En Italie, les élections de tous les dangers
Prévues dimanche, 25 septembre, les élections législatives italiennes pourraient bien bouleverser le panorama politique, autrefois dominé par les partis centristes. L'extrême-droite, qui gagne en puissance depuis plusieurs années, est sur le point de s'emparer du pouvoir, avec des sondages qui donnent la coalition formée par Salvini, Meloni et Berlusconi entre 45 et 55% des intentions de vote. 

 

Giorgia Meloni, présidente du parti post-fasciste "Fratelli d'Italia", est créditée de 25% des intentions de vote selon les derniers sondages. (AFP)

 

En Italie, la vague réactionnaire semble avoir submergé les médias et les places publiques, à quelques jours des élections parlementaires prévues le 25 septembre . Les principaux dirigeants de l’extrême droite, Matteo Salvini et Giorgia Meloni, sillonnent le pays, espérant convaincre les 25 à 30% d’Italiens qui penchent pour l’abstention.

Les regards européens, rivés vers l’Ukraine et les fluctuations des cours des hydrocarbures, se concentrent à présent sur la campagne électorale en Italie, pays fondateur de l’Union européenne. Selon les derniers sondages, l’extrême droite pourrait obtenir 45 à 55% des sièges parlementaires et ainsi accéder à la majorité absolue. Une première pour le pays, accoutumé, certes, aux relations douteuses entre politiciens et mafieux et aux frasques de Berlusconi, mais qui semblait avoir tourné le dos aux extrêmes.

C’est une démocratie affaiblie par des décennies d’affairisme, de crise économique et d’hostilités inter-régionales qui apparaît aux yeux de tous, comme le montrent les indices internationaux : l’Italie est classée comme une « démocratie imparfaite » par le Democracy Index, tandis que seuls 4% des Italiens disent avoir confiance dans les partis politiques. Le Parlement, lui, est l’institution du pays suscitant le plus de méfiance parmi les citoyens.

Ce cocktail explosif explique la montée du populisme, à travers la mobilisation sur base d’un discours binaire : « nous », les vrais Italiens, contre « eux ». En résumé, les élections italiennes sont placées sous le signe de la colère et de la frustration d’un peuple lésé par une décennie d’austérité, durant laquelle les inégalités (18 millions d’Italiens sont menacés par la pauvreté ou l’exclusion sociale) et l’émigration ont atteint des niveaux sans précédent.
De Salvini à Meloni



 

Contrairement à leurs homologues français, les partis d’extrême droite italiens ont réussi à s’entendre pour former une coalition, « l’Union des droites », afin de présenter des rangs unifiés lors des élections. La Ligue du Nord de Mateo Salvini, Forza Italia de Silvio Berlusconi et Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni ont mis leurs différents de côté le temps du scrutin.

Il ne s’agirait pas exactement de la première fois que l’extrême droite contrôle le gouvernement italien. Lors des élections de 2018, le rassemblement de droite, dirigé par Salvini, avait remporté 37% des voix et s’était vu forcé d’accepter un gouvernement de coalition avec le Mouvement cinq étoiles, parti centriste promouvant la démocratie directe. Matteo Salvini était alors ministre de l’Intérieur et dirigeait de facto le gouvernement avec Luigi di Maio, son partenaire au sein de la coalition.

Cette alliance contre-nature implose quatorze mois après, le dirigeant d’extrême droite étant persuadé qu'il peut gagner des élections anticipées. Une ambition contrecarrée par l’alliance que noue le Mouvement cinq étoiles avec le parti démocrate, et qui lui permet de se débarrasser de Salvini, relégué à l’opposition. Suite à la formation du gouvernement d'union nationale par Mario Draghi, en pleine crise sanitaire, Salvini accepte d’entrer dans la coalition soutenant le Premier ministre.

C’est un tel scénario que souhaite à tout prix éviter la droite italienne lors de ces élections, ce qui implique une majorité absolue afin de ne pas avoir à transiger avec des alliés lointains idéologiquement. En revanche, Salvini, autrefois candidat évident au poste de Premier ministre, semble aujourd’hui être réduit à un rôle de force d’appoint pour la nouvelle star montante de l’extrême droite italienne : Giorgia Meloni.

Les derniers sondages publiés par Ipsos sont sans équivoques : alors que Forza Italia et la Ligue obtiendraient respectivement 8% et 12.5% des voix, Fratelli d’Italia rassemble à lui tout seul 25.1% des intentions de vote.

Rendue célèbre par son fameux « Je suis Giorgia, je suis une femme, je suis chrétienne » prononcé lors d’un meeting politique en 2019, cette femme politique charismatique rassemble tous les déçus de la politique italienne. Elle use volontiers d’une rhétorique mélangeant lutte contre l’immigration et l’islamisme, défense des valeurs traditionnelles et du christianisme, et hostilité envers une gauche qu’elle estime avoir mené le pays à l’abysse.

Si en apparence, rien ne la différencie de Salvini sur le plan des valeurs, Giorgia Meloni a réussi à se démarquer de son allié et rival sur plusieurs points. Aux envolées lyriques contre la « cancel culture » et le grand remplacement, Giorgia Meloni a ajouté un positionnement fermement hostile au Kremlin, ainsi qu’un soutien aux sanctions sur l’économie russe. Elle a adouci ses revendications souverainistes et prône à présent le sérieux budgétaire, contrairement à Salvini qui conserve un discours prônant « l’Europe des Nations ».

Cette tactique de « dédiabolisation » vise à rassurer la communauté internationale et européenne et donne à la leader, accusée de fascisme, une image rassurante et sérieuse. Un supplément de crédibilité bienvenu en ces temps de guerre et de crise économique, alors que Mateo Salvini est accusé d’accointances avec le Kremlin et d’irresponsabilité budgétaire, dans un pays dont la dette atteignait les 155% du PIB en 2021.

La montée du dégagisme

Mateo Salvini, autrefois ténor de l'extrême-droite italienne, a déçu de nombreux fidèles, en raison de ses compromissions avec les partis de "l'establishment". (AFP)

 

Dévastée par la pandémie du Covid-19 et les retombées de la crise ukrainienne, la péninsule italienne fait face à une telle extension de la misère que de nombreux citoyens voient en l’extrême-droite un point de ralliement contre une élite perçue comme corrompue et indifférente au sort du peuple.

C’est là le point fort de Fratelli d’Italia, qui peut se prévaloir de n’avoir jamais participé à aucun gouvernement. Giorgia Meloni, elle, n’a occupé que le poste de ministre de la Jeunesse, entre 2008 et 2011. Une inexpérience politique indispensable pour lui permettre de capter le mécontentement des Italiens, qui s’étend naturellement à Berlusconi, Premier ministre de 1994 à 2011, mais aussi à Salvini.

Celui-ci est perçu comme partie intégrante de la classe politique, ayant été de facto à la tête du gouvernement entre 2018 et 2019, avant d’adhérer à la coalition gouvernementale de 2021 à 2022. Une compromission qui a valu à la Ligue la perte de nombreuses voix, sans compter sa réputation d’anti-Mezzogiorno (sud de l’Italie), le parti étant à l’origine issu de l’indépendantisme nord-italien.

C’est donc une promesse de nouveau départ pour l’extrême droite qu’incarne Giorgia Meloni, qui s’adresse à toutes les régions italiennes. Elle n’a pas de bilan politique à défendre et entretient des relations moins conflictuelles avec la communauté internationale. Bien que son discours n’ait rien de progressiste, le fait qu’il s’agisse d’une femme de 45 ans lui attire de nombreuses sympathies en Italie et à travers le monde, face à des hommes politiques masculins, âgés, et perçus comme sclérosés.

Partisane d’un régime présidentialiste fort, Giorgia Meloni cherche à se forger une image de « mère de la nation », à la fois compatissante avec les faibles et intransigeante avec les ennemis de l’Italie. Peu versée en économie, la dirigeante se plait davantage à lister des boucs émissaires, qui vont des étrangers aux communistes, en passant par le lobby LGBT. Elle appelle à la fermeture des frontières pour protéger le pays de l’islamisation, la lutte contre « l’hiver démographique » (la moitié des Italiens ont plus de 47 ans, soit l’âge médian le plus élevé d’Europe), la renégociation des traités européens et l’augmentation des dépenses militaires. Des solutions toutes faites qui séduisent un grand nombre d’Italiens, en proie au chômage et à la précarité.
L’extrême droite a imposé son agenda

Le centre-gauche italien est en pleine perte de vitesse et a mené une campagne orientée autour des valeurs progressistes et de l'attachement à l'Union européenne. (AFP)

 

Face à elle, le parti démocrate (PD), champion du centre-gauche italien, ne parvient pas à mobiliser les foules : la coalition composée des Verts et du PD ne recueille que 21% des intentions de vote dans les sondages. Dirigé par Enrico Letta, le parti démocrate a échoué à faire l’unité au centre et à gauche et a mené une campagne sur la défensive, relativement peu relayée par les médias, au contraire de Giorgia Meloni qui a arpenté l’Italie du Nord au Sud.

La gauche italienne, en crise, ne parvient pas à gagner le cœur des Italiens. Elle a principalement mené sa campagne sur l’attachement à l’Union européenne et aux valeurs libérales et progressistes, comme en témoigne la visite récente d’Enrico Letta au chancelier allemand Scholz. Une visite avec un but bien précis : montrer aux Italiens qu’il est le seul capable de relayer les intérêts nationaux auprès des partenaires européens.

Sans nul doute, l’extrême droite a été capable d’imposer son agenda durant les élections : entre le 5 et le 20 septembre, Giorgia Meloni a été la personnalité politique italienne à obtenir le plus de visibilité sur Facebook, notamment grâce à la polémique sur l’avortement qu’elle a largement instrumentalisée. Une tactique de polarisation qui semble porter ses fruits et qui a engendré un débat électoral conflictuel, essentiellement concentré sur les questions sociétales.

La grande perdante de ces élections aura été la question environnementale, absente des débats, bien que l’Italie ait connu une sècheresse dévastatrice cet été : le débit du Pô a atteint un niveau historiquement bas, alors que le bassin du fleuve produit l’équivalent de 60% du PIB italien. Selon l’Observatoire de Pavie, moins de 0,5 % des interventions des principaux candidats et 2 % des posts Facebook des leaders politiques portent sur les conséquences de la crise climatique.

Un véritable « retard culturel » de la classe dirigeante italienne, comme n'hésite pas à l’affirmer la porte-parole du parti écologiste italien Europa Verde, qui se traduit par l’absence de vision structurelle sur la problématique environnementale et des discours politiciens basés sur le green-washing. Dans un pays frappé de plein fouet par les fluctuations des cours des hydrocarbures, la principale solution proposée par les partis politiques est la réouverture des centrales à charbon et la construction de centrales nucléaires. Cette absence de réflexion, sur une question pourtant existentielle pour l'humanité, représente peut-être le plus grand danger de ces élections.

 

 

 
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