Budget ou pas, quelle différence?
C’est un peu saugrenu cette histoire de budget 2022, même pour nous autres qui sommes vaccinés contre toutes les anomalies. Évidemment, on dit qu’il vaut mieux avoir des chiffres de dépenses et de recettes un tant soit peu actualisés, au lieu de continuer de dépendre des douzièmes provisoires. Mais sa bizarrerie demeure quand même, si l’on se contente des observations suivantes.

Première bizarrerie: ce budget va servir à peine trois mois? Faux. Car on a comme échéances proches une élection présidentielle, puis la formation d’un nouveau gouvernement, qui devra étudier, ou réétudier un projet de budget 2023, qui sera discutaillé ensuite au Parlement. Avec la légendaire tortue étatique, on n’aura pas une nouvelle loi de finances avant la mi-2023, si on est béatement optimiste.

Deuxièmement, tout le monde convient, y compris des parlementaires, que ses chiffres de dépenses et de recettes sont d’une inconsistance à donner le vertige. «On a vu des épiciers faire mieux», selon l’un d’eux. Déjà, les budgets passés étaient loin d’être des modèles de précision. Sans parti pris, il faut remonter à la période d’avant 2005 pour trouver des budgets qui fonctionnent avec une marge d’erreur acceptable.

Puis, encore une fois, on vote ce budget sans la constitutionnellement imposée clôture des comptes de l’exercice précédent. La Cour des comptes, supposée fournir ce document, est déjà embourbée dans les comptes des 15 ou 20 années passées livrés en même temps, alors que ses effectifs, quand ils sont là, sont largement insuffisants.

Quatrièmement, on ergote sur le taux du dollar douanier (15.000 LL en fin de compte), alors que ses effets sont largement théoriques. «La contrebande va augmenter», se résigne-t-on dans les hautes sphères, comme chez le citoyen lambda. Comme tant de phénomènes dans le pays, cette anomalie est devenue avec le temps une normalité. Personne ne prend plus la peine de la mettre en doute. Parfois, on discute de son amplitude, et encore. Car c’est le Hezbollah qui décide en fin de compte.


Ensuite, il faut se rendre à l’évidence: avec ou sans budget, on n’a jamais respecté ses dispositions comme il se doit. Des ‘avances de trésor’, tirées ‘des réserves du budget’ sont distribuées à la volée au cours des conseils des ministres, selon les desiderata des plus influents. D’ailleurs, on a toujours eu des ‘comptes de budget’ et des ‘comptes du Trésor’, parfois avec une différence énorme. Encore une de nos bizarreries du terroir.

Sixièmement, personne ne sait qu’un budget n’est pas juste un exercice comptable, mais a une fonction et des effets économiques et sociaux. Or, comme d’habitude, aucune projection sur ces effets n’a été réalisée.

Enfin, on manipule en haut lieu les chiffres des dépenses comme on en a envie. Pour s’en tenir parfois à un déficit officiellement acceptable, on s’abstient tout simplement de payer des sommes dues: aux municipalités, contractuels, fournisseurs, CNSS, hôpitaux, écoles… jusqu’à lésiner sur le papier A4 aux administrations. Et c’est le ministre des Finances, donc Nabih Berri, qui décide in fine qui doit recevoir combien, quand, et comment. Une pseudo-règle constitutionnelle inventée de toute pièce pour faire plaisir au duo infernal.

Ceci dit, on ne voit pas pourquoi un budget serait différent de l’exercice ‘normal’ du pouvoir au Liban. On patauge comme on peut en haut lieu.
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