“Il n’y a que la vérité qui blesse”, dit le dicton populaire. En extrapolant au domaine politique, on pourrait dire: “Il n’y a que la vérité qui dérange”… Mandaté par le Hezbollah pour mener les tractations diplomatiques avec les décideurs internationaux, le chef du législatif et du mouvement Amal, Nabih Berry, a souligné ces derniers jours que seule la résolution 1701 du Conseil de sécurité (août 2006) devrait être au centre des discussions en vue d’une solution au conflit actuel, ajoutant, sans y aller par quatre chemins, que la 1701 “abolit” la 1559!
Le leader d’Amal réagissait en toute vraisemblance à la position ferme de l’opposition souverainiste qui insiste sur la nécessité de mettre à exécution les résolutions 1701, 1559 et 1680, l’application de ces deux dernières étant très explicitement prévue et mise en évidence dans le texte de la 1701. Cette approche a d’ailleurs été l’un des deux points fondamentaux soulevés dans le document approuvé au terme de la réunion élargie des pôles de l’opposition, tenue samedi après-midi à Meerab, à l’initiative des Forces libanaises (FL).
La teneur de ce document de Meerab, rendu public par le leader des FL, Samir Geagea, à l’issue de trois heures de débats parfaitement ciblés, insiste sur le caractère impératif de la concrétisation de toutes les dispositions des trois résolutions en question, rappelant à cet égard que la 1701 s’appuie sans aucune équivoque sur les résolutions 1559 (de 2004) et 1680 (2006) en vue de l’application de mesures essentielles clairement définies: interdiction de toute présence armée illégale et de tout stockage de munitions ou d’arsenal militaire non étatique au sud du Litani; l’arrêt de tout transfert par des pays tiers d’armes et de munitions à des organisations ou factions présentes sur le territoire libanais; le désarmement des milices, donc du Hezbollah (et c’est là le point central de tout règlement); le rétablissement de la souveraineté et de l’autorité exclusive du gouvernement central sur l’ensemble du territoire; le contrôle des frontières afin d’empêcher l’entrée d’armes et d’équipements militaires, sans le consentement du gouvernement.
En affirmant – c’est une première risible – que la 1701 abolit la 1559, Nabih Berry semble faire parvenir un message on ne peut plus clair: pour le Hezbollah (puisque c’est de lui qu’il s’agit), la 1701 implique uniquement un cessez-le-feu et un retrait au nord du Litani. Cette approche réductrice laisse toute la latitude au parti pro-iranien (comme ce fut le cas en 2006) de se réorganiser, de se réarmer, de compenser ses pertes et de consolider sa position sur la scène locale, de manière à relancer son comportement belliqueux, de donner un nouvel élan à son entreprise de sape, et de lancer sans doute une nouvelle guerre dans quelques années afin que le Liban reste otage du régime des mollahs iraniens.
C’est précisément pour mettre un terme à ce cercle vicieux de violence et de conflits armés stériles à répétition que le document de Meerab adopté samedi par les pôles de l’opposition souverainiste insiste sur l’application de “toutes les dispositions” des résolutions 1701, 1559 et 1680.
En donnant sa propre lecture réductrice de la 1701, le leader d’Amal occulte les tragédies et les épreuves endurées par les Libanais depuis plus d’un demi-siècle. Il semble oublier que les raids israéliens contre le Liban ont débuté au début des années 1970 à la suite de l’implantation des organisations palestiniennes armées dans le Arkoub, ce qui marqua le point de départ de nos guerres à répétition.
Comme conséquence de cette spoliation continue, au fil des années, de la souveraineté nationale, le Liban a fait face à la première invasion israélienne en 1978, laquelle s’est soldée par la résolution 425 instaurant un cessez-le-feu sous l’égide de l’ONU (le premier de la série…). Cet arrêt des hostilités est demeuré une fiction, de sorte qu’il a pavé la voie à la deuxième invasion de 1982 qui a abouti au retrait des organisations palestiniennes armées du Liban. Le Hezbollah a alors pris la relève des fedayins de l’OLP. En 1996, en réponse aux tirs (toujours stériles) de Katioucha effectués par le Hezb, Israël lançait l’opération “Les Raisins de la colère”, qui aboutira à un nouveau cessez-le-feu, sur base des “Arrangements d’avril”, lesquels n’ont pas mis fin pour autant, eux aussi, à la situation de guerre au Liban-Sud. Malgré le retrait israélien total, en 2000, de la bande frontalière tenue par l’Armée du Liban-Sud, le Hezbollah lançait en juillet 2006 une nouvelle guerre (inexpliquée) qui débouchera sur la 1701. Le parti pro-iranien ne retiendra toutefois de cette résolution que le simple cessez-le-feu, ce qui lui permettra d’étendre à nouveau progressivement sa présence milicienne aux frontières avec Israël et de déclencher, une fois de plus, une autre guerre destructrice, le 8 octobre 2023.
Les intervenants lors des assises, samedi, des pôles de l’opposition – qui représentaient différents horizons communautaires et politiques – ont tous souligné, à l’unisson, la nécessité impérieuse de sortir de ce cycle infernal. Le document de Meerab souligne par voie de conséquence un second point fondamental: il définit clairement, sans doute pour la première fois dans un tel contexte, le profil détaillé que devrait avoir le prochain président de la République… Le texte en question relève ainsi que le futur chef de l’État est appelé à avoir la volonté, la détermination et le courage politiques de mettre en application l’ensemble des dispositions des trois résolutions onusiennes portant sur le rétablissement de la souveraineté et de l’autorité exclusive, sans partage, du gouvernement libanais.
L’ère des présidents de la demi-mesure, des compromis boiteux et des attitudes hésitantes doit être dépassée. À défaut, le Liban restera otage des mollahs de Téhéran… Et les Libanais continueront d’être ballotés de guerre en guerre, sans que les va-t-en-guerre locaux ne daignent tenir compte des intérêts les plus élémentaires d’une population à bout de souffle, déjà frappée de plein fouet par une crise socio-économique dévastatrice et sans précédent.
Nabil:
La réunion de Meerab sous l’égide du chef des Forces Libanaises et en l’absence d’autres ténors de la vie politique tel le druze Joumblatt, ou le phalangiste Gemayel, ou de Hariri sans parler d’un représentant des formations chiites, n’est qu’une tentative de rassemblement (pas encore l’union sacrée) pour élaborer "le profil détaillé que devrait avoir le prochain président de la République". En pleine guerre de contrition d’Israël contre le Hezbollah, parler de présidentielle pour faire face à quoi ? On est encore loin d’un projet de paix qui aura les faveurs de toutes les tendances libanaises, à défaut cette paix sera un jour imposée. Pour l’instant on parle de présidentielle lors de ces réunions pour valoriser le "candidat naturel" de la formation maronite, s’il maintient sa candidature à l’approche des élections.