits et de légumes à des prix très bas pour s’acheter de petites mesures de pesticides, commente Antoine Howayek. Ce n’est pas viable. D’autant plus que la consommation a fortement baissé dans le pays.» Si aucun chiffre officiel n’est disponible, le syndicat estime que les ventes des produits agricoles ont chuté de 50 à 60% depuis le début de la crise économique.

De leur côté, les exportations se maintiennent. Elles étaient de 370.000 tonnes en 2021 contre environ 350.000 tonnes avant 2019. «Reste le problème de l’Arabie saoudite, qui a notamment cessé, depuis la saison dernière, d’importer nos agrumes, déplore Antoine Howayek. Le Liban s’est retrouvé avec 17.000 tonnes sur les bras, ce qui a grandement fait baisser les prix au niveau local.»

Sur le terrain, même ceux qui ont décidé de se passer de produits chimiques ont aussi du mal à joindre les deux bouts. Boghos Chapalian a depuis longtemps converti son exploitation en agriculture biologique et compte bien continuer dans cette voie. «Mais si la situation ne s’améliore pas, je vais devoir mettre la clé sous la porte, admet-il. Les prix des carburants et de l’électricité sont devenus exorbitants et désormais nos dettes s’accumulent.»


Varouj Bakkalian possède quelques plantations non loin de ses vers.
©Rémi Amalvy

Des productions en baisse

Dans l’agriculture libanaise, les combustibles fossiles ont des usages multiples. Ils servent, bien sûr, à faire rouler les véhicules et permettent aux générateurs de produire l’électricité nécessaire au bon fonctionnement des équipements. Le mazout est par exemple indispensable pour l’irrigation. «Avec l’explosion des prix, les agriculteurs en achètent moins et voient donc leur production baisser», explique Antoine Howayek.

Berge Tumberian dans son vignoble.
©Rémi Amalvy

Mais tout n’est pas noir. Certains arrivent à tirer leur épingle du jeu. Depuis plusieurs années, Varouj Bakkalian s’est mis au vermicompost, soit à l’élevage de vers de terre pour la production de compost naturel, garanti sans aucun produit chimique. Au Liban, le marché du vermicompost est quasi inexistant, ce qui lui attire de nombreux clients.

«Déchets ménagers, feuilles, déjections d’animaux, fruits et légumes, coquilles d’œufs… les vers mangent tout ce qui est compostable. Ils produisent le meilleur fertilisant bio possible. Et comme ça ne coûte pas grand-chose à produire, on peut se permettre de proposer des prix abordables aux agriculteurs», avance M. Bakkalian.

Varouj Bakkalian remue son compost rempli de vers de terre.
©Rémi Amalvy

Un cas exceptionnel

Une situation qui a permis à son entreprise d’être relativement épargnée par la crise. «Nous sommes les seuls au Liban à posséder une ferme de vermicompost d'une taille aussi importante, ajoute-t-il. Nous avons beaucoup de clients et suffisamment de fonds pour supporter les périodes difficiles.»

Mais cette société reste un cas assez exceptionnel. Selon l’Association des agriculteurs libanais, les faillites devraient se poursuivre, voire s’amplifier.

Selon les chiffres de la Banque mondiale, la contribution de l’agriculture dans le PIB national est passée de 3% en 2019 à 9% en 2020. Un chiffre en trompe-l’œil, estime Antoine Howayek. «L’activité n’a certainement pas augmenté. Avec la crise, les autres secteurs produisent simplement moins. Ce qui, mécaniquement, a fait augmenter la part du secteur agricole», conclut-il.

Boghos Chapalian dans son champ de fruits et légumes bio.
©Rémi Amalvy
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