Prix Nobel de médecine 2024: une grande récompense pour un petit régulateur
Victor Ambros et Gary Ruvkun prenant la parole lors de la cérémonie des prix Breakthrough, le 9 novembre 2014 à Mountain View, Californie. ©Steve Jennings / Getty Images North America / Getty Images via AFP

Le prix Nobel de physiologie ou médecine 2024 a été attribué à Victor Ambros et Gary Ruvkun pour leur découverte des microARN, des petits régulateurs de l'expression génique.

Le 7 octobre, l'assemblée Nobel de l’Institut Karolinska a décerné le prix Nobel de physiologie ou médecine 2024 à Victor Ambros (né en 1953) et Gary Ruvkun (né en 1952), deux biologistes américains, pour leur “découverte des microARN et leur rôle dans la régulation post-transcriptionnelle de l'expression génique”.

Cette découverte, réalisée en 1993, a profondément bouleversé la compréhension de divers mécanismes biologiques, remettant en question les dogmes traditionnels qui régissaient la régulation de l'expression génique. Alors que la recherche en génétique moléculaire se concentrait principalement sur les gènes (et donc l’ADN) et les protéines, ces chercheurs ont démontré que les microARN jouent un rôle tout aussi fondamental dans le contrôle de l’expression des gènes. En collaboration, mais tout en menant séparément des recherches sur un ver rond d’un millimètre, Caenorhabditis elegans (ou C. elegans), ils ont tenté de comprendre les raisons et les moments précis des mutations cellulaires, comme l’a expliqué le jury Nobel dans son communiqué.

Processus de régulation

Pour bien saisir l'importance de cette découverte, il est crucial d'examiner le processus de l'expression génique. L'ADN, qui renferme l'information génétique, est d'abord transcrit en ARN messager (ARNm), lequel est ensuite traduit en protéines. Ces dernières jouent alors un rôle structural (comme dans les tissus musculaires, par exemple) et fonctionnel (en intervenant dans diverses activités biologiques, notamment à travers les enzymes, les anticorps et les hormones). Les microARN sont des molécules d’ARN de petite taille qui se lient à des ARNm spécifiques pour inhiber leur traduction en protéines ou induire leur dégradation. Ce processus de régulation est essentiel, car il permet aux cellules d’ajuster rapidement la production de protéines en fonction de leurs besoins physiologiques.

Mécanisme ancien et conservé

Le rôle des microARN s’inscrit dans une évolution s’étendant sur plusieurs centaines de millions d'années. Des recherches ont démontré que ces molécules sont présentes chez la quasi-totalité des organismes multicellulaires, soulignant leur rôle fondamental dans la biologie cellulaire. Ce mécanisme de régulation a permis l'émergence d’organismes de plus en plus complexes en assurant un contrôle fin de l’expression génétique. Au cours des deux dernières décennies, des recherches sur les microARN ont mis en évidence leur importance dans le développement normal des cellules et des tissus. Des études montrent que les microARN sont également cruciaux pour le développement embryonnaire car ils inhibent la production de certaines protéines, ce qui est essentiel pour assurer une régulation précise des processus cellulaires. De plus, des anomalies dans la régulation des microARN peuvent entraîner une multitude de pathologies, allant des cancers aux maladies métaboliques, en passant par des troubles neurodégénératifs et des maladies auto-immunes.

Implications cliniques

La découverte des microARN a des implications majeures dans le domaine médical, offrant de nouvelles perspectives pour le traitement de diverses maladies. Toutefois, aucune application immédiate n’a eu lieu. Des mutations au niveau des gènes codants pour ces molécules ont été associées à plusieurs pathologies humaines. Par exemple, des études ont identifié des mutations dans des microARN spécifiques qui contribuent à des troubles tels que la perte auditive congénitale et des anomalies squelettiques. Le syndrome DICER1, un trouble rare lié à des mutations au niveau d’un gène essentiel à la production de microARN, est un autre exemple de l’impact de ces molécules sur la santé humaine. Ce syndrome de prédisposition tumorale familiale est associé à un risque accru de développer des cancers dans plusieurs organes, mettant encore une fois en lumière l'importance des microARN dans la régulation de la croissance cellulaire.

Arsenal thérapeutique

Les microARN sont également en cours d'étude en tant que biomarqueurs potentiels pour le diagnostic précoce de diverses maladies. Leur présence ou leur niveau d’expression pourrait fournir des informations sur l’état pathologique d’un individu. Une étude, publiée en août 2021 par Elsevier, avait montré que les microARN seraient des biomarqueurs du Covid-19 grave. De plus, la possibilité d'exploiter ces molécules en tant qu'outils thérapeutiques ouvre de nouvelles perspectives pour le développement de traitements innovants. À l'avenir, des thérapies basées sur les microARN pourraient devenir des éléments indispensables dans l'arsenal thérapeutique pour combattre des maladies complexes, comme le cancer, les maladies auto-immunes et les maladies neurodégénératives.

L'année dernière, le prix Nobel de médecine a récompensé les travaux de la chercheuse hongroise Katalin Kariko et de son collègue américain Drew Weissman, lesquels ont été déterminants dans le développement des vaccins à ARNm, essentiels dans la lutte contre le Covid-19. “Il s'agit donc de deux prix très différents, mais, cela dit, une compréhension de base est bien sûr la première étape vers le développement d'applications», a précisé Gunilla Karlsson Hedestam, professeure à l'institut Karolinska.

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